Homélie et photos des ordinations de François Charbonnel et Jean Baptiste Gning à la Cathédrale d’Amiens

Chers frères et sœurs,

Nous vivons cette ordination à l’ombre de deux géants de la sainteté : St Jean-Baptiste et St Vincent de Paul. Ils nous offrent une double profondeur de champ : celle de l’histoire et celle de leur vocation hors du commun. St Jean-Baptiste nous plonge à la bascule biblique de l’Ancienne Alliance vers la Nouvelle alliance en Jésus. St Vincent nous ramène au XVII° siècle, temps d’éclosions missionnaires, de jaillissement nouveau du sacerdoce et de la vie religieuse, temps de croissance de l’amitié sociale et de la charité, dont Vincent fut un témoin majeur. La vie chrétienne s’enracine dans une histoire longue et belle.
Votre ordination, illuminée par ces grands saints, est un moment d’espérance pour nous tous. Les évolutions de l’histoire et la destinée de notre planète, les turbulences de notre Église catholique à la croisée des chemins, ne vous empêchent pas d’avancer de bon cœur. A l’appel de Jésus et de son Église, vous allez dire : Oui, je veux devenir prêtre, « collaborateur des évêques dans le sacerdoce, pour servir et guider sans relâche, le peuple de Dieu, sous la conduite de l’Esprit Saint ».
Votre engagement joyeux et déterminé me donne l’envie de chanter ce cantique de Zacharie, père de Jean-Baptiste, adressé à son Fils – ce benedictus que, comme ministres ordonnés, vous chantez déjà tous les matins – : Et toi, petit enfant, tu marcheras devant à la face du Seigneur, et tu prépareras ses chemins, pour donner à son Peuple de connaître le salut par la rémission de ses péchés, quand nous visite l’astre d’en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, et pour conduire nos pas aux chemins de la Paix.
Et toi, petit enfant ! Voyez l’audace du Créateur. Pour libérer ceux qui habitent l’ombre de la mort, il appelle des « petits enfants » : bergers comme David, bouviers comme Amos, fils de bonne famille comme Jean-Baptiste, pécheurs au bord du lac comme Pierre et André, et de même dans l’histoire de l’Église : Jeanne d’Arc, Bernadette Soubirous, Thérèse de Lisieux, Marcel Callo, Carlo Acutis, et tant d’autres jeunes qui ont transformé l’Église de l’intérieur et influencé l’histoire du monde, habités par un appel profond, ouverts à la grâce de Dieu et pas seulement à ce qui était prévu pour eux.
Voyez l’entourage de saint Jean-Baptiste : Mais enfin, personne dans ta famille ne porte ce nom-là ! L’appel de Dieu interrompt traditions familiales, projets de carrière. Élisabeth accouche quand le « temps est accompli ». Qui accomplit le temps et en fait un temps béni ? Dieu seul. Jean-Baptiste résume en lui toute la prophétie et la promesse biblique : Dieu envoie son Fils Jésus pour sauver et non juger le monde. Et il lui faut des porte-parole pour témoigner de la promesse accomplie. Des porte-paroles, et non des perroquets ou des gourous, de vrais amis de Dieu, pour en dire, aujourd’hui et autrement, la nouveauté et l’éternelle jeunesse de l’Évangile.
Jean-Baptiste et François, vous êtes, comme le précurseur, ces petits enfants appelés à devenir prophètes du Très-haut : évangéliser, sanctifier et guider ce saint Peuple de Dieu dont Jésus est sauveur. Vous le ferez avec vos « aptitudes requises » et votre belle maturité humaine, et aussi, sans doute, avec quelques « épines dans la chair » que Dieu ne vous arrachera pas pour vous garder capables de compatir à la faiblesse humaine.
Le prophète Isaïe le dit ainsi : J’étais encore dans le sein maternel quand le Seigneur m’a appelé ! J’étais encore dans les entrailles de ma mère quand il a prononcé mon nom. Non pas un plan de carrière, mais la gratuité d’un appel : Et vous voici devant Dieu, habités par une joyeuse candeur, pour l’aventure du ministère de prêtre. Folie aux yeux des hommes, peut-être mais sagesse aux yeux de Dieu. Il me revient ce chant qu’en Afrique, les jeunes reprenaient souvent : « Comme un enfant qui marche sur la route, le nez en l’air et les cheveux au vent, comme un enfant que n’effleure aucun doute, et qui sourit en rêvant : me voici, Seigneur, me voici comme un enfant ». Que Dieu préserve votre âme d’enfant qui a entendu cet appel décisif. Votre vocation de prêtre, au fil des événements, des multiples rencontres et des épreuves du ministère, se transformera. Elle sera émondée. Elle embellira et se fortifiera. Mais l’appel premier restera le même, et c’est son écho dans votre vie qui vous portera.
Voyez la vie de Saint Vincent de Paul. Pour en parler, je me sens bien petit devant tant de savants lazaristes. Alors, simplement ceci, puisque cette ordination est célébrée à Amiens, faisons mémoire d’un fait : tout près d’ici, à Folleville, Vincent vécut une expérience qui orienta autrement le cours de son ministère de bon prêtre qu’il était déjà. Ébloui par la conversion vécue au moment du sacrement de pardon par un paysan pauvre et en fin de vie, Vincent se lança dans les missions paroissiales pour évangéliser le monde rural et y servir les pauvres. Il perçut aussi que ces missions nécessitent des missionnaires bons et biens formés, dans des séminaires sérieux. Vincent, ouvert à la grâce, sut interpréter les signes des temps, prendre des initiatives, décider, entraîner avec lui des hommes, et des femmes aussi (les filles de la charité), donnés à Dieu. Et surtout, il sut vivre lui-même ce qu’il enseignait, donnant à sa vocation de prêtre un rayonnement et une fécondité extraordinaires.
N’est-ce pas de tels disciples-missionnaires dont notre temps a besoin ? Bien sûr que oui, et il y en a ! Je les rencontre souvent, parmi les jeunes de notre temps : des Jean-Baptiste Gning et François Charbonnel, des étudiants, des jeunes professionnels, pas nombreux peut-être, mais ressentant cet appel à être les humbles précurseurs du Seigneur Jésus, pour préparer et accompagner leurs frères et sœurs dans la rencontre de Jésus, pour préparer l’Église qui renaît.
Chers ordinands, sans doute y-a-t-il dans votre entourage, parmi vos amis, parfois chrétiens pratiquants, des gens qui tout en admirant votre engagement, s’interrogent (voire s’inquiètent) : prêtre, célibataire, mal payé, peu reconnu, dans un temps où le message de l’Église passe mal etc. Tu es sûr que c’est cela ? A vous de leur transmettre votre regard d’espérance, qui voit l’invisible : partout, autour de nous, la soif de sens, de bonté, de reconnaissance dans un monde saturé de mots, d’images, de violence. Un regard qui voit la moisson abondante…et les ouvriers, encore trop peu nombreux, qui s’y engagent. Des ouvriers en qui, sans cacher l’ampleur et la rudesse de la mission, Dieu instille le bonheur d’être de simples serviteurs. Je sais – et je m’en réjouis- que vous comprenez déjà cela de l’intérieur : le sens de cette vie de prêtre, son rayonnement et sa mystérieuse fécondité. Dieu ne vous choisit pas par hasard.
Il est bon encore de redire à tous ce dont vous êtes bien conscients : le sacerdoce ne fait pas de vous des êtres asexués et déconnectés, entre ciel et terre, comme dans les cultes païens. Vous restez fils de vos parents, frère de vos frères et sœurs, amis de vos amis. Vous avez les mêmes besoins fondamentaux que les autres, à commencer par celui de l’amitié et de la fraternité (celle de vos frères prêtres, des consacrés et des laïcs). Votre combat pour la fidélité est celui de bien des gens, mariés ou consacrés. Vous n’êtes pas des surhommes, ni non plus des sous-hommes, mais des personnes à respecter. Ordonnés, vous continuez votre pèlerinage humain : il n’est pas écrit d’avance. Votre ministère de prêtre, non plus, n’est pas écrit d’avance. L’aventure d’être prophète du Très-Haut est au long cours. Les surprises de Dieu sont loin d’être épuisées.
Revenons alors à la lecture d’Isaïe : Il a fait de ma bouche une épée tranchante, il m’a protégé de l’ombre de sa main, il a fait de moi une flèche acérée, il m’a caché dans son carquois. Isaïe, comme Jean-Baptiste, Saint Paul et les autres, ne minimisent jamais l’origine divine de leur vocation. Elle est reçue de Dieu comme ministère d’humilité, au service de la révélation. Elle est unique en son genre, partagée avec quelques-uns et vécue pour tous. Elle a la pureté cristalline d’une source. Elle est une flèche qui transperce le cœur, une blessure d’amour qui jamais ne se ferme. En y étant fidèles, vous serez préservés de l’entre-soi clérical et de toute tentation de prendre la place de Dieu.
Vous y resterez fidèles par votre prière régulière ancrée dans l’Écriture Sainte, par ces incroyables cadeaux que sont les sacrements, que vous célébrerez pour le peuple chrétien, par votre compassion pour les brebis égarées et sans berger, par vos examens de conscience, votre ascèse de vie et vos discernements de ce que Dieu attend de son Église aujourd’hui. Ainsi, « par l’exercice loyal et inlassable de votre ministère dans l’Esprit du Christ » (P.O), dont souvent vous embrasserez la Croix, vous deviendrez des hommes saints, d’une sainteté qui dérange et éblouit, la sainteté des humbles, incapables de retirer les sandales du Seigneur Jésus, parce que redevables en tout de sa miséricorde.
Cher Jean-Baptiste, en étant ordonné pour les lazaristes, tu nous redis la priorité de la mission, tous azimuts et décloisonnée. Tu nous rappelles l’amour préférentiel pour les pauvres et la connaissance qu’ils ont déjà de Dieu, et tu nous redis l’appel à un ministère de prêtre fraternel et qualitativement formé.
Cher François, en choisissant le clergé diocésain, tu témoignes de la beauté des enracinements, du don de ta vie jusqu’à ton dernier souffle, en ce terroir, pour une population au service de laquelle l’Église se renouvelle de jour en jour.
Vos vocations s’appellent l’une l’autre. Elles nous ramènent à la nôtre : être de petits enfants, joyeux et candides en dépit de tout, heureux d’être l’Église de Jésus, qui marchent devant à la face du Seigneur, pour préparer ses chemins. Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens