Homélie de la messe chrismale

Homélie de Monseigneur Olivier LEBORGNE
Messe chrismale

Mardi 31 mars 2015 Bray-sur-Somme

« Le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé.. » L’oracle du prophète Isaïe qui se réalise et s’accomplit en Jésus associe consécration et mission. Jésus le consacré de Dieu est l’envoyé du Père. Et par l’onction baptismale, associés que nous sommes à sa consécration, nous le sommes également à sa mission.

Contre toute tentation fondamentaliste, nous le savons, cette mission est d’essence d’abord spirituelle. « Le Seigneur m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Nous n’allons ni vider les prisons, ni faire de nombreux miracles médicaux, ni trouver les solutions magiques à la crise, ni même n’assurer aucune embuche pour l’année à venir. Les fondamentalismes ont fait trop de dégâts à travers l’histoire pour que nous n’y soyons pas attentifs.

Mais qu’est-ce à dire ? De quoi parlons-nous quand nous évoquons la dimension spirituelle de la personne humaine et de la mission ?

Le spirituel, dans la foi chrétienne, ne renvoie pas à une transcendance évanescente ou vaporeuse ni à un hors monde volatile. Le spirituel, en christianisme, renvoie à ce lieu le plus intime et le plus secret de l’homme, ce lieu de la liberté fondamentale à partir duquel chacun se construit pour ce qu’il est, à savoir unique et en relation. Ce lieu peut être enfoui, abîmé, jusqu’à en être oublié. Il n’est est pas moins et demeure toujours pour chacun le lieu central de son être, le lieu de sa structuration, le lieu de sa croissance et de sa conscience morale, le lieu de la demeure de Dieu en lui – et cela indépendamment du fait qu’il le nomme ou non. Ainsi, c’est au plus intime de la chair que le spirituel se déploie pour donner à chacun sa figure unique d’humanité, pour qu´il puisse devenir un homme ou une femme de relation et d’avenir.

Dans quelques minutes, nous aurons la joie de vivre la bénédiction des huiles saintes, nous entrerons dans cette belle prière de l’Eglise qui, par des signes concrets – ici l’onction d’huile -, non seulement introduit au sens profond de la vie, mais en ouvre les chemins par la grâce sacramentelle.

Je consacrerai le saint chrême. Cette huile parfumée dont on marque les baptisés, celle avec laquelle l’évêque donne le sacrement de confirmation, celle par laquelle est conférée l’ordination sacerdotale. C’est le signe de l’Esprit Saint qui imprègne profondément la vie du croyant, qui le fait fils ou fille de Dieu, qui déploie une force spéciale pour être témoin du Christ ressuscité, qui configure au Christ pasteur pour aimer et servir afin que tous les baptisés puissent déployer au cœur de leur vie et de la vie du monde les richesses de l’Esprit.

Il me paraît urgent de mesurer combien cette réalité parce qu’elle est profondément spirituelle, est éminemment politique C’est-à-dire qu’elle rejaillit sur la vie sociale et a aussi pour visée le service du bien commun et de la cité. Je le soulignais déjà à la fête de la saint Firmin. Par les sacrements de l’initiation, devenant fils et filles du Père nous sommes donnés les uns aux autres comme frères et sœurs, annonçant ainsi ce que Dieu veut faire de l’humanité entière.
Il nous faut approfondir cela dans ces implications concrètes. Accueillir cette onction de l’Esprit, c’est se laisser entraîner sur un chemin où se tissent ensemble justice et vérité, charité et miséricorde. C’est se laisser stimuler dans le travail d’intelligence qui, s’il refuse l’angélisme, refuse tout autant les simplismes. C’est accepter de se recevoir d’une source vive qui nous donne avec elle au monde. C’est alors renoncer à ce que nos peurs puissent devenir des normes ; c’est alors renoncer aussi bien au relativisme qu’au repli identitaire qui conduisent tous les deux à la violence.

Parce que c’est sur la chair qu’est faite l’onction et dans la chair que se donne l’Esprit, la transcendance vient traverser le plus concret pour lui désigner son horizon, nous rappeler la dignité inaliénable de l’homme et nous mettre à son service. Et le réalisme qui nous fait rejeter l’angélisme, à cause du baptême, ne sera jamais l’alibi de renoncer à la fraternité.

La bénédiction de l’huile des malades nous invite à creuser cela. Le salut que Dieu veut pour tous, il l’offre avec prédilection aux plus démunis, tout particulièrement nos frères et sœurs malades. Redécouvrir ce sacrement, ce n’est pas seulement réveiller en nous le « réflexe de la grâce » comme y invite la relatio synodi de la session extraordinaire sur la famille, mais c’est aussi rappeler à nos communautés comme à notre société quel doit être leur centre : les plus pauvres et les plus démunis. C’est à partir d’eux qu’elles doivent se construire. Il y a quelque chose d’urgent à réentendre aujourd’hui. Le projet de loi sur la fin de vie, adopté au parlement et qui doit bientôt passé au sénat, laisse entendre, dans un de ses articles, qu’une vie pourrait être inutile. Entendons-nous la gravité extrême de cela ? Quand on commence à juger de l’utilité ou non d’une vie, quand on en fait de l’utilité la norme de sa dignité, ce sont les plus démunis qui sont les premiers atteints, c’est l’humanité dans son fondement que l’on attaque, et donc la vie sociale que l’on détruit.
En remettant au centre, avec l’huile des malades, les plus démunis, j’ai parfaitement conscience qu’avant d’interpeler les responsables politiques, c’est moi-même et vous avec moi que j’interroge. La pression de l’urgence et de la dispersion, la lassitude aussi parfois générée par les incertitudes sur l’avenir comme par le sentiment d’être impuissant, font que cette consécration-mission pour les plus pauvres n’est pas toujours première ou centrale dans nos préoccupations. Reconnaissons-le, sans nous culpabiliser mais sans nous résigner, cela n’est pas normal. Et demandons à l’Esprit de nous régénérer pour accueillir de lui et oser des chemins nouveaux pour vivre ensemble. Je voudrais ici tout particulièrement dire aux membres des ECP chargés du « servir » combien leur mission me paraît importante. C’est aussi pour moi l’occasion de vous annoncer qu’à la rentrée prochaine nous essaierons de mettre plus de force au service de cette dimension dans laquelle tant d’entre vous sont déjà engagés, par la nomination d’une déléguée épiscopale à la charité et à la solidarité.

La vie dans l’Esprit dont l’onction est la marque est ainsi une dynamique qui n’est pas sans demander du discernement, de la force et du courage. Bref, du combat spirituel. Celui-ci n’est pas un accident dans la vie du chrétien, mais une réalité à assumer, une quête à désirer, un chemin de conversion toujours à emprunter. Je vais bénir aussi l’huile des catéchumènes. Elle est utilisée notamment pour les scrutins, en signe de la force et de la persévérance demandée et accordée par le Seigneur pour ce chemin du salut qu’ouvrent et accomplissent les sacrements de l’initiation.
L’onction de l’Esprit veut féconder la dimension la plus intime et la plus personnelle de notre vie, la dimension spirituelle de notre être. Et ainsi irriguer en puissance et souffle, vérité et charité, justice et miséricorde, notre vie entière.

Le don que Dieu nous fait au baptême, scellé dans la confirmation, renforcé au cœur de la maladie, ce don qui donne aux ministres ordonnés de servir le don de Dieu pour tous les hommes, ce don ne peut que susciter en nous l’action de grâce, le désir renouvelé d’y correspondre, et l’engagement résolu pour le monde.

Que le Seigneur soit béni !

+ Olivier Leborgne, Evêque d’Amiens