Homélie de la messe de clôture de la visite pastorale des paroisses de l’Abbevillois

Frères et sœurs,

Quand Jésus se prépare à sa Pâque, il invite ses apôtres à la joie. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie… il dit cela au moment où pour lui, à vue humaines, la situation se gâte. La croix est proche. Mais il ne veut pas mentir aux siens, il est réaliste car sa vision porte au-delà de sa mort cruelle et injuste. Il dit : quand tout cela arrivera vous croirez. Il leur promet la venue de l’Esprit Saint qui les guérira du choc de son départ, un choc traumatique si violent qu’il fait perdre la mémoire. Ces phrases de l’Évangile de Saint Jean s’appliquent directement à ce que nous vivons aujourd’hui.

Lors de ma visite pastorale, en ce lieu, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui se tournent vers l’avenir avec confiance. Des élus, des agriculteurs, des bénévoles engagés avec ténacité auprès des personnes âgées, des migrants et autres… et puis bien sûr, des chrétiens qui au-delà des fragilités et des tensions parfois vécues dans l’Église, sont certains que l’Esprit Saint conduit vraiment l’Église, comme au temps des Actes des Apôtres. Dieu aujourd’hui encore réveille en nos cœurs la mémoire de tout ce qu’a fait Jésus. La parole biblique, pour plein de personnes, n’a rien d’un livre usé, oublié ou jamais ouvert, mais c’est un livre de vie. Plonger dans la Parole de Dieu avec des frères et sœurs fait entrer dans la paix du cœur. Et cela se passe chez vous aujourd’hui. Une Église disparaît sous nos yeux, qui correspondait à un temps qui n’est plus. Une autre apparaît simple, libre, priante, nourrie de la Parole, désireuse de fraternité, audacieuse dans la mission. C’est une vision : les pessimistes ne la voient pas. Mais elle est là. Dieu convertit et appelle à lui. Est-ce que nous l’aiderons ? Bien sûr, il y a des difficultés et d’abord notre difficulté à nous ouvrir au « Dieu des surprises » (Pape François). Je suis aussi sans illusion sur le cœur humain qui, comme dit la Bible, est souvent « compliqué et malade ». Il n’empêche. Je rends déjà grâce à Dieu au milieu de vous pour ce que vous êtes, chrétiens des trois paroisses de l’abbevillois, sous la houlette de ces cinq prêtres magnifiques que vous avez la grâce d’avoir comme pasteurs.

Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon père l’aimera, nous viendrons chez lui, et chez lui, nous ferons une demeure. Ce verset est un sommet de l’Évangile : il décrit, l’expérience la plus élevée de la vie chrétienne. Au milieu de nous, des personnes vivent cela : elles gardent en elles la Parole de Dieu et sont visiblement habitées par sa présence. Ressentir que des baptisés expérimentent la paix du cœur, et non l’inquiétude d’un cœur bouleversé ou triste, est un émerveillement, source de louange. Ces jours derniers, parmi vous, j’ai plusieurs fois ressenti cela.

Quand tu accueilles l’Esprit Saint, tu aimes la Parole de Dieu. Elle s’imprime dans ton cœur et dans ton intelligence. Elle transforme peu à peu ta vie, la rendant plus joyeuse, et plus tournée vers les autres. Beaucoup de chrétiens ici vivent déjà dans l’Esprit Saint : un intense travail auprès des enfants et des jeunes pour leur faire découvrir la Parole de Dieu lue avec foi et dans la prière. Des fraternités, équipes de catéchèse entre adultes, parcours Alpha et autres expériences permettent d’entrer dans cette mémoire de l’Évangile qui change la vie. Comment de pas vous encourager à continuer, à offrir cette expérience à ceux qui frappent à la porte de notre Église, et à ceux qui en sont loin en dépassant nos peurs, en devenant « l’Église en sortie » chère au Pape François ? Notre mission, c’est de proposer la rencontre vivante de Dieu, et pas seulement d’être fonctionnaires du religieux ou de prolonger une Église comme de vieux bénévoles d’une association qui ne se résignent pas à la fin d’une époque. C’est un énorme changement à vivre en toute communauté chrétienne : il est déjà amorcé. Il commence par la conversion de notre propre cœur. Il se prolonge dans ces fraternités. Il devient missionnaire : la parole de Dieu est un trésor. Que de chantiers à mettre en œuvre pour la proposer au plus grand nombre.

Il faut vivre cela dans la charité les uns envers les autres, sinon, ça n’a aucun sens. La 1ère lecture (Actes 15) fait allusion à un conflit violent entre chrétiens à propos des rites juifs dont celui de la circoncision. Si vous ne la pratiquez pas, vous ne pouvez pas être sauvés. Voyez la radicalité : des personnes converties au Christ décident du salut d’autres personnes, elle aussi converties au Christ. C’est non seulement violent, mais c’est insensé. Qui sommes-nous pour décider du salut des autres ? Ce genre de comportement arrive encore de nos jours. Dans l’Église, on peut se jeter l’anathème de façon absurde. Il est beau de voir comment les apôtres règlent le conflit. On dira aujourd’hui de manière synodale. Ils se rassemblent à Jérusalem pour discuter de cette question, ils font le récit point par point de ce qui divise, calmement, avec paresia (i.e franchise et esprit de foi), et puis ils décident (à l’unanimité) et envoient des délégués qui font autorité pour faire passer la décision. Apparemment, cela se règle. Ainsi, dès le début, il y a eu des conflits, des crises, des scléroses, des situations complexes dans l’Église. Mais le don de l’Esprit, uni à l’intelligence, au bon sens et à la sagesse des hommes de foi conduit à leur dépassement, et fait revenir au cœur de la foi et de notre mission.

L’Église en notre temps est face à de nombreux défis, et les avis divergent sur les routes à prendre. Elle est à la croisée des chemins. En acceptant de cheminer et de discerner ensemble, patiemment, dans la charité, en se méfiant de nous-mêmes et des ruses du démon, on y arrivera. En gardant l’objectif en tête : habiter ensemble cette Jérusalem céleste, dont nous parle le livre de l’Apocalypse, là où nous n’aurons plus besoin de la lumière du soleil ou de la lune pour éclairer car c’est la gloire du Christ, l’Agneau de Dieu qui nous illuminera. Nous marchons vers cette ville lumière qui n’est pas Long ni Paris, mais la cité du ciel. Tant que nous n’y sommes pas, chaque jour, avec foi et charité, nous reprenons la route, en nous remettant en cause, en bénissant Dieu pour tout ce que nous avons déjà reçu et en travaillant à sa mission avec confiance et dans la paix du cœur. Que cette confiance et cette paix du cœur habitent chacun d’entre vous, à commencer par vos prêtres. Il y a ici beaucoup de foi et de charité qui ne demandent qu’à grandir, et à porter du fruit, auprès des plus jeunes en particulier. Cela est source d’une immense espérance pour vos paroisses et pour tout notre diocèse. Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens