Homélie de Mgr le Stang pour les appels décisifs

Chers frères et sœurs,

Ce premier dimanche de carême coïncide avec l’appel décisif des adultes qui se préparent à recevoir les sacrements de l’initiation à Pâques. Pour vous, chers catéchumènes, grâce à plusieurs célébrations (les scrutins), la marche vers Pâques est une belle retraite spirituelle, vécue intérieurement et en communauté. Ces célébrations de l’appel décisif et des scrutins nous montrent combien Jésus – sa vie, sa Parole, son eucharistie -, continuent de nous attirer et de nous donner de la joie à être baptisés ou le désir de l’être, membres d’une Église vivante qui se renouvelle de l’intérieur et qui reçoit de nouveaux ouvriers pour la moisson. L’une d’entre vous m’écrivait dans sa lettre de demande : « depuis que j’ai rencontré le Christ, rien ne change dans ma vie, et pourtant tout change, car tout prend sens ». Beau résumé de la conversion et de la transformation de vie que la foi inaugure.

Jésus nous invite à sa suite, et vous vous êtes mis à sa suite, certains depuis déjà de longues années. L’évangile de Luc en ce dimanche nous rappelle que la suite de Jésus est parfois un rude chemin, une traversée du désert, pleine de tentations, que lui-même a éprouvé comme Fils de Dieu. La croissance vers la joie pascale peut être entravée par des tentations qui nous viennent de celui que la Bible appelle le diable, tentation auxquelles nous pouvons parfois céder, et qui deviennent  alors péché de notre part. Le Diabolos, en grec, c’est le diviseur : celui qui met de la division en nous, entre nous, et entre nous et Dieu. Dieu au contraire met de l’unité, de la communion, du pardon en nous, entre nous, et entre lui et nous. Jésus et son Esprit unifient notre vie et ne la déchirent pas.

Chacun d’entre nous pourrait exprimer les diverses tentations déjà rencontrées sur son chemin de foi : les épreuves qui nous font douter, le découragement, le sentiment que le mal ou la souffrance sont plus fortes que la bonté de Dieu, la méchanceté de certains, les divisions dans l’Église aussi etc. Ces tentations sont réelles et parfois tendues par des gens qui se présentent comme nos amis. Elles sont toujours à traverser, avec la grâce de Dieu. Le chrétien, disciple de Jésus, vit, tout au long de sa vie, un combat spirituel : un combat comme celui que Jésus vit contre Satan au désert. C’est un appel à renouveler chaque jour notre confiance en Dieu, à se remettre sans cesse en sa présence, et à grandir dans la charité, le don de soi et le service. N’oublions pas que Jésus a vaincu le diable, bien que tenté par lui, au désert et dans l’épreuve de la Passion. Nous vivons notre combat avec le Christ et par lui. Le diable est désormais impuissant. Notre foi en Jésus le chasse loin de nous.

Dans l’Évangile, on dit que le diable s’éloigne de Jésus en ayant épuisé toutes les formes de tentation. Quelles sont ces tentations ? La première : ordonne à ces pierres de devenir du pain. D’un clic. D’un coup poing sur le buzzer. En grattant un Millionnaire ou un Banco ! Le diable veut supprimer le temps. Tout tout de suite, et tu seras riche, repu et heureux. Vraiment ? Nous savons, à la suite de Saint Paul, que la patience est un don de l’Esprit (Ga 5,22). Le Pape François dit souvent : « le temps est supérieur à l’espace ». Et nous connaissons bien la sentence de la fable de La Fontaine : patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. Certains d’entre vous auraient voulu être baptisés tout de suite quand ils en ont fait la demande, mais vous mesurez aujourd’hui, je l’espère, combien il est important de laisser l’Esprit Saint faire son œuvre en nous avec beaucoup de délicatesse et de patience, accompagnés par des frères et sœurs.

Jésus ne veut pas se comporter en magicien ou faire croire qu’il n’a que l’apparence d’un homme. Le pain, il faut le gagner. Et quand il le multipliera pour les foules sans bergers, il commencera par accueillir les cinq pains et les deux poissons que lui donne un enfant. Lui-même se présentera comme le Pain de vie descendu du Ciel, notre nourriture pour notre vie humaine dont la faim n’est pas apaisée par un coup de baguette magique mais la multiplication du peu que nous avons, qui se fait don de Dieu. Au jour de votre baptême vous allez recevoir aussi l’eucharistie et recevoir le pain de Vie. Non pas un Pain magique, mais le Corps de celui qui est allé jusqu’au bout de son sacrifice d’amour et qui nous appelle à faire de même, avec patience et humilité.

La deuxième tentation est celle de la domination sur tous les Royaumes de la terre. Tout sera à toi. L’actualité de la guerre en Ukraine nous met hélas, sous les yeux, jusqu’où peut conduire la tentation de toute-puissance et le désir de domination d’un royaume de la terre. Le désir de tout posséder, d’avoir une emprise sur les personnes et les biens pousse à la plus grande des violences, à l’aveuglement. Chacun à notre niveau, nous pouvons être tenté par ce désir de puissance et de domination sur autrui, qui est une forme d’adoration des pulsions diaboliques, une manière de se prendre pour Dieu. Jésus répond : Devant Dieu seul, tu te prosterneras. Seul Dieu est Dieu. Et lui ne cherche à dominer personne par la violence, mais à conquérir le cœur avec tendresse. Jésus ira jusqu’à la croix et au pardon des ennemis. S’il est capable de se mettre en colère, de parler et d’agir avec une extrême fermeté, il ne force jamais la liberté de qui que ce soit. Que veux- tu que je fasse pour toi ? demande-t-il parfois à ses interlocuteurs.

« Regardez l’humilité de Dieu ». Nous chantons souvent ce beau chant. Le pouvoir et la gloire des royaumes de la terre ne sont pas notre affaire, car ils ne sont pas l’affaire de Jésus qui veut nous convertir ni par puissance, ni par force, mais par l’Esprit du Seigneur.

La troisième tentation est perverse car le diable se sert de la Parole de Dieu pour tenter Jésus et lui demande de se jeter sans parachute du haut du Temple, en se laissant porter par les anges. Il est écrit dans l’Écriture, dit-il. Il veut duper le Christ en laissant croire qu’il est de son bord, et que c’est son Père lui-même qui le pousse à faire du Temple de Dieu un lieu de performance plus spectaculaire qu’un saut à l’élastique. Mais Jésus connaît la Parole de Dieu. Il est lui-même la Parole de Dieu. Il lui répond aussi sec :  » tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu  » . Le baptême fera de vous des Porte-parole de Dieu comme les prophètes. Il vous faudra la méditer souvent. Nous venons d’entendre Saint Paul nous rappeler : Tout prêt de toi est la parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. C’est la Bonne Nouvelle de la Résurrection, de la transformation du cœur par l’amour infini de Dieu. Chaque jour, en chrétien, vous laisserez descendre cette Parole dans votre cœur, pour devenir vous-mêmes parole de Dieu. Alors la Parole sera en vous non un instrument de propagande ou de prosélytisme, mais une Bonne nouvelle qui réjouira vos frères et sœurs.

Catéchumènes et baptisés, nous formons tous un Peuple qui se souvient des merveilles que Dieu a fait en nous et pour nous au long du temps. L’araméen errant qui vécut en immigré en Égypte a donné naissance à un Peuple nombreux qui marche humblement en magnifiant l’amour de Dieu, dans l’attente de sa venue. Et Dieu est venu à nous. Il nous a parlé en son Fils, qui s’est fait Parole de Dieu et Pain de vie. Que l’appel que vous recevez aujourd’hui vous plonge déjà dans la joie profonde de Pâques. Amen

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+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens

Catéchumènes et baptisés, nous formons tous un Peuple qui se souvient des merveilles que Dieu a fait en nous et pour nous au long du temps.

Que l’appel que vous recevez aujourd’hui vous plonge déjà dans la joie profonde de Pâques