» Audace » Rencontre des chefs d’établissements catholiques de Picardie

Chers amis,

La lecture tirée du Livre de Daniel (un des derniers livres de l’Ancien Testament, que nous lisons avant d’entrer en Avent) nous ramène à un temps où le peuple d’Israël était sous occupation, qui fut aussi un temps de persécution et d’idolâtrie. Le texte raconte un événement troublant, une inscription énigmatique, soudaine et « paranormale » d’apparence. Cela suscite crainte et tremblement : qui écrit ? Quel sens ? Y-at-il donc des forces obscures qui nous échappent et nous dominent ? Bien des gens aujourd’hui ont encore ce type de ressenti, et pas seulement des « petites gens » mais aussi des gens diplômés et scientifiquement formés, dans les épreuves inexpliquées notamment. Ce fait suscite crainte et tremblement, et une quête de sens ? Où chercher ? On se tourne alors vers ceux qui ont une sagesse reconnue, qui sont porteurs d’une tradition qui a fait ses preuves. Je me souviens ainsi, quand j’étais vicaire à la cathédrale de Quimper, d’un groupe d’étudiants assez peu cathos, effrayés des effets produits par le fait d’appeler les esprits et de « faire tourner les tables ». C’est vers un prêtre qu’ils se tournent dans leur effroi. Qu’avons-nous fait ? se disaient-il. Qui produit cela ? Occasion d’une discussion de fond sur la liberté humaine, la vie surnaturelle, l’originalité de la foi chrétienne ; occasion aussi de prier pour eux.

C’est ce que fait le prophète Daniel dans le texte que nous venons de lire. Daniel connaît la parole de Dieu et l’interprète. Il est désintéressé à l’égard de l’argent et du pouvoir : Cette liberté intérieure lui donne le courage de s’adresser au roi, et de l’interpeller sur ses pratiques et sa conscience. C’est une question pour nous : Avons-nous nous -même cette liberté intérieure, libre des vanités de l’argent et du pouvoir, cette liberté de conscience qui donne de la hauteur de vue sur les angoisses du moment, qui donne courage et joie profonde. ?

L’évangile va dans le même sens. Il est écrit aussi dans le genre littéraire apocalyptique, qui décrivent la venue de Dieu après un temps de persécution des croyants et un effondrement cosmique. En notre époque de collapsologies catastrophistes, ce genre de littérature refleurit : le monde va à sa perte sous l’effet de ses dérèglements environnementaux et sociaux. Qui peut objectivement le sauver de l’effondrement ? Qui va lui donner sens et espérance ? Comme dans l’Évangile, nous demandons : Ne sont-ils pas déjà là ces temps d’opposition où nos convictions de foi sont battues en brèche, même au sein de nos propres familles ? Ces temps nous mettent comme au pied du mur, bien au-delà des troubles liés au covid ou des inquiétudes liées à la basse des effectifs dans l’enseignement catholique et autres contrariétés qui nous usent. Croyons-vous ou pas à cette force du Christ plus forte que le chaos ? Y-at-il en nous la force intérieure de l’Esprit qui nous fait témoigner d’autre chose, un langage, une sagesse qui viennent d’ailleurs, qui réjouissent notre cœur et nous tiennent dans l’espérance ?

La Parole de Dieu nous ramène à notre intériorité qui rend libre, qui garde confiant et libère de l’inquiétude excessive, et confère une certaine paix, une sérénité, un repos. Un niveau de vie intérieure plus profond que celui de la simple méditation physique ou psychologique, plus profond que nos inquiétudes névrotiques ou métaphysiques, ce cœur du cœur, ce fond de notre conscience où nous sommes face à Dieu.

Un saint anglais canonisé récemment, le Cardinal Newmann écrivait : « On peut (…) définir un vrai chrétien comme un homme qui a un sens souverain de la présence de Dieu en lui. (…) Un vrai chrétien ( …) est celui qui, en ce sens, a en lui la foi, au point de vivre dans la pensée de cette présence divine, en lui – présence non extérieure, non seulement dans la nature ou dans la providence, mais au fond de son cœur, ou dans sa conscience. Lui seul admet le Christ dans le sanctuaire de son cœur… » 1 . Cela ne consacre pas une religion privée sans institution, liturgie, rites, corpus ou autorités mais cela nous dit ceci : il y a une hauteur de vue, ou une profondeur de vue proprement chrétienne qui donne un regard particulier sur la réalité. Newman disait aussi : « Je suis catholique en vertu de ma croyance en un Dieu ; si l’on me demande pourquoi je crois en Dieu, je réponds : c’est parce que je crois en moi-même. Car je sens qu’il est impossible de croire en ma propre existence (fait dont je suis certain) sans croire aussi en l’existence de Celui qui vit dans ma conscience comme un Être personnel » 2

Nous voilà donc invités, pour vivre avec une audace et un courage libérés de la peur, à rechercher au plus profond de nous-mêmes, cette même Présence de Dieu , et à partir de celle-ci, relier toutes les facettes de la réalité, donnant du sens à ce qui en a, et nous permettant de nous détacher de ce qui superficiel, inutile, à courte vue, de l’ordre du gadget, de nous éloigner aussi de ce qui clive, divise et oppose, de ce qui effraie et nous entraîne dans une fuite en avant le nez sur le guidon. Relier en unissant profondeur et réalité, la terre et le ciel, l’intérieur et l’extérieur, le temporel et l’éternel, c’est la fonction même de la religion, dont nous avons besoin pas seulement aux marges de notre vie mais en son centre le plus profond.

En ces temps de dispersion, d’archipelisation des savoirs, des groupes humains, des idéologies, demandons à Dieu cette intériorité d’hommes libres, qui était celle de Jésus dont on se demandait : mais d’où lui vient cette autorité ?

Amen

+ Gérard le Stang.
Évêque d’Amiens

1 « Sincérité et Hypocrisie » Sermons paroissiaux, 16, Cerf, Paris, 2000.
2 Apologia pro vita sua. P. 384.

En ces temps de dispersion, d’archipelisation des savoirs, des groupes humains, des idéologies, demandons à Dieu cette intériorité d’hommes libres, qui était celle de Jésus dont on se demandait : mais d’où lui vient cette autorité ?