Homélie de la messe de la Nuit de Noël

Chers frères et sœurs,

La Nativité du Seigneur Jésus est une lumière dans la nuit du monde et elle le demeurera toujours. Beaucoup ressentent aujourd’hui des inquiétudes face à l’avenir de notre monde ou de notre pays. Il en a souvent été ainsi dans l’histoire, même si les âges qui nous précèdent ne vivaient pas sous la menace nucléaire. Chez nous, à Amiens, il ne nous est guère difficile d’imaginer les fêtes de Noël des soldats dans les tranchées de la guerre 14-18 – que des ukrainiens et russes vivent dans des conditions similaires, en ces instants -, ou encore les angoisses de la population face aux bombardements la guerre 39-45 (que les habitants de Gaza ressentent d’égale façon en ce moment). Le sentiment de vivre l’Apocalypse, ou en tous cas la fin du monde, est récurrent dans l’histoire des hommes, de façon plus ou moins aigüe. Pourtant, dans ce tragique de l’histoire humaine, la petite lumière de Noël continue d’attirer, brillante, insistante, tenace. A Bethléem, cité aujourd’hui entourée de murs de séparation entre Israël et Palestine, pour accéder au lieu de la Nativité, il faut se courber et se faire humble pour franchir la petite porte qui donne accès à la Basilique, puis descendre, un par un, dans une crypte sombre, où luit sans fin une lampe à huile, au-dessus du lieu présumé de la naissance de Jésus. Symbole parlant : pour accéder à l’irruption de Dieu en nous, il faut délaisser toute prétention, toute illusion de richesse, de pouvoir et de science, pour s’abandonner humblement à la Vérité du monde, révélée de nuit, dans le silence, dans l’obscur d’une grotte.

Je prie sincèrement pour que vous viviez tous ce temps de Noël, dans l’entourage d’une famille ou d’amis qui ne vous laissent pas seuls. Que vous ressentiez le bonheur d’être sereins, près de la crèche, laissant monter en vous le désir sacré de voir l’Enfant-Dieu, de ressentir la joie des pauvres bergers, d’éprouver la conscience droite de ceux qui tiennent à distance la vanité, qui donnent profondeur à leur existence. A Noël, nous contemplons la méthode de Dieu : il n’entre pas en scène pour se donner en spectacle ou exhiber sa puissance infinie. Il vient de nuit, tout comme il a créé le monde de nuit, tout comme de nuit, il est sorti du tombeau, tout comme dans nos nuits parfois sans étoiles, il continue de faire signe. Dieu aime le silence et la nuit. Il éclaire cette nuit de la clarté de son amour. A tâtons, dans la foi qui traverse les doutes et inquiétudes, nous l’accueillons en nous, douce lumière qui, dans l’obscur, nous guide et nous conduit, comme l’écrivait John Henri Newman en priant ainsi :

Conduis-moi, douce Lumière, au milieu des ténèbres : je t’en prie, conduis-moi. (…) Veille sur mon chemin. Je ne demande pas à voir le but lointain : un seul pas me suffit. (…)

J’aimais le jour brillant et, malgré mes frayeurs, l’orgueil me gouvernait. Oublie les jours passés. … maintenant conduis-moi.

Nous allons à la crèche, parce que Dieu y a tenu sa promesse. Serment juré à notre Père Abraham de nous rendre sans crainte, afin que, délivrés de la main des ennemis, nous le servions dans la justice et la sainteté, en sa présence, tout au long de nos jours, écrit saint Luc. Dieu, depuis la Création, s’est lié à son peuple et ses promesses sont sans retour. Il a révélé son alliance à son Peuple, ce petit Peuple juif par lequel il fait don au monde de son propre Fils. La promesse du Prince de la Paix, du conseiller Merveilleux, a été tenue, et elle s’est étendue à toutes les nations, ce qui nous vaut d’être réunis ce soir, dans la gratitude et l’éblouissement. Dieu est fidèle à ses promesses. Il ne délaisse pas son Peuple.

Beaucoup demandent (dit le psaume 4) : qui nous fera voir le bonheur ? Sur nous Seigneur, que s’illumine ton visage. Au vu de leurs détresses, de leurs souffrances ou de leurs deuils, certains renoncent à la foi, se croyant abandonnés de Dieu. Mais c’est précisément l’inverse qui arrive : C’est parce l’homme est enfermé dans la détresse, le deuil, la mort et le péché, qu’il est venu, entrant par la petite porte de nos vies. La foi est le don que Dieu nous fait au cœur de la détresse. Elle est une force intérieure qui défie et vainc le mal.

Frères et sœurs, vous êtes lecteurs assidus de l’Évangile, j’en suis sûr, et vous savez combien Jésus, tout en y annonçant les Béatitudes ou en exultant de joie devant la chute de Satan, est lucide sur les perversions dont l’homme est capable et sur la capacité autodestructrice de l’humanité. Au début du temps de l’Avent, chaque année, préparant le retour du Christ, nous lisons les prédictions de Jésus. Elles sont sans ambigüités. Que nous réserve l’avenir ? Persécutions, guerres et tremblements de terre. Depuis la nuit des temps, ça n’a jamais cessé, et ça ne s’arrêtera pas sur un coup de baguette magique.

Mais chaque fois que Jésus décrit ces situations, parfois en détails – comme lorsqu’il a annoncé la destruction du Temple qui aurait lieu quelques années après sa mort en croix -, il prend soin d’ajouter : quand tout cela arrivera, relevez la tête car votre rédemption approche. Le regard réaliste ne conduit Jésus pas à désespérer du projet de Dieu son Père. Il le pousse, à l’inverse, à former ses amis au combat spirituel, pour qu’ils soient intérieurement forts, plus forts que ceux qui s’entraînent dans les courses du stade. Jésus veut ancrer les siens, jusque dans la possibilité du sacrifice de leur vie, dans cette charité divine qui a germée dans la grotte sombre de Bethléem, sous cette terre où – encore aujourd’hui comme du temps d’Isaïe -, « les manteaux sont couverts de sang ». Jésus les siens enracine dans l’Espérance, la bienheureuse Espérance de son avènement ultime ; non pas seulement une eutrapélie guillerette ou la recherche d’un pieux réconfort, mais l’Espérance, la bienheureuse Espérance, celle qui fait traverser toute crise en demeurant fidèle, celle qui ne dilue pas l’Évangile en eau tiède, celle qui va jusqu’au bout du don de soi dans l’amour, celle qui voit en toute personne humaine un frère, une sœur du Christ, dotés des mêmes aspirations et besoins fondamentaux que le bébé de Bethléem.

Chers frères et sœurs, La fête de Noël nous enseigne que l’Évangile est un programme de résistance spirituelle et non un manuel de développement personnel même si la foi conduit à l’harmonie plus que l’inverse. La vérité de Noël tient à ce que Jésus n’est pas un concept, une notion vague, une valeur ou un mythe, mais un être humain, une personne dont le visage révèle le cœur de Dieu, le Fils éternel de Dieu, qui a rejoint nos bassesses pour nous attirer à lui et faire de nous un Peuple ardent à faire le bien, le bien de tous.

Alors, oui, j’espère sincèrement que vous vivez Noël en famille ou entourés d’amis, pour mieux ressentir qu’en devenant un des nôtres dans la crèche de Bethléem, Dieu a tenu sa promesse. Et s’il l’a tenue hier, il la tiendra demain. Et si vous êtes seuls, le Christ vous rejoint ce soir au plus profond de votre être et vous donne son Esprit Saint. Sans doute dévoilera-t-il au passage vos bassesses, vos hontes, vos manquements, mais pour mieux les brûler dans sa miséricorde, pour mieux vous embraser de son espérance, et vous attirer dans sa vie éternelle. Ne lâchez pas la main de l’enfant de Bethléem, le Sauveur du monde. En cette nuit, en votre nuit peut-être, aimez-le, avec toute l’Église, signe et instrument sacré qui transmet la musique de Dieu plus puissante que le vacarme du monde. Aimez-le, méditant comme Marie. Et la clarté se fera en vous. Dieu tient toujours ses promesses. Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens