Des migrants et des réfugiés, si près de nous

La « Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié », vécue ce dimanche 8 octobre dans le diocèse d’Amiens, existe depuis de longues années dans l’Église. Mais parler des migrants arrivant chez nous suscite aujourd’hui des réactions passionnées et des divisions, y compris entre chrétiens. L’arrivée des migrants interroge fortement notre pays et toute l’Europe, et à juste titre. 

Ce dimanche pousse d’abord à ne pas détourner notre regard de toute personne ayant quitté son pays. Il invite, au contraire, à essayer de comprendre son vécu et ses sentiments. Pourquoi ces personnes sont là ? Peu de gens quittent leur pays de gaité de cœur. Cette journée nous invite aussi à élargir notre regard. Les migrations de population sont un phénomène mondial, ancien mais très caractéristique du 21ème siècle. Ce n’est pas en érigeant des frontières nouvelles que nous règlerons la question.  

Dans nos communautés chrétiennes. 

Regardons avant tout ce qui est positif, notamment au sein de nos communautés chrétiennes : reconnaissons comme elles se sont enrichies par des chrétiens venant du monde entier. Quel bonheur de parcourir le diocèse et de découvrir tant de familles originaires de la terre entière, qui apportent leur ferveur et leurs traditions au cœur de nos communautés. Mention spéciale aux prêtres (de Corée, Haïti, Burkina, Congo…), et aux religieuses (du Rwanda, du Congo, de Madagascar…), dont la migration organisée apporte tant d’énergies nouvelles – notamment les sacrements – à nos paroisses, et aussi tant de services délicats et intimes, comme la sépulture de nos défunts.  

Je pense aussi à tous les étudiants ou jeunes professionnels étrangers présents à Amiens, pour un temps plus ou moins long. Certains se préparent aux sacrements. D’autres sont des piliers de l’aumônerie des étudiants ou de la Mission Saint Leu. Beaucoup ont une pratique régulière de la messe. Leur soif d’étudier et leur joie chrétienne nous font beaucoup de bien. Comment ne pas évoquer aussi toutes les personnes venues d’autres pays qui nous soignent, travaillent dans nos champs ou nos entreprises, dans des métiers parfois ingrats ? Ils soutiennent notre société (les fameux « métiers en tension ») et la rendent plus prospère, à l’heure de l’effondrement de la natalité en France (moins 20%, les dix dernières années). Je les salue au passage et leur dis notre gratitude.  

Les migrants, une réalité multiforme 

Et puis, comme vous, je pense particulièrement à tous les migrants arrivés ces dernières années, souvent sans papiers, demandant l’asile, et venant de l’Europe de l’Est (géorgiens, albanais…et bien sûr ukrainiens) de pays parfois considérés comme « sûrs » par la France, et ayant donc peu de chances d’être régularisés ; les migrants africains en grand nombre, et ceux qui sont en transit avant d’essayer de traverser la Manche. Ils sont aussi à Amiens et font partie de notre quotidien. Ils se mêlent à ceux de nos concitoyens qui connaissent aussi des difficultés économiques et sociales, des problèmes de logement ou de santé. Depuis le début de l’été, nous sommes alertés et touchés par les expulsions de logement de plusieurs dizaines de familles. La coexistence des uns et des autres en devient difficile, la générosité sans limites est interrogée, et notre conscience de croyants en est troublée. Comment vivre vraiment l’Évangile et le service de l’homme en la circonstance ? Qu’est-ce qui est le plus juste de faire ? Jusqu’où aller dans l’accueil ? Ces questions n’ont pas de réponses simples, mais nous ne pouvons pas fuir les défis de notre temps. 

Des hommes et des femmes au service.  

Beaucoup d’associations ou de familles se mobilisent pour aider, malgré la complexité des situations (rapport à la loi, difficultés administratives, de logement, scolarisation etc.). Dans notre diocèse, le service de la pastorale des migrants fait un remarquable travail, au long cours, discret, auprès de nombreuses personnes, en lien avec les collectivités et les associations, dont certaines confessionnelles, comme la CIMADE. Comment ne pas reconnaître aussi le travail des personnes engagées dans le service JRS Welcome (proche des jésuites) pour l’accueil temporaire dans des familles qui font l’expérience de l’hospitalité ? L’engagement d’autres associations, confessionnelles ou non, qui offrent écoute et soutien administratif, nourriture… crée un réseau dans lequel beaucoup de chrétiens sont engagés, sans être forcément dans des manifestations publiques, voire des coups de force. Le plus épineux reste la question du logement, dans la durée, de personnes dont les dossiers sont souvent en cours de traitement (parfois depuis longtemps, et avec peu d’issues favorables). Outre les questions de légalité et de légitimité effective de présence en France, cela suppose des conditions d’accueil et d’accompagnement exigeants. Certaines paroisses ou familles s’y sont engagées, avec les prudences nécessaires, et en lien avec des associations qui ont une expertise en la matière.  

Un problème complexe et crucial

Je ne reviens pas sur les propos du Pape François à Marseille – notamment son discours du samedi matin au Pharo -, auxquels je souscris largement.  Même s’il est centré sur la région méditerranéenne, je vous encourage à le lire avec attention, pour éviter les jugements trop rapides. Sa parole prophétique, et pourtant très réaliste et concrète, depuis le début de son pontificat, nous bouscule. Il connaît la situation dramatique des migrants, sans ignorer les efforts et les limites des pays dans leur travail d’accueil, d’accompagnement et d’intégration.  

Certains préfèrent se boucher les oreilles aux interpellations de François et lui en veulent de parler ainsi. Mais nous savons tous au fond de nous-mêmes qu’il y a là une des questions les plus cruciales de notre temps. Elle concerne le monde entier, et sera à l’ordre du jour des générations à venir. Il est donc vain de nous fermer à ces drames humains ou de nous contenter de jugements à l’emporte-pièce. Les générations à venir nous en demanderont des comptes, comme celles d’aujourd’hui quand elles nous parlent des erreurs ou trahisons de nos pères. Nul n’ignore la complexité des questions, à tous niveaux, – vous le savez comme moi -, et je réprouve tous ceux qui instrumentalisent les migrants pour faire valoir leurs intérêts personnels.  

Discerner et réagir en chrétien

Dans son message pour la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2023, le Pape insiste aussi sur « le droit de ne pas émigrer ».  Il invite à ne pas restreindre notre regard aux seuls migrants mais à tous les problèmes qui poussent les gens à émigrer. Tout est lié. Il est nécessaire d’agir pour que chaque personne (et chaque famille) puisse décider librement de rester sur sa terre, ou de migrer. Pour cela, « nous devons, insiste François, nous efforcer de mettre fin à la course aux armements, au colonialisme économique, au pillage des ressources des autres, à la dévastation de notre maison commune. […] Nous devons nous efforcer d’assurer à chacun une part équitable du bien commun, le respect des droits fondamentaux et l’accès à un développement humain intégral. C’est le seul moyen d’offrir à chacun la possibilité de vivre dignement et de se réaliser personnellement et en tant que famille. » (Message pour la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié 2023). 

Porter un regard de foi.  

Notre foi nous fait porter un regard de bonté sur l’être humain, sans distinction de race ou de frontière, et à le voir comme un frère ou une sœur, surtout si ces personnes sont dans des conditions de pauvreté ou de rejet, qu’un minimum de respect réprouve.  

Notre foi, qui se veut active, cherche aussi à s’informer, à comprendre, à trouver des voies de plaidoyer, à agir pour la justice, en lien avec ceux qui sont sur le terrain au quotidien et qui connaissent les difficultés des personnes, le débordement des professionnels, des agents de l’état, face à des situations jamais connues jusque-là.  

Notre foi nous pousse encore à ne pas faire des migrants et réfugiés des boucs émissaires de nos problèmes. Elle nous engage à la rencontre fraternelle chaque fois que cela nous est donné. Sans négliger nos concitoyens dans la difficulté, elle nous invite à ne pas ériger des barrières, mais à trouver des moyens d’action et des générosités nouvelles, là où il y a urgence humanitaire et où la dignité de l’être humain est menacée. Elle ne nous incite pas à la naïveté ou à nous engager dans des actions sans issue ou peu responsables, mais tient nos cœurs et nos mains ouvertes.  

La plaie ouverte des migrations est une souffrance pour un grand nombre de personnes. Restons vigilants, et faisons entrer tous les migrants et réfugiés dans notre prière, une prière qui se traduit en actes, à chaque fois que possible. « Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. » (Pape François). 

+ Mgr Gérard Le Stang 

Évêque d’Amiens. 

Extraits du discours du Pape François à Marseille le 23 septembre.

« Ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent hospitalité. Quant à l’urgence, le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives. »

« La Méditerranée est un reflet du monde : le Sud qui se tourne vers le Nord, avec beaucoup de pays en développement, en proie à l’instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification, qui regardent les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n’ont jamais été aussi profonds. Pourtant, cette situation n’est pas nouvelle de ces dernières années, et ce n’est pas ce Pape venu de l’autre bout du monde à avoir le premier alerté, avec urgence et préoccupation. Cela fait plus de cinquante ans que l’Église en parle de manière pressante. »

« Certes, les difficultés d’accueil, de protection, de promotion et d’intégration de personne non attendues sont sous les yeux de tous. Cependant le critère principal ne peut être le maintien de leur bien-être, mais la sauvegarde de la dignité humaine. Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. »

« La Journée mondiale du migrant et du réfugié sera célébrée demain. Laissons-nous toucher par l’histoire de tant de nos frères et sœurs en difficulté qui ont le droit tant d’émigrer que de ne pas émigrer, et ne nous enfermons pas dans l’indifférence. L’histoire nous interpelle à un sursaut de conscience pour prévenir un naufrage de civilisation. L’avenir, en effet, ne sera pas dans la fermeture qui est un retour au passé, une inversion de marche sur le chemin de l’histoire. Contre le terrible fléau de l’exploitation des êtres humains, la solution n’est pas de rejeter, mais d’assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine. Dire “assez” c’est au contraire fermer les yeux ; tenter maintenant de “se sauver” se transformera demain en tragédie. »

« Que l’Église soit un port d’espérance pour les personnes découragées. Qu’elle soit un port de ravitaillement, où les personnes se sentent encouragées à prendre le large dans la vie avec la force incomparable de la joie du Christ. »