Jeûne eucharistique

Curieuse expression. « Eucharistie » ne signifie pas « rendre grâce » ? Devons-nous obliger Dieu de jeûner en le privant de la plus belle de nos louanges ? Heureusement, chacun sait que les prêtres de leur côté célèbreront quand même la messe et donc, au moins, grâce à eux, Dieu ne sera pas tout à fait privé de louanges ! Voilà de de quoi nous rassurer. Vraiment ? Tout compte fait, Dieu ne préfèrerait-il pas que les prêtres vivent en communion de jeûne avec leurs ouailles ?

Ne sachant comment me situer devant cette question, je me suis senti invité à relire le début de la messe.

« La grâce et la paix » sont les mots qui accueillent les fidèles. Ils leur annoncent que d’emblée ils sont unis. Ils viennent de lieux, d’horizons différents, ils sont habités par des intentions diverses, ils traversent des moments de joie ou de peine… Justement, en cette période d’inquiétude que tous traversent, éprouver la grâce de Dieu qui rassure et sa paix qui redonne confiance est le désir de tous. La pandémie qui sévit touche le monde entier. Tous sont dans l’inquiétude. Partout on cherche à arrêter ce mal. Certains comprennent que c’est en s’unissant qu’on aura le plus de chances de trouver rapidement les meilleures réponses. D’autres, non satisfaits de fermer leurs frontières pour qu’elles empêchent ce fléau d’entrer chez eux (!), s’imaginent sottement qu’ils pourront s’en sortir seuls. Seul Dieu qui voit mieux que nous, sait ce qu’il faut faire. Plus que nous encore, il souffre des déchirures que les hommes se font et des destructions qu’ils causent…

Beaucoup sont troublés à ce point que la paix a déserté leur cœur. Certains messages (SMS, Facebook, WhatsApp…) sont clairs. Il importe donc de commencer par faire la paix en soi. Nous nous laissons souvent écarteler par des tensions et des impulsions de toutes sortes et Coronavirus vient en plus les amplifier. Nous avons vraiment besoin de la paix de Dieu. Le trouble qui envahit le monde, s’il est compréhensible, est quand même signe que son rapport à Dieu est soit inexistant, soit peu profond, soit insuffisant…

Peut-être avons-nous peur de Dieu ? Nous avons raison si c’est lui qui envoie ce mal pour avertir les hommes parce qu’il est lassé de leurs méfaits, fatigué de voir qu’ils lui ont préféré le pouvoir de l’argen

t ? Sa punition les atteindra donc dans leur santé et leur système économique… En somme c’est terrible, mais juste !

Bien sûr que non. Ce n’est pas la manière de faire de Dieu. Satan seul est l’origine des maux qui abîment la création. Dieu a toujours fait comprendre, particulièrement dans l’Ancien Testament, que les drames qui jalonnent le parcours d’Israël et des peuples, sont la conséquence de leurs dévoiements et donc de leur soumission au démon. La messe nous rappelle que Dieu, en son Fils, est venu sauver les hommes et non les punir ou les condamner. Jésus, en prenant sur lui le mal, le péché, est leur libérateur. Quand Bernanos écrivait que « tout est grâce », il voulait donc dire que de la mort Dieu fait jaillir la vie.

Soyons prudents mais n’ayons pas peur ! Adressons-nous à Dieu avec une vraie confiance. Apprenons à nous reposer en lui. Il sait que, livrés à nous-mêmes, nous sommes incapables d’établir cette paix. Aussi, il nous l’offre dans la gratuité de son amour.

Mais alors, si en ce jour de jeûne eucharistique nous ne pouvons pas lui offrir nos vies et lui re

ndre grâces à la manière habituelle, acceptons de recevoir « la paix, sa paix » qu’il nous offre, dans la gratuité d son amour ! Notre privation ne sera pas pénitence mais aveu de notre faiblesse… Nous ne pouvons jamais lui offrir que ce qui vient de lui…

Son dessein est la réconciliation de tous les hommes. Notre paix c’est le Christ qui a vécu son amour jusqu’au bout. En sa personne il a tué la haine. Rien n’engendre plus la haine que la peur. Il nous fait don de la foi, qui en est le contraire de la peur. Comme l’amour est le contraire de la haine…

Quel paradoxe. Le monde entier a peur. Le message de l’Evangile est la confiance. Nous sommes, nous chrétiens, chargés de lui donner écho. Nous ne pouvons plus embrasser les autres mais nous tenir distants d’un mètre… Qu’importe, nous savons « que le mur qui séparait » les hommes les uns des autres « a été détruit dans la chair du Christ » (Ep 2,14). Jésus nous a fait une place dans la paix de Dieu et n

ous a supplié : « Que votre cœur cesse de se troubler » (Jn 14,1-2).

Pas de « communion » aujourd’hui ? Est-ce bien sûr ? Certains parlent de communion spirituelle. Peut-être ont-ils raison. Cette privation n’est-elle pas l’occasion de nous interroger sur ce qu’est la messe et de nous purifier de certaines fausses idées qui nous habitent. Elle n’est pas d’abord un devoir, elle est une rencontre… Elle n’enferme pas dans une célébration, elle envahit l’existence entière… Elle fait de nous des missionnaires : « Allez, de toutes les nations, faites des disciples… Allez par le monde entier, proclamez la bonne nouvelle… Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie… » (Mt 28,19 ; Mc 16,15 ; Jn 20,21).

Finalement : heureux jeûne ? A nous de tout faire pour qu’il le soit ! Que chacun p

renne donc du temps, pourquoi pas celui d’une messe, pour voir ce à quoi il est appelé…

Quant aux prêtres qui en sont dispensés ! Qu’ils s’interrogent aussi. J’avoue ne pas avoir la réponse… Je poserai la question aux frères dont je partage la vie… Un point me « taraude » particulièrement, un jeûne n’est-ce pas aussi, et peut-être d’abord, une affaire « communautaire », une œuvre de l’Eglise entière qui fait part au monde de sa « communion » ?