Voeux de Mgr Olivier LEBORGNE

Vœux de Mgr Olivier LEBORGNE, évêque d’Amiens,  aux autorités et acteurs du Diocèse
Vendredi 10 janvier 2020
Maison diocésaine Saint-François de Sales  Amiens


Mesdames, Messieurs, Chers amis
, je suis heureux de vous accueillir ce soir dans cette maison diocésaine, maison de l’évêque et des services diocésains, centre spirituel diocésain, mais aussi maison commune du diocèse. Vous nous faites l’honneur de votre présence, et je vous en remercie.

Vous ne serez pas surpris que je vous présente mes vœux à l’ombre, ou plutôt sous la lumière du 800ème anniversaire de la pose de la première pierre de la cathédrale Notre Dame d’Amiens. Nous sommes entrés dans cet anniversaire à travers les manifestions des 6, 7 et 8 décembre dernier. Je ne peux que remercier très chaleureusement ceux qui nous ont permis de vivre ces trois jours. Et tout autant ceux qui préparent tous les autres événements prévus tout au long de l’année qui s’ouvre.

1220-2020. 800 ans, ce n’est pas rien. La cathédrale continue à faire signe au cœur de notre territoire. Elle se dresse là, me semble-t-il, comme une triple déchirure. C’est pourquoi je voudrais vous présenter mes vœux en forme de déchirures.

Déchirure intérieure d’abord. Plus je fréquente la cathédrale – et j’ai la joie d’y présider très régulièrement la liturgie -, plus elle m’ouvre à plus grand. Il m’arrive encore souvent, quand je la traverse, d’éprouver comme un sentiment de sidération. Le souffle s’interrompt devant l’immense que la cathédrale désigne, annonce et d’une certaine façon dévoile. Des volumes, une lumière, des formes qui subjuguent sans écraser. L’expérience d’une élévation inattendue. Echo de cet appel intérieur à la vie qui me constitue comme unique, qui constitue chacun comme unique.

Dans un monde qui court souvent dans l’artifice et la mondanité, qui est tenté de faire de toute frustration une revendication ou un marché et de réduire l’homme à un calcul ou à quelques algorithmes, la cathédrale surgit comme une injonction à s’arrêter, et à scruter là, au plus intime de nous-mêmes ce qui fait l’homme et l’humanité, la profondeur de la vie et de l’être. Permettez-moi de vous souhaiter, en ce début d’année, de faire l’expérience de cette déchirure intérieure. Et alors de grandir toujours plus dans le service de la dignité inaliénable de la personne humaine.

Déchirure dans l’espace ensuite. Étonnante cathédrale. Elle n’a jamais fini de me surprendre. A la fois élancée et trapue, imposante et discrète, si riche en statuaires et sculptures et dans le même mouvement me donnant un sentiment de sobriété, se montrant et se dérobant, insaisissable à jamais d’un seul regard, elle est posée là. Au milieu d’une ville qui a beaucoup évolué depuis 800 ans, mais sur laquelle elle veille en majesté et comme une mère.

Permettez-moi ici de saluer tous ceux qui sont engagés au service des habitants de la Somme, ceux qui portent un engagement « politique » c’est-à-dire au service de la cité (éducatif, juridique, syndical, économique, associatif, religieux – l’engagement religieux se veut au service de la cité et non replié sur lui-même – , etc.). Je pense tout particulièrement à ceux et celles qui se présenteront aux suffrages des électeurs en vue des élections de municipales de mars prochain. Je voudrais leurs dire toute ma reconnaissance.

Déchirure dans l’espace donc que notre cathédrale. Comme si elle nous posait la question : comment veux-tu habiter l’espace ? que veux-tu en faire et pourquoi ? Quelle société veux-tu construire ? La récente rencontre européenne organisée par les frères de Taizé, « le pèlerinage de confiance » qui a réuni autour du 1er janvier 15000 jeunes en Pologne, avait pour thème : « toujours en route, jamais déracinés ». C’est ainsi que des polonais du siècle dernier désignaient une femme vivant de l’Evangile. Toujours en route, toujours ne mouvement vers l’autre. Pour nous catholiques, toujours une Eglise en sortie, toujours en engagement de fraternité (le synode est notre chemin pour les années à venir, résolument). Jamais déracinés pourtant, capables de nommer les sources et de les laisser jaillir, capable de fidélité- c’est-à-dire de liberté (la fidélité n’est rien qu’un autre nom de la liberté quand celle-ci intègre le temps comme constitutif de la personne humaine et le vit d’abord comme un chance et non d’abord comme une épreuve) – de demeurer et de durer.e me souviens que 1220 est aussi l’année de la rencontre de Saint François avec le sultan Al Malik Al Makim. Une rencontre prophétique. Je voudrais saluer tout particulièrement nos frères et sœurs musulmans. Je formule le vœu que nous soyons de ceux qui aident nos contemporains à habiter l’espace et à vivre ensemble dans la vérité, la justice et la paix.

Et je formule pour tous aussi le vœu que, à la lumière de la cathédrale, vous entriez dans cette déchirure de l’espace, pour servir là où vous êtes, vivez et travaillez, une authentique fraternité. Que vous soyez toujours en mouvement, mais jamais déracinés.

Déchirure dans le temps enfin. Depuis 800 ans la cathédrale traverse le temps et se lève comme un signe. Étonnamment préservée des guerres et révolutions qui pourtant ont sévi sans doute plus qu’ailleurs en notre terre de Somme, elle brise le temps comme répétition sans fin. Levée vers le ciel, la cathédrale dans sa conception même ouvre à un au-delà du temps.

Est-ce que tout cela à un sens ? Sur quoi cela peut-il déboucher ? Quel peut-être le sens profond de la solidarité entre génération et comment la vivre ? La question des retraites renvoie à cette question. La question de l’écologie aussi. Ce matin, des propos de jeunes adultes m’ont saisi : « de toutes les façons, dans 150 ans, le monde n’existera plus. »

Le temps, l’une des dimensions constitutives de la personne humaine. La cathédrale fait signe vers un au-delà qui, s’il nous déborde, ne nous digérera pas mais, récapitulant tout dans l’Amour, donnera à chacun et à tous d’accéder à la plénitude – telle est la foi des chrétiens. Ceux qui ont construit la cathédrale avaient une vive conscience de l’enjeu d’éternité de la vie ici-bas. Tous aujourd’hui ne partagent pas la foi des bâtisseurs, mais le signe reste là, et l’appel. Il n’invite aucunement à fuir notre temps. Au contraire, il y a un sens profond à habiter ce temps puisqu’il ne se dissoudra pas dans le vide. C’est pourquoi les chrétiens veulent s’engager tout particulièrement sur les questions d’écologie intégrale, dans le sillage de l’encyclique du pape François, Laudato Si. Le diocèse veut y avancer.

Je voulais donc vous présenter mes vœux en forme de déchirures. Le mot peut étonner. Je le goûte de plus en plus. Si rien ne se fait sans l’engagement de nos libertés, à ne compter que sur nous, je crains que nous ayons beaucoup de mal à avancer au cœur de nos violences et de nos contradictions. « Ah si tu déchirais les cieux » s’exclamait le prophète Isaïe en s’adressant à Dieu. Nous fêterons dimanche le baptême du Christ ou l’évangéliste Matthieu nous précise que par Jésus, les cieux s’ouvrent. Oui, Seigneur, viens déchirer nos habitudes, nos enfermements, nos scléroses, nos peurs, nos mépris et nos volontés de domination. Réveille en nous les sources de la fraternité, de la justice, de la vérité et de la paix.

Vœux de déchirures, en ce début de 800ème anniversaire de la cathédrale. Une déchirure, c’est souvent inattendu, et ça commence toujours par décaper. Ça fait mal. Mais aussi, parfois, c’est indispensable pour libérer la puissance de vie insoupçonnée que nous portons. « Ça déchire » disaient parfois les jeunes pour s’émerveiller d’un événement qui les conduit au meilleur d’eux-mêmes.

Me reviennent les mots d’un dominicain belge que j’aime beaucoup : « Pour l’Evangile, la question décisive est celle-ci:  » y a-t-il une vie avant la mort ?  » Je le crois profondément. Christ en est la manifestation et la révélation.

Je vous souhaite une très belle année 2020


+Olivier LEBORGNE
Évêque d’Amiens 

Voeux 2020

Et je formule pour tous aussi le vœu que, à la lumière de la cathédrale, vous entriez dans cette déchirure de l’espace, pour servir là où vous êtes, vivez et travaillez, une authentique fraternité.

Que vous soyez toujours en mouvement, mais jamais déracinés.