Homélie pour les 60 ans de l’Eglise Sainte Thérèse d’Amiens

Chers frères et sœurs,

60 ans, c’est bien jeune. Mais 2000 ans aussi, c’est jeune. C’est en tous cas, la pensée qui nous vient en écoutant la Parole de Dieu en ce jour : On ne peut qu’être frappé par la jeunesse et l’actualité de leur contenu. Les Béatitudes n’ont pas pris une ride, et ne sont pas prêtes d’en prendre ! Voilà pourquoi nous pouvons être heureux que tant de lieux de prière aient été édifiés au long des âges – cathédrales, églises, chapelles ou modestes oratoires -, notamment cette église sexagénaire de Sainte Thérèse. Car ils sont les lieux où retentissent sans fin ces paroles de bonheur : heureux les pauvres de cœurs, les doux, les artisans de paix et tous ceux qui sont persécutés au nom de Jésus. Heureux sommes-nous, oui, qu’il y ait eu au long des âges et en bien des lieux de notre terre, non seulement des édifices chrétiens mais aussi des pierres vivantes, des baptisés en grand nombre et de toutes origines, pour les remplir, pour y prier et célébrer les sacrements, pour y écouter la Parole de Dieu et ensuite chercher à la mettre en pratique et à l’annoncer dans la vie de notre monde. Dans ce quartier notamment, témoin d’une formidable diversité humaine de tant d’origines, d’une grande jeunesse, cette église dédiée à la petite Thérèse de Lisieux, patronne des Missions apparaît comme un signe fort pour chacun de vous qui en êtes ses paroissiens… afin que vous n’ayez pas peur de dire à tous comme le prophète Sophonie : Cherchez le Seigneur, vous les « anawim », les petites gens, le peuple de humbles… Même si vous êtes un peuple pauvre et petit, qu’importe : le Seigneur prendra soin de vous ; il sera un abri pour vous.

Je laisserai chez toi un peuple humble et petit
Il prendra pour abri le nom du Seigneur (…) nul ne viendra les effrayer.

C’est d’ailleurs notre prière à chaque messe, après le Notre Père, dans la nouvelle traduction du Missel :

Soutenus par ta miséricorde
Nous serons libérés du péché
A l’abri de toute épreuve

Dieu ne cherche pas à constituer une armée de mercenaires, une élite fortunée, ni des cercles savants pour témoigner de Lui. Il se fait proche, – et c’est la nouveauté qu’annonce le prophète Sophonie -, d’un peuple simple, humble et pauvre et c’est par ces humbles du pays qu’il va révéler qui il est et ce qu’il veut. Alors, en ce dimanche retenons les 3 appels du prophète, essentiels pour notre vie de croyants :
– Cherchez le Seigneur.
– Cherchez la justice.
– Cherchez l’humilité.

Depuis 60 ans, il y a eu ici plusieurs générations de chrétiens : l’enthousiasme des années 60, du Concile Vatican II et de la JOC, la crise et les remises en question des années 70/80, puis l’arrivée des vagues d’immigration : des chrétiens de divers horizons enrichissant la vie de nos paroisses alors que les « locaux » pratiquaient moins, et depuis les années 2000 : un climat de société marqué par les tensions et les peurs, des difficultés économiques, des radicalisations diverses et une Église elle-même qui change beaucoup : moins de pratiquants autochtones mais de plus en plus de jeunes adultes qui demandent le baptême, une église des peuples diversifiée et joyeuse, et puis, et puis… l’arrivée de nos chères sœurs de Saint Vincent de Paul l’an passé. Bonne nouvelle, non ? Derrière un hiver apparent, des pousses sont en train de fleurir.

C’est un appel pour nous, en ce jour anniversaire de l’église Sainte Thérèse et en ces temps nouveaux que nous vivons. Il me vient l’appel de Jésus à Saint François d’Assise au XIII° siècle dans la petite chapelle San Damiano : « Va et répare mon Église qui, comme tu le vois, tombe en ruines ». Répare mon Église. Saint François pense d’abord qu’il s’agit de cette chapelle qu’il va donc réparer. Et nous pouvons aussi nous demander en ce jour anniversaire : Comment embellir cette église Sainte Thérèse, qui est déjà jolie, mais qui aurait peut-être besoin d’un petit lifting ? (À 60 ans on peut y penser !).

Mais plus profondément, comme Saint François d’Assise, on peut comprendre que réparer l’Église ce n’est pas en repeindre seulement les murs ou changer ses structures. C’est d’abord faire souffler le vent joyeux des Béatitudes autour de nous. Et chacun de nous a sa grâce propre pour cela. J’ai trouvé ma vocation ! disait la petite Thérèse : « Au cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour » ! Rien que cela. Dès ses 13 ans, elle avait reçu une grâce forte qui l’appelle à rayonner de Jésus. Elle écrit ainsi dans ce style qui lui est propre :

« Un Dimanche en regardant une photographie de Notre-Seigneur en Croix, je fus frappée par le sang qui tombait d’une de ses mains Divines, j’éprouvai une grande peine en pensant que ce sang tombait à terre sans que personne ne s’empresse de le recueillir, et je résolus de me tenir en esprit au pied de la Croix pour recevoir la Divine rosée qui en découlait, comprenant qu’il me faudrait ensuite la répandre sur les âmes. Le cri de Jésus sur la Croix retentissait aussi continuellement dans mon cœur : « J’ai soif ! ». Ces paroles allumaient en moi une ardeur inconnue et très vive. Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes. Ce n’était pas encore les âmes de prêtres qui m’attiraient, mais celle des grands pécheurs, je brûlais du désir de les arracher aux flammes éternelles. »

Saint Thérèse fut, dit-elle, « dévorée par l’amour des âmes », et à l’écoute de la soif de Jésus (comme le fut Mère Térésa). Une manière d’exprimer son amour de Jésus au quotidien qui va la pousser à vivre les Béatitudes à sa manière, dans son Carmel. Nous aussi, nous commençons par regarder Jésus vivre les Béatitudes, car c’est Lui l’homme des Béatitudes. Il les a toutes incarnées. Et dans un esprit missionnaire, nous nous disons : et moi, quelle est ma béatitude préférée ? Avec laquelle puis-je autour de moi allumer une petite flamme missionnaire, faire du bien, transmettre l’amour de Jésus. Par mes larmes, par ma paix, par l’amour de la simplicité et ma pauvreté de cœur, par ma douceur, par mon exigence de justice, par mon courage à témoigner de ma foi en Christ dans un entourage hostile qui cherche à étouffer la parole et la présence des chrétiens dans notre société ?

Chacun de nous a sa Béatitude… et peut-être plusieurs. Même si nous nous sentons timides et petits, pauvres et sans talents, ne sachant pas parler ou que suis-je ? Saint Paul, qui cherche à expliquer aux Corinthiens, de quels apôtres Jésus a besoin, leur dit (nous venons de l’entendre):

 

vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien :
parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes,
ni de gens puissants ou de haute naissance.
Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde,
voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ;
ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi,
pour couvrir de confusion ce qui est fort ;
ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde,
ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi,
pour réduire à rien ce qui est

 

Chers amis, en ce beau jour anniversaire de cette église, c’est vers le mystère de l’Église que nous sommes plongés : ne sommes-nous pas ce peuple des pauvres de cœur dont Jésus a besoin ? Un peuple humble pour faire du cœur du monde, non pas un cœur dur, mais un cœur d’or, celui de Sainte Thérèse et de Saint François, un cœur qui palpite au rythme des Béatitudes et transmet la joie au monde. Que la fête ce jour nous relance dans l’aventure de la foi. Chers paroissiens de Sainte Thérèse, joyeux anniversaire ! Amen.

+ Mgr Gérard le Stang
Evêque d’Amiens