Homélie de la messe chrismale

L’esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Jésus a reçu l’onction de Dieu son Père, l’Esprit Saint repose sur Lui. Cette onction divine, nous la recevons nous aussi, dans les sacrements de la vie chrétienne, depuis le baptême jusque dans la grande fragilité de la maladie. L’huile parfumée nous imprègne du don de Dieu. Elle nous assure que l’Esprit saint est en nous, qu’il nous confère le don de force, et nous pouvons ne plus craindre notre pauvreté mais au contraire, l’assumer comme lieu dans lequel Dieu se déploie. La liturgie nous enseigne cela, non pas intellectuellement mais en nous le faisant vivre. Elle nous ramène à la présence du Seigneur qui nous fait signe en toute la Création.   

Le Pape François dans sa magnifique lettre récente – J’ai désiré d’un grand désir – sur la liturgie s’exprime ainsi : « La liturgie se fait avec des choses qui sont l’exact opposé des abstractions spirituelles : le pain, le vin, l’huile, l’eau, les parfums, le feu, les cendres, la pierre, les tissus, les couleurs, le corps, les mots, les sons, les silences, les gestes, l’espace, le mouvement, l’action, l’ordre, le temps, la lumière. Toute la création est une manifestation de l’amour de Dieu, et à partir du moment où ce même amour s’est manifesté dans sa plénitude dans la croix de Jésus, toute la création a été attirée vers lui. C’est toute la création qui est assumée pour être mise au service de la rencontre avec le Verbe : incarné, crucifié, mort, ressuscité, monté vers le Père. C’est ce que chantent la prière sur l’eau des fonts baptismaux, mais aussi la prière sur l’huile du saint chrême et les paroles pour la présentation du pain et du vin – tous fruits de la terre et du travail de l’homme ». (Desiderium desideravi 42) 

Comme il est bon, dès lors, de se plonger dans l’expérience et le langage de la liturgie, notamment dans la liturgie de cette messe chrismale qui rassemble toutes les vocations de l’Église diocésaine et nous plonge mystère de Dieu, nous unit à lui, et nous prépare à nous laisser envoyer par Lui. Car l’appelé de Dieu, celui qui est oint par la grâce divine est aussi l’envoyé de Dieu : 

Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. 

La vie chrétienne est une magnifique pulsation d’appel et d’envoi, de rassemblement et de dispersion, de convocation et de mission. Pas d’envoi sans appel, pas de dispersion sans rassemblement, pas de mission sans convocation. C’est l’appel de l’Esprit Saint, celui que nous relayons en Église. L’appel à suivre le Christ, Alpha et Oméga de notre vie, l’appel à se donner, à rejoindre des sœurs et des frères pour être, en communion l’Église de Jésus, l’appel à se donner pour faire résonner le viens et suis-moi de Jésus. C’est notre mission, reçue du Christ, notre grâce et notre joie, de relayer cet appel divin, frères et sœurs, de lancer le filet, pour s’assembler en communautés priantes et vivantes, devenant le corps ecclésial du Christ par la grâce de son corps eucharistique. Il nous dit ici et maintenant, en ce temps favorable que nous vivons : la Parole de Dieu que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.  

Cet appel est notamment celui qu’on entendu les diacres, d’une manière particulière. Permettez-moi d’en parler cette année car l’Église fête les 60 ans de la restauration du diaconat permanent par le Concile Vatican II. Merci aux frères diacres du diocèse d’avoir répondu à cet appel. Ils ont reçu la grâce de l’ordination. Les antiques Constitutions apostoliques parlaient d’eux en ces termes : « Que le diacre soit l’oreille de son évêque, sa bouche, son cœur, son âme ». Au jour de son ordination épiscopale, à l’évêque, en effet, on demande notamment : « Voulez-vous, d’un cœur plein de bonté et de miséricorde, accueillir, au nom du Seigneur, les pauvres, les étrangers et tous ceux qui sont dans le besoin » ? Ce à quoi il répond : « Oui, je le veux ». Ce désir, et aussi celui d’aller chercher la brebis égarée habite, j’en suis sûr, non seulement les diacres, mais chacun de nous, baptisé, laïc, consacré, prêtre ou évêque. Il revient, toutefois, aux diacres de nous aider à faire grandir en nous cette charité du serviteur, en incarnant la présence de Jésus venu pour servir et non pour être servi. Directement liés au ministère de l’évêque (et en fraternité avec les prêtres), s’ils reçoivent d’être « la bouche, les oreilles, les yeux de l’évêque », aux périphéries de l’Église, ce n’est pas pour être animateurs sociaux ou humanitaires, mais pour rayonner de la charité du Christ Serviteur auprès de ceux qui ne sont pas dans l’Église et pour œuvrer à « compléter » l’Église du Seigneur, en y adjoignant ceux qui n’osent pas ou ne peuvent pas y entrer. Au cours de la messe, ils sont fort discrets mais près de l’autel, ils rendent présents ceux qui doivent servis en priorité. Cet anniversaire est un appel pour vous, chers frères diacres, à revenir sans cesse, dans votre prière, à ce cœur de mission qui consiste à porter la Bonne Nouvelle aux pauvres. Merci aussi à vos épouses, qui vous permettent de conjuguer votre vocation au mariage, votre devoir d’état d’époux et de père avec les exigences de votre mission.  

Les prêtres aussi ont été ordonnés diacres avant de recevoir la grâce du presbytérat. L’annonce de l’Évangile aux pauvres est au cœur de leur ministère, eux qui avec l’évêque reçoivent la grâce d’être pasteurs du Peuple de Dieu tout entier, pour l’enseigner, le sanctifier et le gouverner. Il est si heureux, frères et sœurs, que notre diocèse puisse disposer d’un magnifique presbyterium de 69 prêtres entre 30 et 97 ans, fort bigarré et très fraternel. Je suis soucieux que les prêtres en activité notamment, dont 2/3 ne sont pas incardinés dans le diocèse, trouvent chez nous des conditions de vie et d’exercice du ministère qui ne les isolent, ni ne les épuisent mais au contraire leur permettent de rester fidèles à la grâce reçue et à donner le meilleur de leur vocation. Et je souhaite, que cette fraternité, la prière et le partage de la mission puissent se vivre plus intensément, dans l’attention mutuelle, et une bonne coopération avec toutes les autres charismes et vocations du Peuple de Dieu, appelant ainsi des hommes jeunes à les rejoindre pour être pasteurs avec eux dans notre Église. 

Depuis quelques mois, je consulte les uns et les autres, pour donner un nouveau souffle missionnaire sur le territoire du diocèse, pour permettre à l’Église de grandir en proximité, hospitalité et compassion envers tous, et pour qu’elle mette en œuvre des projets nouveaux d’évangélisation (comme les missions paroissiales par ex.), tout en s’adaptant aux ressources en personnes et moyens à sa disposition actuellement. Je n’ai pas de recette magique pour le faire mais j’ai choisi de susciter six champs missionnaires sur le territoire – sans supprimer les paroisses existantes. Dans chaque champ sera créée une fraternité de prêtres, n’habitant pas forcément ensemble, mais portant ensemble le souci de la mission sur cette partie du territoire, en lien avec des laïcs, aux charismes diverses. Je ne détaille pas plus ce projet dans le cadre de cette homélie. Mais je rends grâce en mesurant qu’il suscite une belle espérance. Je me réjouis de l’apport des chrétiens qui contribuent à l’améliorer. Le 13 avril, nous aurons une assemblée de 150 acteurs pastoraux du diocèse pour y travailler encore.  

Notre Église, je le sens, tout en s’appauvrissant à bien des égards, se renouvelle de l’intérieur, grâce notamment aux catéchumènes, aux confirmands, jeunes adultes de plus en plus nombreux qui chaque année, reçoivent l’onction sainte pour nous rejoindre sur le champ de l’évangélisation. Elle se renouvelle mystérieusement aussi, grâce aux priants, dans la communion des saints. Avec ces nouveaux chrétiens et tous ceux qui prient en secret, nous revenons aux sources de l’Église, à cette eau vive jaillie du côté de Jésus Crucifié. Nous sentons que l’onction du Seigneur ne cesse d’être donnée à l’Église, et que malgré ses blessures et ses péchés, elle est bénie de Dieu et habitée par sa tendresse. A nous de veiller à ce qu’elle reste belle.  

Une seule mouche morte infeste et gâte l’huile du parfumeur, écrit le livre biblique de Qohelet (10,1). N’importe lequel de nos péchés peut l’abîmer. Mais n’importe lequel de nos actes de pénitence, de bonté, de justice et de charité peut aussi la guérir, l’embellir et la sanctifier. Alors, que le Seigneur nous donne, dans l’unité de notre Église diocésaine et la joie d’en faire partie, de recevoir à nouveau, en cette Semaine Sainte, l’onction donnée à Jésus par le Père, l’onction de l’Esprit qui nous envoie porter l’Espérance au monde, éveiller en lui le goût de donner la vie et non la mort, et faire entrer davantage l’éternité dans le temps des hommes. Amen.