Homélie des 75 ans de la libération d’Abbeville

Homélie prononcée par l’abbé Patrick Derville à la collégiale St Vulfran le 8 septembre 2019, à l’occasion des 75 ans de la libération d’Abbeville  (Textes : Sg 9,13-18 ; Phm ; Lc 14,25-33)

« Je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, des peines, des larmes et des sueurs » ! Churchill, dans son discours au Communes du 13 mai 1940, s’était sans doute assis pour mesure les forces de son pays, seule puissance européenne qui pouvait encore tenir tête à Hitler, après la déferlante de ses armées dans toute l’Europe, en particulier en Pologne,puis en France, mettant en déroute une armée considérée alors comme l’une des meilleure, si ce n’est la meilleure.

Les combattants alliés qui ont pu gagner l’Angleterre et ceux d’Afrique, les résistants français savaient, à l’instar d’un Abbé Carpentier à Abbeville, qu’ils risquaient leur vie, voire pour certains, celle de leur famille, mais c’était aussi pour elles et leurs enfants qu’ils la risquaient. Le choix pouvait être lourd de conséquences !

« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple ». Comme Jésus peut-il avoir une telle exigence ? Elle n’a de sens que dans la perspective de sa propre mission : il est venu vivre au milieu de nous pour faire triompher la vie et être victorieux des forces de mort ! Il le sera paradoxalement sur la croix et par la croix, manifestant que l’amour de Dieu est plus fort que la haine.

C’est alors qu’il marche vers la croix qu’il s’arrête en chemin, se retourne, fait asseoir les nombreuses personnes qui se sont pris d’engouement pour lui et le suivent. Avant de continuer, leur dit-il, regardez bien jusqu’où le chemin d’amour que je vous propose peut vous mener,jusqu’au don de vous-mêmes. Jésus s’adresse à leur conscience et à leur liberté ! Il s’adresse encore à la notre aujourd’hui.

Chers amis, Abbeville a été libéré par nos amis polonais. La Pologne est un des pays qui a le plus souffert de la guerre et de ses conséquences. Même affaiblie, elle n’avait perdue ni son âme, ni son ardeur, ni sa foi.
Abbeville a été libérée par une nation qui à ce moment était des plus affaiblies mais n’était pas sans vigueur intérieure. Je l’accueille comme un signe pour nous aujourd’hui. La 1ère division blindée polonaise du général Maczek avançait en coordination avec les divisions canadiennes, et plus largement l’ensemble des forces alliées unies pour la libération.

Une France libérée, OUI.
Une France qui tient son rang dans le concert des nations OUI.
Mais une France seule, une France non solidaire, une France qui oublie qu’elle doit sa libération à chacune des deux guerres mondiales de l’engagement de peuples du monde entier qui ont versé leur sang sur son sol, NON.

Notre liberté, premier mot de notre devise républicaine, n’a de sens que tournée vers le 3ème mot : la fraternité. Non une fraternité fermée, mais une fraternité ouverte, accueillante, solidaire. Et c’est bien ce à quoi Jésus nous invite résolument : il appelle notre liberté pour que nous nous engagions résolument vers une vraie fraternité toujours à construire.

C’est le sens de la seconde lecture ! Philémon est libre, il n’est pas sous une oppression extérieure.
Paul l’invite à orienter sa liberté vers la fraternité : à ne plus voir Onésime comme son esclave. Il l’engage à changer de logiciel intérieur pour le recevoir comme un frère. Nous voyons comment déjà au temps de Paul, la foi déplace les lignes sociales.

Elle engage nos libertés en vue de la fraternité, sur la seule base d’une égalité en dignité que nous avons tous devant Dieu au seul titre de notre humanité.

Nous en connaissons les enjeux ! Des peuples qui ont versé leur sang chez nous voient aujourd’hui leurs enfants parfois rejetés alors qu’ils viennent chercher refuge ! En 40 aussi, nos pères et mères, des familles entières ont été aussi projetés sur les routes. Si la fraternité considère chaque homme, y compris l’étranger, comme un homme, elle cherche à travailler contre les ressorts qui poussent les familles à fuir leur pays.

Elle cherche à prendre soin de notre maison commune : la planète terre. Elle s’inscrit dans l’esprit des fondateurs de l’Union Européenne qui visaient une paix durable entre pays qui s’étaient fait la guerre.
Notre région connaît des fragilités sociales mais est riche de son environnement, de sa culture, de ses entreprises, de ses associations, de tous ses habitants. Alors, que le feu d’artifice de la libération qui a coloré cette nuit le ciel d’Abbeville se répande en couleurs de fraternité dans nos cœurs…

Que notre liberté soit pour la fraternité !