Enjeux éthiques autour de la fin de vie

Les enjeux spirituels de l’accompagnement en fin de vie, Intervention du père Bruno CAZIN

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Une centaine de participants pour cette formation proposée par le service de la formation permanente et la Pastorale de la santé du diocèse. Les débats actuels autour de la fin de vie nous concernent tous et les enjeux éthiques sont importants. Pour éclairer ces questions ,deux interventions: Le père Olivier LEBORGNE répond à la question : « Qu’est-ce que la personne humaine selon la tradition chrétienne? » et le père Bruno CAZIN revient sur les enjeux éthiques de la fin de vie .

Perspectives chrétiennes au regard des évolutions actuelles de la Loi.

La thématique de votre journée de formation est motivée par la loi proposée par les députés Claeys et Léonetti récemment votée en première lecture à l’assemblée nationale. Nous reviendrons sur les points les plus importants de cette loi. Nous pouvons nous réjouir : ni l’euthanasie, ni le suicide assisté n’ont été autorisés. Un amendement en ce sens a été rejeté à une courte majorité. Néanmoins Marisol Touraine, ministre de la santé qui s’était personnellement exprimée en faveur de l’euthanasie en 2009 a estimé que « cette loi était une avancée significative» et qu’il ne fallait « pas bousculer la société française sur cette question ». La ministre semble s’inscrire dans le courant qui voit dans le droit à décider de sa mort un progrès pour l’homme. Nous comprenons en effet que s’affrontent différentes conceptions de l’homme, l’une privilégiant l’autonomie de l’individu, sa liberté de décision, sa maîtrise de la vie, l’autre davantage centrée sur la notion de personne humaine, ouverte aux autres et à la transcendance. Nous pourrions nourrir la polémique, nous mobiliser pour défendre ce qui nous paraît si important. Ce serait légitime au vu de la forte pression politique et sociétale qui tend à obtenir ce que certains appellent « l’ultime liberté ». La loi présentée récemment par les députés Léonetti et Claeys n’est que le nième épisode d’un combat législatif qu’on avait pu croire réglé avec la loi Léonetti de 2005 votée à la quasi-unanimité, et si un relatif consensus a été obtenu, au-delà des clivages habituels gauche-droite, une fraction non négligeable de députés en veut toujours davantage et considère la loi récente comme une étape dans un combat dont le terme à leurs yeux doit être la libéralisation du suicide assisté et de l’euthanasie. Il ne me paraît pas opportun d’alimenter la polémique et d’adopter une position défensive. Il me paraît plus important d’étayer une autre vision de l’homme et de la responsabilité qui nous incombe vis-à-vis des membres les plus fragiles de la communauté humaine et de continuer ce sur quoi insiste le projet de loi à savoir le développement des soins palliatifs à la fois par une amélioration de l’offre et une meilleure formation des médecins et des professionnels de santé.

Les soins palliatifs, c’est-à-dire tous les soins offerts à la personne pour laquelle il n’y a plus de perspective de guérison. A côté des soins médicaux qui nécessitent une véritable compétence et un travail en équipe pluridisciplinaire qui s’appuie sur la complémentarité de différentes professions, les soins palliatifs incluent une dimension d’accompagnement, laquelle est tout à fait essentielle. Elle incombe aux professionnels de santé mais aussi à la famille, aux proches et aux bénévoles représentants la société civile et les représentants des confessions religieuses.

Les enjeux spirituels de l’accompagnement en fin de vie

Le mourant est considéré comme un « vivant jusqu’à la mort », pour reprendre la belle expression de Paul Ricœur. Le temps qui lui reste à vivre n’est pas a priori vide et inutile. Il peut au contraire continuer à cheminer, consentir à sa fragilité, récapituler sa vie, en faire sinon le récit ou moins des récits, engager des démarches de réconciliation, passer de la révolte à la paix.

Le temps de la fin de vie peut devenir un temps très riche sur le plan spirituel. La dépendance considérée négativement peut devenir une interdépendance heureuse, celle au fond de toute vie humaine, l’interdépendance de celui qui sait qu’il existe aussi par les autres et pour les autres. L’expérience que la personne en fin de vie fait de la bonté, de la bienveillance, de l’amour fraternel peut devenir révélatrice d’un amour toujours offert et ouvrir à la vie éternelle. Ainsi, paradoxalement, ce temps de souffrance que l’on pouvait juger inutile et vain peut devenir un lieu de croissance humaine et spirituelle, un lieu où se révèle la beauté d’une vie reçue dans l’échange gratuit. « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. » dit l’apôtre Paul dans la deuxième lettre aux corinthiens (4,16)

L’expérience d’un amour toujours offert n’est-elle pas au cœur de la foi chrétienne ? Le Christ nous sauve parce qu’il est Fils, parce qu’il se reçoit du Père, d’un Père qui le ressuscite alors même qu’il a consenti à la mort et s’est offert pour nous par amour. Cet amour de Dieu toujours offert peut se découvrir sans la prière, la méditation de la Parole de Dieu ou la pratique sacramentelle. J’ose croire qu’il peut aussi se révéler dans l’authenticité de relations humaines d’attention bienveillante aux plus fragiles, notamment en fin de vie. L’accompagnement est un moyen de révéler la force qui se déploie dans la faiblesse, la puissance de la résurrection qui déjà opère dans la charité fraternelle et la miséricorde, la fraternité qui unit les hommes dans une vulnérabilité partagée. Comme l’écrit Mgr d’Ornellas, archevêque de Rennes et président du groupe de travail des évêques de France sur la fin de vie dans une déclaration du 20 Janvier 2015 : « Si la citoyenneté exige l’égalité d’accès de tous aux soins palliatifs, elle appelle aussi la « fraternité » qui donne sens à l’accompagnement et au devoir d’en acquérir la compétence pour un juste respect des personnes vulnérables ».

La qualité de ce qui est vécu, dans l’accompagnement et les soins palliatifs, le respect du cheminement de chacun ouvrent assurément à la dimension du sens et à l’accueil d’une vie qui reste offerte au-delà des limites de la médecine, une vie à laquelle le patient goûte par l’expérience du soin et de la disponibilité de ceux qui l’accompagnent. C’est probablement ce que certains redoutent quand ils refusent les soins palliatifs, en les considérant comme inutiles, voire contraires à leur vision de l’homme, fermée à la transcendance.

L’enjeu, c’est que la relation humaine reste première dans le soin, que les exigences de qualité et les impératifs de gestion comptable ne réduisent pas le soin à une série d’actes techniques dépourvus d’humanité. Ce que nous souhaitons pour la fin de vie avec les soins palliatifs est valable pour toute la pratique médicale, tant en ville qu’à l’hôpital ou en EHPAD. L’homme ne se réduit pas à sa biologie ou aux différents paramètres quantifiables qui permettent de suivre son état de santé, n’en déplaise aux vendeurs d’objets connectés qui mesurent en temps réel les différentes constantes biologiques. L’homme est toujours et d’abord un être unique, singulier, infiniment respectable, inséré dans une famille, un cercle de relations. Il est à la fois une réalité physique, mais aussi psychologique, sociale et spirituelle, c’est-à-dire habité d’un souffle qui le transcende et dans lequel nous reconnaissons la présence de Dieu qui a créé l’homme à son image et lui a manifesté sa miséricorde dans le Christ. Ainsi, à côté des compétences médicales nécessaires en fin de vie comme à d’autres moments cruciaux, les soignants doivent faire preuve de compétence relationnelle et d’ouverture aux dimensions sociales et spirituelles des personnes malades dont ils s’occupent.

Quant à ceux qui ne sont pas professionnels de santé, ils peuvent être aidants familiaux, bénévoles d’associations de visite aux malades, de soins palliatifs, d’associations à caractère social. Ils peuvent œuvrer dans les aumôneries d’hôpitaux, le service évangélique des malades ou la pastorale des personnes en situation de handicap. Ils manifestent le prix que les personnes en fin de vie ont pour la société et pour notre Eglise. Leur présence est fondamentale pour manifester que celui qui meurt fait pleinement partie de la famille humaine et a fortiori de la communauté des croyants. L’attention aimante aux personnes fragiles dit la bonne nouvelle de la dignité des plus faibles, ceux-là mêmes auxquels le Fils de Dieu s’est identifié : « ce que vous avez fait aux plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.» (Mt 25, 40) Il est donc fondamental que l’Eglise soit présente auprès des plus fragiles. Qu’elle soit présente par des professionnels de santé compétents à divers niveaux de responsabilité et dans des institutions diverses, notamment publiques, mais aussi qu’elle soit présente dans des institutions d’inspiration explicitement chrétiennes, mises au défi d’inscrire dans leur projet la vision de l’homme et des soins qui nous habite malgré les contraintes administratives et financières. Qu’elle soit présente évidemment par les services de la pastorale de la santé dont vous faites partie.

Arrêtons-nous un instant sur la notion de dignité. Qu’est-ce que la dignité ? Comment affirmer à la fois son caractère inaliénable lié à l’appartenance à l’espère humaine et la mesurer à l’aune de la raison ? Certains seraient alors moins dignes que d’autres, parce que limités dans leur conscience du fait d’un handicap ou de troubles cognitifs. Faudrait-il mettre des limites à la dignité humaine ? Mais alors, lesquelles ? Qui peut mesurer la dignité d’autrui ? Nous comprenons l’impasse dans laquelle nous nous aventurerions. La dignité ne se limite pas à l’idée que nous nous en faisons. Elle ne se mesure pas en fonction des performances ou de l’image que l’on donne. La dignité est inaliénable, liée à l’être même de l’homme (ontologique). Elle n’est pas subjective, dépendante de l’idée que je m’en fais pour autrui ou pour moi-même. Cependant, affirmer la dignité de tout être humain ne suffit pas. Nous sommes garants de la dignité des autres et tout spécialement des plus faibles. Il en va de notre responsabilité, de l’engagement de notre sollicitude. Autrement dit le soin et le prendre soin sont indispensables pour un vivre ensemble harmonieux, pour bâtir une société où la dignité des plus faibles est respectée.

Ainsi, je suis passé d’une conception de l’homme centrée sur l’individu et ses droits à une anthropologie qui valorise les liens entre les humains, une conception de l’homme en relation où le respect des plus faibles est le signe de la dignité reconnue de chacun. L’homme ne se mesure pas à sa performance, au niveau de sa conscience, mais il s’en remet à la sollicitude d’autrui. Le concept d’altérité est central et avec lui la notion que la vie nous est confiée, qu’elle ne nous appartient pas, qu’elle est de l’ordre du don, de l’ouverture à l’autre, à la transcendance. Nous percevons que la tradition biblique et chrétienne nous place de ce côté. Le prix que les prophètes accordent à la veuve, à l’orphelin, à l’étranger en dit long, de même que la révélation du Fils de Dieu dans la figure de Jésus humilié, crucifié, familier des malades et des pauvres.

Une certaine qualité de présence et d’accompagnement ouvre au don gratuit, au don de Dieu, source et fin de toute vie. Elle donne à goûter un autre rapport au temps. Or, là aussi, nous avons connu des évolutions considérables. Nous voulons maîtriser le temps et celui-ci s’accélère sans cesse. Nous développons des capacités sans cesse accrues qui nous font gagner un temps considérable, et pourtant nous avons le sentiment de courir de plus en plus ! Quand nous parvenons au terme de la course, comment accepter que cela traîne ? Le temps de la fin de vie est perçu comme un temps inutile, une attente insupportable, un temps qu’il est urgent d’abréger. Ne donne-t-il pas au contraire la vraie mesure du temps, un temps suspendu, offert, un temps qui ne se mesure plus en durée ou en efficacité, bref un temps ouvert sur l’éternité ? Décidément la fin de vie est un révélateur de nos incohérences, un mur sur lequel se brisent nos velléités de tout maîtriser et où se manifestent nos apories.

En effet, la mort prochaine vient révéler notre fragilité fondamentale, notre vulnérabilité ontologique, disent les philosophes. Elle nous invite à la démaîtrise, à l’abandon confiant. On comprend dès lors l’importance de l’accompagnement qui va au rythme de celui qui s’en va, une présence attentive et disponible qui n’impose pas ses objectifs, pas même la prétendue bonne volonté de donner sens à ce temps qui reste et encore moins l’impérieuse nécessité d’avoir un « projet de vie », comme si la vie pouvait se réduire à des projets, autrement dit à des actions, à des productions évaluables. Il y aurait une manière intrusive d’accompagner, de faire venir au forceps le sens caché des choses ou même de guetter jusqu’à obtenir une conversion inespérée !

Ainsi l’enjeu c’est une anthropologie de l’homme en relation, dont le Pape François a rappelé l’importance récemment dans son discours au parlement européen de Strasbourg, une vision de l’homme qui encourage le soin et le prendre soin, qui va accorder de la valeur à une présence gratuite.

L’enjeu c’est celui d’un accompagnement humain, tout simple, à côté de la nécessaire prise en charge professionnelle médicale. Il va développer ce qui relève de la miséricorde et de la tendresse. A la violence de la mort, il va opposer la douceur d’une attention bienveillante, désarmée.

« Il serait illusoire de penser que l’avenir de l’humanité se résume à l’affirmation sans limite d’une liberté individuelle, en oubliant que la personne humaine ne vit et ne s’invente que reliée à autrui et dépendante d’autrui. » écrivait le professeur Sicard dans son rapport. Une conception de l’homme en relation va relativiser la revendication d’autonomie. Elle va insister sur l’interdépendance qui existe entre les hommes, les nouveaux nés et les vieillards bien sûr, mais au fond tout homme tout au long de la vie. Que serions-nous si nous n’étions aimés, considérés, respectés, en lien les uns avec les autres ?

L’enjeu de l’accompagnement, c’est celui d’une présence silencieuse, désintéressée, celle qui sait écouter et recueillir, et parfois se prêter à la prière secrète ou partagée. Une présence qui apaise, qui dissipe la violence et la lourdeur de situations pénibles par la douceur et la légèreté. Une présence qui favorise le consentement à la faiblesse et ouvre à la beauté de l’amour gratuit, offert, partagé, échangé, une présence qui ouvre à la source de tout don, Dieu, le Père riche en miséricorde.

Perspectives chrétiennes au regard des évolutions actuelles de la Loi.

Analysons la pression croissante qui s’exerce en faveur d’une libéralisation de l’euthanasie. Certes, on peut dénoncer l’acharnement de certaines associations qui n’hésitent pas à manipuler l’opinion publique ou l’obstination de tel courant philosophique influent, mais il me paraît plus juste de saisir cette pression dans le contexte culturel qui est le nôtre. Depuis le siècle des Lumières, on conçoit l’homme avant tout comme un individu libre et autonome, qui décide de son destin, essaie de faire reculer au maximum ce qu’il ne maîtrise pas. La naissance l’est largement avec la maîtrise de la fécondité et l’assistance médicale à la procréation, sans oublier la médicalisation de la grossesse et la sécurisation de l’accouchement. La mort elle, semble résister. De plus, elle est souvent précédée par des souffrances jugées insupportables. Ainsi, on s’accorde à tout faire pour soulager les souffrances, contrôler toute douleur et certains demandent à pouvoir abréger leur vie devenue inutile d’où la revendication de « bénéficier d’assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. » (François Hollande dans son programme présidentiel). Certains sont clairement favorables à l’euthanasie, c’est-à-dire à l’acte médical de donner la mort à une personne qui l’aurait explicitement demandé, ou au suicide assisté, lorsque la médecine fournit au patient lui-même ce qui est nécessaire pour qu’il mette fin à ses jours. Certains conjuguent ces revendications avec la demande d’accès aux soins palliatifs, d’autres les refusent délibérément considérant que la fin de vie est dépourvue de sens et qu’imposer à quelqu’un une lente agonie assortie d’un accompagnement relève d’une valorisation excessive de la souffrance. Ils sont alors suspects de prêter un rôle rédempteur à celle-ci, ce qui semble très suspect et symptomatique d’une vision chrétienne jugée rétrograde !

Le courant politique et sociétal que je décris se réclame volontiers des philosophes des Lumières. Il se place du côté des droits de l’homme et réclame un droit ultime à disposer de sa mort, à exercer sa liberté dans le choix de décider de celle-ci. Il y a bien longtemps que l’association pour le droit de mourir dans la dignité revendique le respect des directives anticipées d’euthanasie. Cette demande a été reprise dans la loi Léonetti tout en connaissant une sérieuse modification, puisque les directives concernent le refus de l’obstination thérapeutique, c’est-à-dire des soins disproportionnés avec l’espérance de vie estimée de la personne malade. La loi récente a rendu ces directives contraignantes pour le médecin sauf dans de rares circonstances.

Le projet de loi Claeys-Léonetti, voté en première lecture à l’assemblée nationale utilise largement le concept de droit notamment à propos de la sédation profonde et continue en fin de vie, « pour les malades atteints d’une affection grave et incurable, quand la souffrance du malade dont le pronostic vital est engagé à court terme ne peut être apaisée par les traitements antidouleurs mais aussi quand le patient décide d’arrêter tout traitement et que cette décision engage son pronostic vital à court terme, quand le patient ne peut exprimer sa volonté et que le médecin a arrêté tout traitement ».

Cette disposition modérée peut être considérée comme ambiguë. Elle appelle immanquablement des interprétations, et la nuance ténue entre sédation en phase terminale et sédation terminale peut facilement s’estomper pour laisser place à des pratiques qui visent à abréger délibérément la vie et à priver la personne de conscience. C’est notamment le cas en cas de décision d’arrêt de tout traitement qui ne signifie pas automatiquement situation de détresse, même s’il est vrai que la loi précise alors que le droit à la sédation est liée à un pronostic engagé à court terme. Néanmoins le critère de « la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger artificiellement la vie » (article 3) englobe tout type de souffrance y compris psychologique et existentielle et pourrait conduire à minimiser les possibilités offertes par l’accompagnement. Il importe aussi de tenir compte de la fluctuation des souhaits comme le rappelle la déclaration du groupe de travail des évêques de France sur la fin de vie. La sédation peut aussi être ponctuelle et intermittente pour permettre le repos et la récupération de celui qui est épuisé.

Parler de droit à la sédation risque d’instrumentaliser le médecin au service de la volonté du patient et à le déresponsabiliser (déclaration du groupe de travail des évêques de France), notamment dans le fait d’associer arrêt des traitements de maintien de la vie et sédation. Le fait de rendre les directives anticipées opposables fait du médecin un prestataire de service, un exécutant des volontés du malade et risque d’altérer les relations de confiance entre médecins et malades, même s’il faut souligner que le malade peut à tout moment revenir sur ces directives anticipées, révisables et révocables à tout moment et que le médecin peut après avis collégial ne pas les appliquer s’il les juge inappropriées. Les directives valent surtout pour les malades devenus incapables d’exprimer leur volonté.

Pour des raisons économiques ou psychologiques, certains malades graves ou personnes très âgées pourraient décider d’arrêter les traitements et réclamer une sédation terminale alors qu’ils auraient pu vivre encore quelque peu dans des conditions acceptables. Il nous faut rester vigilants sur ce point ou plutôt éviter que de telles situations se produisent en luttant contre l’isolement et en permettant un accompagnement de qualité des personnes malades et de leur entourage.

Avant de conclure, je ne peux taire l’existence de situations particulièrement douloureuses comme les états neurovégétatifs prolongés, les états pauci-relationnels. Tout ce que nous disions de l’accompagnement, de la relation se heurte à notre ignorance sur ce que perçoit celui qui est dans le coma. Il n’est pas opportun de légiférer à partir de telles situations. L’autorisation de limiter les traitements de la loi Léonetti me paraît juste, mais il n’est pas facile de l’appliquer dans des situations stables, où l’alimentation entérale et l’hydratation permettent la survie prolongée, alors même « qu’elles ne peuvent pas être d’emblée jugées comme des moyens relevant de « l’obstination déraisonnable» ou « comme n’ayant d’autre but que le seul maintien artificiel de la vie. » (déclaration gr CEF). Le cas de Vincent Lambert est particulièrement douloureux, compliqué par un conflit familial. Sa médiatisation a quelque chose d’indécent.

Je sais aussi combien sont parfois peu satisfaisantes les fins de vie en EHPAD, faute de personnel suffisant, de même aux urgences, au milieu de l’agitation et des soins actifs. Je n’ai pas le temps de développer ici. C’est très vrai, mais nous sommes-nous demandés en amont si nous avons tout fait pour éviter l’angoisse des patients et des familles qui amènent leurs mourants aux urgences, car la mort leur fait peur, parce que l’on les a abandonnés sans soutien. Le développement des soins palliatifs à domicile et des réseaux de soin est à encourager pour limiter ses situations douloureuses et aberrantes.

En conclusion :

Il est important que des relations de confiance s’établissent entre soignants, entre soignants, patients et familles. Que la confiance et la parole échangée permettent de traiter le plus paisiblement possible des situations douloureuses et prendre les bonnes décisions dans le respect de l’interdit de donner la mort et dans le rejet de l’obstination déraisonnable, ce qui implique parfois la limitation des traitements. Comme Mgr d’Ornellas y invite au nom des évêques de France, il nous faut promouvoir une culture palliative, à la fois la qualité de la prise en charge médicale, du traitement de la douleur à l’apaisement de tous les autres symptômes, mais aussi la priorité donnée à l’accompagnement de celui qui vit ses derniers instants. Il nous faut investir davantage dans la formation aux soins palliatifs des futurs professionnels de santé. Je le fais bien volontiers surtout que l’Université Catholique de Lille a été pionnière en la matière et est à l’origine du manuel de soins palliatifs qui est à sa quatrième édition. Il importe au risque de créer de la défiance et une violence larvée que l’intention soit toujours celle de traiter, de soulager et jamais celle de donner la mort ou d’abréger la vie, tout en reconnaissant le bien-fondé de la théorie du double effet, à savoir la possibilité dans certains cas d’entraîner la mort, sans avoir eu l’intention de la donner. C’est cette théorie qui permet de faire la différence entre la sédation en phase terminale et la sédation terminale que l’on voit pointer avec le droit à la sédation profonde et terminale de la Loi Claeys-Léonetti qui ne mentionne plus le principe du double effet. « L’absence de clarté dans l’objectif de soin engendre un malaise dans les équipes soignantes ( déclaration du gr…) ».

Dégager les enjeux spirituels de l’accompagnement et mieux comprendre les risques des évolutions législatives en cours nous invitent à investir davantage encore dans la mise en œuvre concrète de l’Evangile dans la relation avec ceux qui sont malades, qui souffrent de handicap ou se trouvent en situation de fin de vie. La présence de soignants et de bénévoles chrétiens dans ces lieux de souffrance est tout autant une attestation de notre foi dans la résurrection que le signe de la dignité des plus faibles, chéris de Dieu. Elle est signe de l’amour gratuit que nous avons accueilli dans notre vie et que Dieu offre à tous.

Père Bruno CAZIN, président-recteur délégué de l’Université Catholique de Lille, praticien-hospitalier en hématologie clinique au CHRU de Lille

INTERVENTION DE MGR LEBORGNE

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BIBLIOGRAPHIE

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Vincent Leclercq Editions de l’atelier 2013

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Claire Fourcade Bayard 2012

La maladie entre vie et survie

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Emmanuel Hirsch De Boeck 2013

La mort accompagnée, la relation humaine

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Nous voulons tous mourir dans la dignité

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