La liberté pour quoi faire ?

La liberté pour quoi faire ?

« Ce paradigme [techno économique] fait croire à tous qu’ils sont libres, tant qu’ils ont une soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du pouvoir économique et financier », écrit le pape François dans l’encyclique Laudato Si au numéro 203. Comme souvent, le pape ne s’embarrasse pas de périphrase et dans un style très direct nous oblige à réfléchir.

La liberté pour quoi faire ? La liberté s’épuise-t-elle dans la possibilité de consommer ? Ne pensons pas trop vite que nous ne sommes pas concernés par cette question. Relire notre rapport aux biens, à la Création, au temps et aux personnes pourrait mettre en lumière quelques surprises. La consommation de l’autre – de manière policée et sournoise ou de manière directe – est sans doute plus fréquente que nous ne le pensons.

La liberté pour quoi faire ? Deux événements d’actualité me semblent réveiller cette question.

Dans quelques jours, nous sommes invités à voter pour les élections européennes. Beaucoup disent leur insatisfaction par rapport à la construction européenne, telle qu’elle se déroule aujourd’hui. C’est légitime. La liberté cependant ne peut pas seulement être d’indignation et de revendication. Elle s’épanouit fondamentalement comme liberté d’engagement et de construction. « C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés » dit saint Paul (Ga 5,2). Libérés, de nos complicités de violence, de mal et de mort, dans et par le mystère pascal, nous sommes rendus à notre humanité. Alors, restaurés dans notre dignité, réveillés dans notre liberté, nous nous engageons avec d’autres, pour construire de manière réaliste mais audacieuse une société où tout homme trouve sa place, à commencer par les plus démunis. Quelle Europe voulons-nous et comment sommes-nous prêts à nous y engager ? C’est aussi une question que nous pose la liberté.

– L’affaire Vincent Lambert * fait couler beaucoup d’encre et de salive. C’est une affaire très compliquée. Nous ne pouvons qu’entendre la douleur des proches et des accompagnants, qui se situent de manière parfois très opposée quant aux décisions à prendre. Nul ne peut souhaiter vivre cela. Pourtant, Vincent Lambert continue de vivre sans recevoir d’autres soins que d’être nourri, désaltéré et massé. Ces mêmes soins que l’on donne à un nourrisson qui ne peut se nourrir tout seul – mais à qui viendrait-il l’idée de ne pas donner à manger à un nourrisson ? La question de la liberté se pose là encore. Pour quoi faire ? Pour construire une société sans maillon faible ou pour nous mettre au service du plus faible ? Pour se débarrasser sur les proches d’une situation tellement difficile ou pour la prendre en charge tous ensemble ?

Il ne s’agit pas de donner des injonctions. Il s’agit de chercher ensemble, au-delà de nos réactions spontanées. Ces deux situations, vis-à-vis desquelles  on peut se situer de manière très différente, nous posent à tous la question : la liberté, pour quoi faire ?

Ne nous dérobons pas à cette question.

+ Olivier Leborgne
Evêque d’Amiens

*Cf communqiué du groupe Bioéthique de la Conférence des Evêques de France et la déclaration de  Monseigneur Michel Aupetit, Archevêque de Paris

La liberté s’épuise-t-elle dans la possibilité de consommer ? Ne pensons pas trop vite que nous ne sommes pas concernés par cette question. Relire notre rapport aux biens, à la Création, au temps et aux personnes pourrait mettre en lumière quelques surprises. La consommation de l’autre – de manière policée et sournoise ou de manière directe – est sans doute plus fréquente que nous ne le pensons.