Vous arrive t-il encore de rêver?

Vous arrive- t- il encore de rêver ?

Vous arrive-t-il encore de rêver ? C’est la question que je me posais à la suite de quelques rencontres, ces dernières semaines.

Nous avons tellement intégré les contraintes du moment, les moindres disponibilités et engagements des uns et des autres, le recul de la demande religieuse, la sécularisation galopante et une nouvelle laïcité agressive, qu’il me semble que nous n’osons plus rêver pour notre diocèse. Il se peut aussi qu’après avoir déployé tellement de générosité sur un certain nombre de chemins sans grande fécondité apparente, nous soyons un peu désabusés. Il se peut encore que parfois les choses paraissent tellement organisées, tellement verrouillées, qu’elles ne permettent plus à la vie de jaillir. Récemment plusieurs prêtres m’ont dit qu’ils s’ennuyaient. Vous m’avez bien lu. Alors que nous manquons cruellement de prêtres, certains sont confrontés au risque de l’ennui. Que nous est-il donc arrivé ? Plutôt que de se réjouir des charismes pour la mission des uns et des autres et d’unir les forces missionnaires, on se jauge, on se toise, on se juge, et tout se fige.

Quand je demande : « comment rêvez-vous l’avenir de votre paroisse, du diocèse ? », je suis souvent surpris. On voudrait mieux faire ce qui existe déjà– ce qui est très bien – mais peu d’imagination. Peu de choses qui nous donne l’audace de sortir, d’aller vers ceux qui ne viennent pas à nous. Pas grand-chose de nouveau. Et rien de fou.

C’est comme si nous étions anémiés. Plus, je crois que nous sommes missionnairement dépressifs1. Nous n’avons plus confiance dans le Seigneur, ni les uns dans les autres, ni en nous-mêmes.

J’étais récemment à Lisieux, pour la retraite spirituelle des prêtre de Picardie. Sainte-Thérèse a cette expression lorsqu’elle rapporte la découverte de sa vocation : « Dans l’excès de ma joie délirante, je compris que… » Sainte-Thérèse est une femme de désir, elle n’a pas peur de ce qui l’habite même si elle ne sait pas comment cela pourrait se réaliser. Elle l’offre au Seigneur et elle découvre que la folie de son désir se réalisera pour elle dans cette vocation à l’amour : « dans le cœur de l’Eglise ma mère, je serai l’amour. » Sainte-Thérèse était une femme de désir fou. Elle n’était pas raisonnable, ni même parfaitement équilibrée, mais elle était traversée par le feu de l’amour et le désir fou de répondre à l’amour.

Chers amis, chers frères et sœurs, où en êtes-vous de vos rêves ? Où en êtes-vous de votre désir d’Evangile et de salut pour les habitants de la Somme ?

Je sens bien qu’au fond il y a un grand désir, mais son expression est contrainte, comme ratatinée, comme anémiée. Comme si vous vous posiez la question : « mais est-il vraiment possible d’y croire ?

« Le vent souffle où il veut. Tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit », déclare Jésus à Nicodème (Jn 3,8). Cette parole de Jésus m’impressionne. Pour tout vous dire, elle me déstabilise. Je comprends que celui qui naît du souffle de l’Esprit consent à accepter ne pas savoir d’où il vient : perte de ses ancrages, des sécurités, des certitudes du passé, du « on a toujours fait comme ça », des habitudes, du connu que spontanément on répète. Il consent aussi à ne pas savoir où il va : il accepte de ne pas tout maîtriser, d’entrer dans ce « processus » de l’Esprit dont il ne connait pas le terme, et d’une nouveauté qui le déborde. Il ose la vie vivante et n’a pas peur d’y risquer son confort et sa réputation. Parce qu’il fait confiance à l’Esprit, il n’en a pas peur.

Je vous en supplie : laissons-nous déstabiliser pour renaître encore et encore de l’Esprit, retrouvons les chemins du rêve et de l’audace. Arrêtons de réfléchir selon une dialectique d’opposition et de séparation, de territoires, de rapports de force et de pouvoirs, mais ouvrons-nous à l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles (Ap 21). Qu’il restaure en nous une mémoire d’action de grâce, d’avenir, de désir, de créativité et d’espérance.

Je rêve de l’Évangile pour tous ! Et je veux y rêver avec vous dans la Somme. Cet appel résonne sans doute de manière particulière pour chacun, selon son histoire, ses expériences humaines et ecclésiales, sa « sensibilité. » Je m’en réjouis. L’évangélisation ne peut être l’apanage d’un seul projet. Cette diversité est une chance, elle est la condition de l’Evangile pour tous dans la Somme. J’en rends grâce à Dieu.

Rêvons le salut de Jésus notre unique amour pour tous les hommes et toutes les femmes que nous rencontrons. Dans un monde aux multiples défis, nous avons la grâce inouïe : l’Evangile. Je demande au Seigneur que vous puissiez tous goûter à l’« excès de la joie délirante » dont parle sainte Thérèse. La joie seule est missionnaire.

Osez rêver ! Livrez-vous à l’Esprit !

 

+ O. LEBORGNE
Evêque d’Amiens 

___________________________________________________________________

Ce mot n’est pas dans le dictionnaire, mais je me permets de l’oser ici.

Laissons-nous déstabiliser pour renaître encore et encore de l’Esprit, retrouvons les chemins du rêve et de l’audace.

Arrêtons de réfléchir selon une dialectique d’opposition et de séparation, de territoires, de rapports de force et de pouvoirs, mais ouvrons-nous à l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles .

Qu’il restaure en nous une mémoire d’action de grâce, d’avenir, de désir, de créativité et d’espérance.