Homélie pour la Toussaint 2022 à la Cathédrale d’Amiens

Frères et sœurs, vous connaissez sans doute le refrain de ce beau chant :

Les saints et les saintes de Dieu s’avancent vers le roi des cieux
Par leurs hymnes de joie ils célèbrent sans fin celui qui donne vie

Ce chant fait écho à l’hymne antique du Te Deum, jubilation de l’Église de la terre et du ciel : elle loue et glorifie la sainteté de Dieu. La sainteté de Dieu, c’est-à-dire son être même, car Dieu est amour, et la sainteté, c’est l’amour dans son extrême pureté, dans son essence même. L’amour qui est à la fois humble donation de soi jusqu’à l’extrême, mort/résurrection et renaissance, larmes de souffrance et ruissèlement de joie. Quiconque a ressenti une fois dans sa vie que Dieu est le bel et humble amour, le pur et saint amour, l’amour sans limite, la sainteté infinie, fait de sa vie un acte de gratitude, un écho, un reflet, une incarnation de cette sainteté.

Les saints et les saintes de Dieu s’avancent vers le roi des cieux
Par leurs hymnes de joie ils célèbrent sans fin celui qui donne vie

Baptisés et incorporés dans l’Église qui est déjà communion des saints, nous voulons nous aussi devenir hommes et femmes des Béatitudes pour célébrer sans fin celui qui donne vie. Nous sommes aimantés par la sainteté de Dieu. C’est par elle que chaque matin nous nous levons, attirés non par la macération dans la tristesse, la fascination pour le mal ou le morbide, mais ouverts à la vie, reçue comme un don, un appel, une grâce. Nous avons la mémoire peuplée de tant de gens, 144000 peut-être, dit l’auteur de l’Apocalypse, c’est-à-dire une multitude, qui ont vécu par amour et qui nous ont fait du bien. Des amis, des saints, des pauvres de cœur, des artisans de paix, des cœurs purs et miséricordieux. Ils sont le cristal pur et étincelant de notre humanité. Ils sauvent le monde avec Jésus, et lavent chaque jour la misère de notre Église, la rappelant inlassablement à sa mission sainte. Rien n’est jamais perdu. L’horizon de la sainteté est une lumière joyeuse que rien ne peut altérer.

Chrétiens, nous nous savons mortels. Nos pas nous portent vers cet instant où nous remettrons notre esprit entre les mains du Père, vers cette heure où nous laisserons derrière nous toute possession terrestre, y compris celle de notre corps qui donna chair à tant de nos désirs, à tant de liens, pourtant si chers. Nous savons déjà que ce moment ultime ne sera pas un échec. Nous ne voyons pas venir la mort comme un spectre qui nous effraie, mais comme un passage, même si c’est le plus tard possible, qui accomplira enfin ce désir de voir la sainteté de Dieu, si profondément ancré en nous.

J’ai à l’esprit un souvenir tout récent vécu non loin d’ici : dans une Église paroissiale, toute une famille entrant derrière le corps d’un de ses membres, mort à 30 ans. Ils chantent a capella la prière de Saint Charles de Foucauld :
« Mon Père, mon père, je m’abandonne à toi, fais de moi ce que tu voudras… », portés par une assemblée à la fois compatissante et médusée devant cette confiance en Dieu qui nous attire mystérieusement et douloureusement dans la sainteté d’un amour plus puissant que la mort.
Au cours du siècle passé, un essayiste célèbre parfois encore influent en notre temps, y compris chez certains chrétiens (bien que condamné par l’Église), voulut expurger l’Évangile du Magnificat de Marie et des Béatitudes. C’était vraiment ne rien comprendre à l’essence même du Christianisme. Le Magnificat de Marie est une exultation face à la sainteté de Dieu qui nous attire vers la joie, en démasquant toutes nos bassesses humaines. Dieu révèle à ses saints et saintes, parfois sacrifiés dans l’oubli et l’horreur, que tous les âges les diront bienheureux. Quant aux Béatitudes, qu’il faudrait chanter chaque jour dans la Liturgie des Heures, comme le Magnificat, elles sont la jubilation sainte de Jésus, le pauvre de cœur par excellence, qui nous entraîne dans son sillage.

Souvent, nous reconnaissons comme Saint Jean, avec une once de désarroi : le monde ne nous connaît pas car il n’a pas connu Dieu. Plutôt que de tirer orgueil d’une telle connaissance de Dieu, demandons-nous si vraiment, nous l’avons connu, de telle manière que ceux qui nous voient, désirent y croire. Même s’il n’est pas venu ce moment ultime où nous serons semblables à Lui parce que nous le verrons tel qu’il est, soyons honnêtes : ces yeux de la foi, ces yeux purs et bons qui regardent toute vie comme don de Dieu, sont-ils les miens ? Ces yeux de l’amour, parfois pleins de larmes, ces yeux qui respectent chacun et se portent au secours du pauvre, sont-ils les miens ? Ces yeux de l’espérance, qui voient plus loin que l’erreur, la faute ou le péché, sont-ils les miens ? Nous avons le droit, et même le devoir de témoigner comme Saint Jean, et d’oser dire : nous avons connu Dieu, car sa présence peut être discernée à bien des reprises dans nos existences, de façon bien plus prégnante que celle du diable, du mauvais esprit qui ne rate pourtant pas une occasion de vouloir nous aveugler. Oui, nous avons connu Dieu. Au soir de chacune de nos journées, qu’une conscience vive nous en soit donnée, avec gratitude. Dans le sourire d’un enfant, un cœur de compassion, un engagement pour la Création, la bonté d’un geste, une sainte colère, un verset d’Évangile qui nous parle tout à coup, et de tant de délicates manières, Dieu vient à nous et rend sainte la vie de ce monde.
Ainsi, grandit en nous le désir de cette sainteté et la soif, sans cesse croissante d’être participants de la communion des saints, ceux de la terre et ceux du ciel.

Les saints et les saintes de Dieu s’avancent vers le roi des cieux
Par leurs hymnes de joie ils célèbrent sans fin celui qui donne vie

Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens