Célébration œcuménique « médiévales au bord de l’eau » Amiens

Chers amis,  

L’évangile de ce jour (Mt 16,31-27) est celui qui est lu ce dimanche dans l’Église catholique et dans un certain nombre d’autres églises. Sa lecture a été précédée à l’instant par celle d’un passage de l’Épitre aux Philippiens (1, 3-11) : magnifique adresse de Paul à cette petite communauté de Philippes, qu’il chérit particulièrement et qui le remplit de joie. Pourquoi ? Parce que les chrétiens de Philippe se sont vraiment attachés à l’Évangile et que leur foi les a rendus missionnaires, et Paul voit cela se poursuivre et s’amplifier jusqu’au retour du Seigneur. Il est beau de voir cette amitié de Paul pour ces hommes et femmes de Philippe, devenus des frères et sœurs dans la foi et le baptême. Le cadeau qu’il leur fait, c’est de prier pour eux, notamment pour que leur amour progresse et leur obtienne un juste discernement de la volonté de Dieu en toute chose. Paul prie au fond pour qu’ils reçoivent l’intelligence spirituelle pour discerner ce qui vient de Dieu, « ce qui est important » et qui rend irréprochables. Quel beau cadeau pouvons-nous nous faire aussi en priant les uns pour les autres, de sorte que nos discernements soient justes et bons, selon le cœur de Dieu et qu’ils nous rendent irréprochables, aux yeux de Dieu pour le jour de son retour.  

Le passage de l’Évangile de Matthieu nous aide en ces discernements. Nous sommes en ce moment où Pierre vient de reconnaître le Christ comme « Fils du Dieu vivant ». Jésus lui dit : ce que tu dis là vient du Père qui te l’inspire… et il assoie l’autorité de Pierre sur le groupe. Que s’est-il alors passé chez Pierre ? Quand Jésus annonce sa Passion, il le rabroue fortement ? A-t-il pris la « grosse tête » pour se permettre de tancer ainsi le maître, a-t-il simplement un réflexe protecteur ou lui est-il au fond insupportable d’envisager la croix et la persécution plutôt que le succès et la conquête messianique ?  Cela lui attire, quoiqu’il en soit, une réplique terrible de Jésus : passe derrière-moi Satan. Quel choc ! On est loin de la jubilation de Paul devant la communion qui l’unit aux chrétiens de Philippe. Jésus refuse une communion factice qui le dispenserait d’aller à la croix. Il refuse de faire de la communauté un « monde de bisounours ». Il refuse ce qui le détourne de l’offrande de sa vie pour le salut du monde. Il refuse qu’on le détourne de la volonté de Dieu. La parole de Pierre est pour lui de l’ordre d’une tentation de Satan, une parole de tentation et de scandale, qui fait chuter, le tentateur se servant de celui à qui Jésus vient de donner une immense reconnaissance.  

 

Voilà qui nous ramène à notre confession de foi en Jésus crucifié. Nous sommes tous mis en face de cette croix du Seigneur, et la tentation nous vient aussi souvent de vouloir nous en détourner, comme on est tentés de détourner les yeux de la souffrance humaine qui nous fait peur. Quelle place occupe-t-elle dans notre foi ? Plus loin dans l’épitre aux Philippiens, dans son hymne célèbre, Paul l’évoque de façon incomparable : devenu semblable aux hommes, reconnus comme homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix 

Jésus prend sur lui le péché et accepte l’infamie de la Croix pour aller à l’extrême de l’amour et nous libérer du poids du péché. La croix d’impuissance devient, par la résurrection, acte de toute-puissance de l’amour qui sauve de façon unique, extrême, absolue. Pas question pour Jésus d’y couper. Si la convivialité et la fraternité font partie de l’expérience qui nous unit, comme baptisés, nous savons tous que ce qui nous unit fondamentalement, c’est notre foi en Jésus sauveur. Si nous sommes ensemble, ce n’est pas à cause de nos atomes crochus (qui n’existent pas forcément) mais à cause de notre foi commune en Christ qui justifie et nous appelle à « passer derrière lui » comme il l’intime à Pierre et par Lui à toute l’Église. Jamais l’Église ne peut prendre la place de Dieu, mais sa mission est de montrer le Christ, de faire entendre sa Parole et de permettre à tous d’accéder à la vie qu’il donne. Tel est le sens de notre existence croyante et cela a bien plus de valeur que de gagner le monde entier !  

Alors, chers amis, ce matin, entendons ce double appel :  

  • Celui de Paul, l’appel d’un homme empli de joie, devant la communion qui grandit entre frères et sœurs dans la foi, engagés à annoncer l’Évangile de la tendresse de Dieu dans le monde.  
  • Et celui de l’Évangile qui nous invite à toujours passer derrière Jésus, sans vouloir lui dire ce qu’il a à faire et sans nous dérober à prendre notre part du mystère de la Croix en assumant chacun d’entre nous la résistance à l’Évangile qu’il y a dans le monde et en nos cœurs. L’Évangile nous invite à mettre au cœur de notre vie chrétienne l’esprit de conversion et non de conquête. Que sert à l’homme de conquérir le monde entier s’il y perd son âme ? Que sert à l’Église d’être puissante si ses membres ne sont pas vraiment nés à la foi et re-nés de l’eau et de l’Esprit Saint. 

En laissant au Christ toute sa place, nous identifions mieux le sens de notre propre vie, appelée à être une vie d’humble service. Nous identifions mieux aussi notre témoignage à l’Évangile à porter ensemble au monde, grâce au don de l’Esprit Saint, non pas en se centrant sur elles-mêmes ou en attirant à elles, mais en montrant le Crucifié qui s’est donné pour nous, lui, Jésus le Vivant à jamais. Amen.  

+ Mgr Gérard le Stang
Evêque d’Amiens