Pélerinage à Lisieux 1er mai 2023, fête de St Joseph travailleur.

Chers frères et sœurs,

Le premier mai est associé à l’expression « Fête du Travail » qui donne à tous une journée de congé et une occasion de manifester pour que le travail respecte la dignité et les besoins de chacun. Pour beaucoup, et peut-être certains d’entre vous, le travail n’est guère associé à la fête et la perspective d’être en retraite est une perspective consolante.

Dans la liturgie de l’Église, Saint Joseph a été associé à ce jour : par son travail réel d’artisan, humblement, vécu comme un service, il a permis au Christ d’avoir un toit, une subsistance et sans doute un métier, ou en tout cas une compétence. Cette figure de Saint Joseph relie le travail au service des autres et du Seigneur. C’est aussi pour cela qu’on peut fêter le travail : il est (ou devrait être) non pas une corvée ou un pis-aller, mais d’abord un service et une participation de l’homme, image de Dieu, à l’œuvre du Créateur.

Dans l’Évangile que nous venons d’entendre, ce n’est pas dans le métier de charpentier que Jésus se reconnait, mais dans celui de Berger. Je suis le Bon Pasteur. C’est une profession très noble qui mobilise de magnifiques qualités de patience, de calme, d’attention à chacun, de souci de protéger et de prendre soin, de guider avec sagesse, de nourrir et de faire grandir sans laisser personne se perdre. Un travail de veille, de jour comme de nuit. Le Pasteur donne sa vie pour ses brebis. Il ne délègue à personne cette mission. C’est sa responsabilité, qu’il exerce avec grande conscience professionnelle.

Jésus dit : voilà pourquoi le Père m’aime, parce ce que je donne ma vie pour mes brebis, pour la recevoir à nouveau. Le travail – mais aussi toute notre vie – a du sens, lorsqu’il est placé sous cette horizon : donner sa vie pour les autres. Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. Jésus parle d’une manière d’être décentré de lui-même vers les autres. Donner sa vie, dit-il, tout en ajoutant : et la recevoir à nouveau. Il n’y a pas de vrai don, sans retour « au centuple » dira-t-il à ses amis. Non pas que le donateur cherche une reconnaissance, une rétribution, une récompense, un intérêt personnel en se donnant. Non, l’amour est gratuit, comme celui d’une mère pour son enfant. Il n’attend rien en retour. Et pourtant le simple fait de se donner est une source de joie profonde. C’est le témoignage d’une vie qui a du sens, portée par une espérance pour les autres et pour ce monde.

On se demande pourtant parfois comment se donner vraiment. Que devons-nous faire ? C’est la question posée aux apôtres à la suite de leur annonce de la Résurrection de Jésus. Ce pour quoi je me donne aujourd’hui, est-ce vraiment ce que Dieu attend de moi ? Ne dois-je pas faire autre chose, changer de regard sur ma vie, sur le monde, sur l’Église, pour que mon travail, mes engagements soient vraiment sensés, serviables et sources de sérénité ?

L’exemple de Saint Pierre dans la première lecture est éclairant : il est bénéficiaire d’une extase étrange. Il met du temps à comprendre qu’elle vient de Dieu. Le Seigneur est en train de lui faire comprendre que l’annonce du kérygme n’est pas seulement pour les juifs mais aussi pour les nations, pour tout l’univers en somme. Pierre veut donner sa vie pour le Christ en étant tout à sa mission. Jésus lui fait comprendre que le centurion Corneille et sa famille romaine (non juif) attendent, eux aussi, la Bonne Nouvelle. Le chantier missionnaire de Pierre s’élargit d’un coup sous ses yeux. Il comprend bien vite qu’il est loin de la retraite ! Mais, dit-il, à ceux qui lui font reproche d’ouvrir à tous l’annonce de l’Évangile : Qui étais-je pour empêcher l’action de Dieu ? Pierre a compris, discerné, que son extase bizarre venait de l’Esprit Saint qui a saisi tous les habitants de la maison sous ses yeux. Il a su percevoir que son action inattendue de baptiser des païens était en fait un désir de Dieu lui-même.

Qui suis-je pour empêcher l’action de Dieu ? Nous pouvons nous poser la même question. Est-ce que ma vie favorise ou empêche l’action de Dieu ? Il y a bien des événements de la vie qui nous troublent et nous tracassent : quelle est la volonté de Dieu dans ces événements ou situations parfois douloureuses que je vis ? Dieu les permet, certes, et je ne veux pas croire qu’il soit cruel, lui qui est amour, mais comment accueillir sa grâce et son appel dans ce que je vis ? La lecture de ce jour nous convainc au moins de ceci : la lumière nous vient si nous demandons à l’Esprit Saint de nous éclairer et si nous nous mettons à son écoute : Seigneur, par l’Esprit saint, même si tu ne me donnes pas d’extase étrange, illumine-moi intérieurement et fais moi comprendre ce que tu m’appelles à vivre aujourd’hui, au sein des événements et relations, parfois si inattendus, de ma vie quotidienne ? Que veux- tu me donner ou me dire à travers eux ? Comment veux- tu me faire grandir, me faire aimer davantage la vie, et approfondir ma vocation chrétienne ?

Sainte Thérèse de Lisieux nous éclaire, elle aussi : en femme d’oraison toute donnée à Dieu, elle nous appelle à l’abandon total entre ses mains, pour comprendre à quel point nous sommes destinataires des dons et de la présence de Dieu, à quel point notre vie tout entière est en sa main. Elle avait de grands désirs, comme celui de partir vivre dans un Carmel de mission, si cela était la volonté de Dieu. Mais Dieu attendait d’elle autre chose : il attendait le grand service d’une vie livrée par amour et sans retour, une vie d’une brièveté fulgurante qui porterait des fruits innombrables pour la mission de son Église. Son travail était simple et il fut pourtant un chantier de titan : il lui fallait être une femme de prière, par tous les pores de son être, et elle le fut. Elle vécut l’humble et grand travail de la prière, dans sa gratuité, dans sa pauvreté, comme un service rendu aux autres, à l’Église et au Seigneur. La vie donnée de la petite Thérèse, à la suite du Bon Pasteur, fait d’elle aussi une bergère sûre : grâce à elle nous acceptons toute chose comme venant de Dieu, non pas forcément voulue par lui, mais capable de nous faire entrer dans les secrets de son amour, et le sens des événements.

En cette fête du travail, permets Seigneur, que nous remettions sans cesse sur le métier l’effort de nous donner nous-mêmes et de servir ta gloire. Et nous saurons, du fond de notre être ce qu’est la fête du travail, et nous serons capables aussi de soutenir en ce monde tous ceux qui sont privés de conditions de travail qui respectent leur dignité. Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Évêque d’Amiens