Homélie de Mgr Le Stang pour la St Firmin 2023

Chers amis,

Dans notre diocèse d’Amiens, nous avons la grâce de vivre au moins deux fois dans l’année – pour la messe Chrismale et pour la Saint Firmin -, une eucharistie qui rassemble le Peuple de Dieu avec les prêtres et diacres du diocèse autour de l’évêque. Même si tout le monde n’est pas présent, il s’agit tout de même d’une magnifique expérience diocésaine d’unité dans la foi et la fraternité. Bien des siècles après la proclamation du cœur de la foi (le kérygme), par Saint Firmin et ses compagnons, sur nos terres picardes, on trouva ici une solide communauté chrétienne priante, fraternelle et missionnaire. Et aujourd’hui comme hier, cette Église se régénère. Elle se renouvelle par l’apport des jeunes générations, les enfants et les jeunes, moins nombreux certes mais bien présents parmi nous ce matin. Certains d’entre eux vont nous offrir une pièce sur Saint Thérèse cet après-midi, qui est aussi un très beau témoignage de foi. À tout moment de l’histoire de notre diocèse, y compris dans ses heures tragiques, le Seigneur a ainsi embauché des ouvriers pour sa vigne. Le vin de la joie n’a pas manqué. Dans l’époque cruciale que nous vivons, c’est à nous que revient l’honneur et le bonheur d’être les relais de transmission de la foi au Christ, les porte-voix de l’Évangile de Jésus. C’est à nous qu’il revient de dire à ce monde : prenez de la hauteur ! Les pensées de Dieu sont au-dessus des pensées des hommes, les chemins de Dieu vont au-delà de leurs impasses, sa miséricorde est sans repentir. Quelle grâce d’être ainsi appelés à être les humbles ouvriers de la vigne du Seigneur et de répondre à son appel, chacun selon sa vocation.

Regardez notre cher Saint Paul. Il s’adresse aux philippiens. Au saut du lit (en prison, en fait), il s’interroge : est-ce que je suis utile ? Prisonnier, il se demande ce qu’il en sera de sa vie. Il ignore tout du lendemain : sera-t-il condamné à mort ? Ou libéré pour continuer à évangéliser avec énergie ? Alors, il s’abandonne entre les mains de Dieu, et va jusqu’à dire : pour moi vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage. Uni au Christ, dans la vie comme dans la mort, il n’est pas effrayé par l’idée de rejoindre le ciel. Il n’est certes pas suicidaire. La Bible ne pousse jamais personne à abréger sa vie, comme certaines sectes. Il a simplement en lui le désir ardent des hommes et femmes de foi qui disent : « je veux voir Dieu » ou parfois : « j’aimerais tant revoir ceux qui me précèdent là-haut » (certains anciens ajoutant : le Bon Dieu m’a oublié !)

Paul ajoute pourtant tout de suite : …mais si, en vivant dans ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Il regarde ses frères et sœurs et conclut : …à cause de vous demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. Son discernement est fait. A cause de vous… Toute vie est mystérieusement utile pour les autres, même la plus abîmée, même et surtout celle d’un crucifié. Je pense à la lettre du P. Teilhard de Chardin à sa sœur Marguerite-Marie clouée au lit de longues années : « O Marguerite, ma sœur, pendant que (…) je courais les continents et les mers (…), vous, immobile, étendue, vous métamorphosiez silencieusement en lumière, au plus profond de vous-même, les pires ombres du monde. Au regard du Créateur, dites-moi, lequel de nous deux aura-t-il eu la meilleure part ? ». Il n’est pas de vie inutile, le crucifié du Golgotha nous l’enseigne, lui qui, impuissant sur la croix, révèle au monde la toute-puissance de l’amour de Dieu.

Certains se sentent inutiles en ce monde et leur vie leur paraît insensée ou même gênante pour leur entourage. Au point que notre pays, une fois que le Pape aura tourné le dos, pourrait autoriser le droit au suicide assisté, tout en cherchant par ailleurs à dissuader des jeunes harcelés ou agressés, de ne pas commettre l’irréparable. Comment ne pas voir, en cela, un échec ? Une main cherche à éviter que l’on se donne la mort, une autre signerait la loi qui permette de la donner, plutôt que de chercher ensemble comment accompagner la faiblesse humaine quand elle devient extrême.

Frères et sœurs, nous sommes porteurs de Bonne Nouvelle : bonne nouvelle de l’enfant à naître, d’une fraternité possible, d’une dignité de toute personne, bonne nouvelle du mariage et de la famille, bonne nouvelle d’une Église ou chacun est accueilli et accompagné tel qu’il est, bonne nouvelle des sacrements, et bonne nouvelle du salut en Jésus qui guérit, libère, apaise et réconcilie. Pour tant de bonnes nouvelles, il faut des ouvriers, quelle que soit l’heure à laquelle ils embauchent, comme on vient de l’entendre dans la parabole de Jésus.

Le maître du domaine cherche ses salariés. Vigneron est un « métier en tension ». Qui va faire le job ? Question pas nouvelle, visiblement. Qui produira le vin de la fête, le vin de la joie ? Viendra-t-il à manquer, comme aux noces de Cana ? Le vin, dans la Bible, c’est le don gratuit de Dieu, dont Jésus va dire : ceci est mon sang, versé pour vous et pour la multitude. L’Église, chacun de nous, est cet espace où se prépare, pour tous, le vin dont Dieu fait son sang.

Quatre fois, dans la parabole, on nous dit : le maître sortit… pour trouver son personnel, et il le trouve ! Nos oreilles, habituées aux propos du Saint Père, n’entendent-elles pas ici l’invitation à être « l’Église en sortie », en mission, pour que personne ne dise plus tristement : on est resté là, à « glander », parce que personne ne nous a embauchés. Oh, bien sûr, dans l’Église comme dans les entreprises, il est bien complexe de faire travailler ensemble des gens si différents par l’ancienneté, les talents, les compétences, les forces, les faiblesses, ou simplement les atomes crochus. Les ressources humaines sont souvent infiniment complexes, surtout quand l’employeur est le Seigneur lui-même, dont les pensées, les chemins, les objectifs ne sont pas les nôtres… et qu’on se croit parfois plus intelligent que Dieu ! L’Évangile du jour est un appel, non pas à jalouser, critiquer, envier ou maudire mais à bénir Dieu pour les dons faits aux autres, surtout aux derniers arrivés, enfants, jeunes, convertis, néophytes, tous associés à la mission. Le seul et vrai salaire, donné à chacun à la mesure de son cœur ouvert, n’est-il pas le salaire de l’amour de Dieu, donné à tous ? Il procure un enrichissement infini, et fait la joie de Dieu.

Chers frères et sœurs, vous le savez, sur les terres de la Somme, on replante de la vigne, réchauffement climatique oblige. Les premières productions sont prometteuses, dit-on. La vigne du Seigneur, elle, n’a pas connu d’interruption depuis la vie donnée de Saint Firmin. Cette vigne, c’est le Christ, dont nous sommes les sarments. Alors, bien que faisant partie des ouvriers de la dernière heure arrivés en cette vigne d’Amiens, au nom du maître du domaine, j’ose vous le dire : Allez, vous aussi, à la vigne. Le maître embauche. Oh, non pas moi, je ne saurais pas vous payer, si ce n’est par ma gratitude et ma prière, qui vous sont déjà acquises. J’ose vous interpeller en ce début d’année : quelle place allez-vous prendre dans sa vigne, dans son Église, pour qu’elle soit davantage une Église en prière, une Église missionnaire et une Église solidaire ?

Demeurer avec vous en ce monde est nécessaire, dit saint Paul à ses frères et sœurs philippiens. L’Église qui désire le ciel met la main dans les réalités de la terre. Les vendanges, sans cesser d’être ardues, sont aussi une fête, une communion, ouvertes aux hommes et des femmes qui cherchent l’utilité de leur vie. Il y a une joie si unique si précieuse à être d’humbles serviteurs dans la vigne du Seigneur, une joie qui ne ressemble à aucune autre. Amen.

Mgr Gérard Le Stang, évêque d’Amiens

Homélie de la fête de Saint Firmin – 24 septembre 2023