Les états d’âme du fils « prodigue ».

Les états d’âme du fils prodigue. (Evangile : Luc 15, 11-32)

 

          Curieux que l’on appelle la parabole qui nous intéresse « la parabole du fils prodigue », alors qu’il y en a deux ! L’un dit : « Donne-moi mon fric ! » quand l’autre dira : « Tu ne m’as jamais rien donné ! » Tant le fils aîné que le plus jeune, ils sont tous deux dans le monde de la revendication, de l’avoir, de la possession.

            Pour le plus jeune, son père est déjà mort, puisqu’il exige sa part d’héritage … à moins que, à ses yeux, il n’ait jamais existé comme père. A tout bien considérer, le père lui-même ne se révolte pas contre cette prétention. Il accepte que son fils proclame «la mort de Dieu».

               En clair, l’attitude de cet enfant signifie : » je quitte le monde de l’intériorité et  des valeurs spirituelles pour m’éclater dans le palpable, le sensible, le superficiel ; le monde du zapping où je ne serai plus obligé de penser, où je laisse anesthésier en moi les vrais désirs au profit de mes envies immédiates. » Le monde intérieur où la seule loi est celle de l’amour, ça ne l’intéresse plus, c’est trop banal. Il a envie de fabriquer son propre paradis sur terre. Il part avec ce qu’il a, ce qu’il croit posséder, dont il peut faire le compte. L’amour de son père, de sa mère, pas moyen d’en faire le compte : ce n’est donc pas intéressant.

            Ceci peut intéresser les parents qui s’interrogent sur le comportement de leurs enfants et qui, à tort ou à raison, se mettent à paniquer lorsqu’ils les voient foncer à corps perdu  –  et se perdre  –  dans l’univers de la dispersion où seuls comptent les jeux vidéo, les amusements,  internet…. Peut-être faut-il aller jusqu’au bout de ce « pays lointain » et d’y gaspiller le meilleur de soi-même en futilités, pour s’apercevoir un jour qu’à la place de la vraie vie il n’y a plus qu’un grand vide. Que faire alors, quand il n’y a plus que du vide à la place de la relation ? On essaie de faire du remplissage, on « fait les poubelles » pour tenter de survivre comme on peut, pour échapper à cette sorte d’enfer interne où la relation qui fait vivre a cédé la place au « moi » qui discute avec « je ». Comme  cette femme qui raconte : « Je crève de solitude. Parfois, je me téléphone à moi-même d’une cabine avant de rentrer chez moi, pour être sûre de trouver un message sur mon répondeur. »

            Tout est cassé : comment recomposer le puzzle ? La question lancinante d’un monde enfermé dans le « moi – je » c’est : « Comment en sortir ? » Et comme on n’en sort pas (parce qu’on ne sait pas encore qu’il s’agit de recréer une relation), on cherche des responsables : les institutions, les médias, les politiques, l’éducation, etc… Et l’angoisse ne fait que grandir car la réponse n’est pas à la hauteur du vide existentiel.

            On essaie d’en sortir (et ça ne marche pas) quand il est temps de laisser  entrer….  « Alors, il  rentra  en  lui-même  et se  mit  à réfléchir. » Le manque devient la « grâce du manque » où le vide révèle son visage caché : un appel à la vie. L’estomac est vide et se met à crier : « Chez mon père on a bien à manger. » Le voisin de l’estomac, c’est le cœur, qui s’aperçoit par contagion que « chez mon père on est aimé ». Le fils prend alors conscience de la misère de son cœur  et son cœur s’ouvre alors à la profondeur de cette misère.

            Il rentre en lui-même et il dit : « Du fin fond de ce lointain pays où je me suis égaré, j’entends une voix inconnue qui tendrement m’appelle : ‘’Viens, depuis toujours je t’attends, mon bien-aiméJe vais aller chez mon père, puisque je viens de m’apercevoir que j’en ai un, de père. J’étais fils et je l’ignorais ; alors, je me suis rendu esclave d’un bonheur que je pensais pouvoir fabriquer tout seul … et c’est insupportable. » Le gamin s’aperçoit donc que l’épreuve, c’est « une chance en habit de travail » [F. Garagnon]. Et il se met en route vers son jour et son lieu de naissance.

(Daniel Caron)