Homélie de Mgr Le Stang pour les obsèques du P. Jacky Marsaux

Père, l’heure est venue. C’est ainsi que Jésus s’adresse à son Père au moment où il va entrer dans la mort et être élevé de terre, pour attirer tous les hommes à Lui. Jésus remet sa vie entière entre les mains de son Père. Il est prêt à vivre son sacrifice d’amour. Il est certain que cet amour est plus fort que la mort. Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais, crois-tu cela ? demandait-il à Marthe, en deuil de son frère Lazare. Mais cet abandon priant de Jésus entre les mains de son Père, englobe, en son offrande, ceux qu’il a appelés à sa suite, ses apôtres, ses amis – ainsi les nomme-t-il désormais -. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont observé ta parole. (…) Je te prie pour eux.   

Nous avons, ce jour, la conviction de foi, que le P. Jacky Marsaux, associé comme prêtre à la vocation et au ministère des apôtres, était lui aussi saisi dans cette offrande priante de Jésus, donnant sa vie pour ses amis. Dès le début, Jacky était dans la prière de Jésus, et sa vie tout entière confiée à la Providence divine. C’est ainsi que nous pouvons entrer dans le mystère du cœur d’un homme qui se découvre, selon le mot de Saint Paul, choisi en Christ dès avant la fondation du monde ? Tel est le secret d’une vocation. Elle conduit certains d’entre nous à avoir cette conscience vive qu’il faut rester dans le monde et le servir de toutes ses forces, tout en sachant qu’on n’est pas du monde et que le monde ne peut pas vraiment comprendre cette consécration profonde à la vérité, cet appel à être avec le Christ et à demeurer en Lui. Certes, cet appel est celui de tous baptisés passés à la foi en Jésus. Il est plus encore celui des pasteurs (évêques et prêtres), ceux à qui Jésus confie son Église de façon toute particulière, à sa suite. Vies livrées, vies données, en vertu d’une résonance particulière, venue de Dieu seul et imprimée à jamais au fond de nos âmes.  

Jacky, homme aux multiples dons, doué pour les apprentissages, curieux de tout, aurait pu faire tout autre chose de son existence. Paléontologue par exemple, lui qui dès l’âge de huit ans, cachait sous son oreiller, les fossiles qu’il dénichait, pour ne pas se les faire voler. Mais cet homme doté d’une belle intelligence avait aussi un cœur attentif et pudique, capable de capter le souffle doux de l’Esprit Saint qui le poussait à se donner autrement, en devenant prêtre de Jésus. C’est dans l’exercice de ce ministère que ses dons se sont alors pleinement déployés, avec ce côté discret, voire secret, et humble que tous lui reconnaissent. Père je leur ai fait connaître ton nom et je leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et moi en eux. Quand ces paroles s’inscrivent au fond d’un cœur qui se reconnaît en elles, comment ne pas consacrer sa vie à celui qui les prononce ? Dans sa formation au sacerdoce, voici plus de quarante ans, au cœur d’une époque qui aimait les joutes oratoires et se laissait happer par les idéologies du moment, Jacky se tenait à l’écart des vaines querelles, dont il souffrait (dixit un de ses confrères de séminaire). Son cœur était donné au Christ. Son esprit précis, pointilleux et son goût pour la théologie et la mystique, celle des pères de l’Église notamment, le rendaient prudent dans l’expression, soucieux de bien dire et de bien faire.   

Ce disant, on s’étonne un peu que, parmi les Pères de l’Église, Jacky ait trouvé un maître en Saint Jean Chrysostome, un des plus « forts en gueule », « bouche d’or » certes mais bien loin du tempérament réservé et doux de Jacky, heureux cependant lui aussi de prêcher et d’enseigner. Mais sans doute avait-il reconnu en Saint Jean Chrysostome, un homme de feu, un passionné de Dieu, soucieux permettre la rencontre du Christ, tant dans le sacrement de l’autel que dans le sacrement du pauvre. Et c’est ainsi que Jacky alla jusqu’au bout de sa recherche doctorale sur « l’eucharistie chez Saint Jean Chrysostome », dont la soutenance fut une réussite et sa publication unanimement appréciée, selon les mots même de son directeur de thèse à la Sorbonne, le professeur Olivier Munnich.  

Nous voici arrivés en Sorbonne, frères et sœurs, bien loin, me direz-vous, de ce cher diocèse d’Amiens, que Jacky avait préféré à Nice, où était resté une partie de son cœur. Jacky aimait le Peuple de Dieu en ce diocèse picard. Hier, j’ai reçu ce courrier significatif: « Mgr, dans les EHPAD de Roye, aujourd’hui, les yeux étaient rouges, des larmes discrètes coulaient sur les visages, les mines étaient tristes, tristes de perdre ce gentil prêtre, ce prêtre doux, ce prêtre qui venait avec sa musique et ses micros, ce prêtre que nous aimions, ce prêtre qui était jeune, ce prêtre qui confessait, ce prêtre qui prenait le temps de visiter les résidents alités pour leur donner le sacrement des malades. (…) Nous sommes bien tristes, Mgr, que vous perdiez un si bon prêtre. Nous prions que le Seigneur l’accueille. » 

L’évangile au cœur, en bon pasteur qui relie l’eucharistie et la vie, il savait que les plus pauvres sont l’autel véritable sur lequel les fidèles doivent offrir le sacrifice de la miséricorde et de l’aumône. Les plus démunis, les anciens dans les EHPAD ou les drogués, dans ses années de jeune prêtre quand, ayant découvert avec ferveur, le Renouveau charismatique, il annonçait le nom de Jésus et la force de l’Esprit comme puissance qui libère des addictions les plus tenaces. Détaché des contingences matérielles, au point de vivre, parmi ses livres, dans un joyeux capharnaüm, Jacky allait au-delà des apparences, pour voir l’essentiel, et le donner. Il savait que la main tendue du pauvre, c’est la main du Christ, Créateur et Seigneur, qui devenu pauvre, mendie à l’homme un peu de charité.   

Il a voulu être prêtre pour tous et homme de communion, bien enraciné en ce diocèse sans s’y enfermer. Il s’est consacré notamment, de longues années, au service de l’unité des chrétiens. Je ne te prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui grâce à leur paroles, croient en moi : qu’ils soient uns comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Ces paroles étaient inscrites en son être de témoin du Christ. Cette passion de l’unité, de la communion dans l’amour, ne sommes-nous pas invités, en hommage à celui que nous confions à Dieu, à la faire grandir davantage en nous, frères et sœurs baptisés et je vous salue au passage, frères et sœurs des diverses confessions chrétiennes venus prier avec nous, vous qui cheminiez avec Jacky depuis longtemps ?  

Il serait injuste de conclure sans faire allusion à un autre témoin de la foi qui marquait le cœur de pasteur du P. Marsaux : le saint curé d’Ars, prêtre humble et passionné par excellence qui, lui aussi, conduisait ses paroissiens au Christ en leur enseignant la beauté de l’eucharistie. Jacky était membre de la Société Sacerdotale Saint Jean-Marie Vianney, depuis sa fondation. Dans son livre consacré au saint curé, il rapporte cet enseignement de Jean-Marie Vianney : « Voyez mes enfants, votre âme ne peut avoir d’autre nourriture que Dieu lui-même, parce qu’elle doit vivre de son Esprit. De Dieu même. C’est pour l’âme qu’il a établi le sacrement de l’eucharistie. Voilà sa nourriture : un Dieu… Oh ! Que l’homme est grand ! Oh ! que l’homme est heureux » (J. Marsaux, saint curé d’Ars, p. 123).  

Se nourrir d’un Dieu. Quelle étrange expression ! Mais se nourrir d’un Dieu devenu Pain de Vie, par ce miracle qui fait de nous son Corps, quelle source de bonheur ! Un homme qui a découvert cela sait pourquoi il vit et ce qu’il doit faire de sa vie : rien d’autre que d’être contagieux de cet amour du cœur du Christ qui bat en lui.  Aussi, Jacky a-t-il, certainement souvent repris, seul ou avec ses confrères, l’acte d’Amour du saint curé d’Ars :  

« Je Vous aime, Ô mon Dieu, et mon seul désir est de Vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie. Je Vous aime, Ô mon Dieu infiniment aimable, et j’aime mieux mourir en Vous aimant que de vivre un seul instant sans Vous aimer. Je Vous aime, Ô mon Dieu, et je ne désire le ciel que pour avoir le bonheur de Vous aimer parfaitement. Je Vous aime, Ô mon Dieu, et n’appréhende l’enfer que parce qu’on n’y aura pas la douce consolation de Vous aimer. Ô mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tout moment que je Vous aime, du moins je veux que mon cœur Vous le répète autant de fois que je respire. Ah ! Faites-moi la grâce de souffrir en Vous aimant, de Vous aimer en souffrant et d’expirer un jour en Vous aimant et en sentant que je Vous aime. Et plus j’approche de ma fin, plus je Vous conjure d’accroitre mon amour et de le perfectionner. Ainsi soit-il ! » 

Quelle fut la pensée de notre ami lorsqu’il sentit s’approcher son dernier soupir, en se débattant dans les eaux de la Manche ? Nous ne le saurons jamais. Mais nous savons, sans risque de nous tromper, que, comme le saint curé d’Ars, il aimait Dieu et que son seul désir était de l’aimer jusqu’à son dernier soupir. Toute sa vie en témoignait. Il emporte avec Lui le secret de cette attraction pour le Christ qui était le fil rouge de sa vie, qui désormais s’accomplit dans la vision de Dieu, au ciel. Merci, Père Marsaux, d’avoir été pour nous le reflet de la douce miséricorde du Père, d’avoir été notre père, notre frère et notre ami. Amen.  

+Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens