Retour sur l’ordination presbytérale de Sylvain Mansart

Homélie de Mgr Olivier LEBORGNE
Ordination presbytérale de Sylvain MANSART
Dimanche 23 juin 2019
Cathédrale Notre Dame d’Amiens

 

En ce temps-là, Jésus parlait aux foules du Royaume de Dieu, nous rappelait l’évangéliste il y a quelques instants. Jésus parle aux foules du Royaume de Dieu. Il est l’homme du Royaume. En lui, précisément même, le Royaume surgit.

C’est sans doute toute notre conception du Royaume qui est à revisiter. Pour beaucoup, le mot royaume renvoie spontanément à un territoire gouverné par un roi, à une puissance organisée, à une réalisation terrestre.

Nous le savons, Jésus subvertit généralement les réalités terrestres : en les habitant, en s’y incarnant, il en change profondément le sens. Quel est donc ce Royaume de Dieu dont Jésus ne cesse de parler et dont, devenant signe du Christ Pasteur, tu va devenir, mon cher Sylvain, tout particulièrement le ministre, le signe et le serviteur ?

Le passage du livre de la Genèse que nous avons entendu en première lecture fait référence à un personnage dont on ne parle quasiment pas dans la Bible. Il s’agit de Melchisédech, roi de Salem. Ce roi de justice (ce que signifie le nom Melchisédech) et de paix (Salem signifie paix), surgit dont on ne sait où, apparaît dans un moment très trouble de la vie d’Abraham : les puissances d’alors sont dans des conflits violents, son neveu Loth et sa famille ont été emmenés par les vainqueurs et Abraham œuvre pour les retrouver et les libérer. Dans ce contexte de bruits et de fureurs, de violence et de mensonge, Melchisédech pose un acte dont la puissance symbolique traversera l’histoire  : il prend du pain et du vin, jusqu’ici mentionnés qu’une seule fois dans la Bible autour d’événements dramatiques (la chute pour le pain, l’ivresse puis la nudité de Noé pour le vin), il les offre au Dieu très haut en prononçant une parole de bénédiction.

Voilà une œuvre sacerdotale : au cœur d’un monde qui ne sait plus où il va, où la violence et l’injustice semblent devoir dominer, ressaisir le don de Dieu jusqu’en son dévoiement pour l’offrir à Dieu et ainsi le remettre dans sa perspective fondamentale de bénédiction. Voilà aussi la dynamique fondamentale de l’eucharistie – nous fêtons aujourd’hui la fête du Saint Sacrement – : ressaisir la création dans la gratitude du don qu’elle est, et l’offrir au Père, pour que, par Jésus, avec lui et en lui, elle retrouve sa destination de bénédiction.

En Jésus, à chaque messe, c’est toute la création qui est assumée, qui est transfigurée dans le Verbe fait chair ressuscité qui se donne en nourriture, afin que nous retrouvions tous et chacun, et l’univers entier, c’est-à-dire chaque créature selon son ordre propre, notre destination de bénédiction. Comment ne pas citer ici les mots du pape François, dans son encyclique Laudato Si (§ 236) : « Dans l’eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation. […] Dans l’Eucharistie la plénitude est déjà réalisée ; c’est le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en soi un acte d’amour cosmique … »

Tu vas devenir prêtre de Jésus Christ, mon cher Sylvain, serviteur de la dynamique eucharistique de la création.

Poursuivons avec Melchisédech. Sa bénédiction se déploie en deux mouvements : Béni soit Abram par le Dieu très haut qui a fait le ciel et la terre, béni soit le Dieu très haut qui t’a délivré de tes ennemis. Le Dieu de la création est le Dieu sauveur, et la bénédiction d’Abraham trouve sa source dans l’acte sauveur de Dieu.

L’eucharistie ressaisit toute la création pour la rendre à sa destination fondamentale de bénédiction dans la bénédiction du Dieu créateur et sauveur. L’eucharistie est sacrement du salut. L’annonce de ce salut fait l’être même du prêtre. Et je sais que cela est très important pour toi. Dans l’épaisseur des réalités de la Création avec à son sommet, la personne humaine, tu accueilles la grâce d’ordonner ta vie à l’annonce du salut. Tu le célèbreras aussi dans le sacrement de la pénitence-réconciliation.

Dans un monde à bien des égards pris dans des compromissions et des aveuglements qui abîment la création et détruisent l’homme, qui ne sait plus nommer le salut que pourtant il cherche, , tu célèbreras l’eucharistie Jusqu’à ce qu’il vienne, précise Saint Paul.  Ni notre monde, ni notre temps ne sont clos sur eux-mêmes. Ils sont en attente – et par Jésus en promesse – de plénitude. « Il reviendra dans la gloire et son règne n’aura pas de fin ».

Parce que Dieu a pris chair de notre chair et qu’il est ressuscité selon la chair, nous savons la dignité de la chair, de notre humanité et de son histoire et avec le Seigneur Jésus, dans la grâce de l’Esprit, nous voulons nous engager à son service. Nous savons aussi que le Royaume dont il parle ne saurait s’identifier à nos réalisations aussi géniales soient-elles, que l’être profond de l’homme est tendu vers cette plénitude qui vient.

Le Royaume dont parle Jésus, c’est lui-même dans la plénitude de sa résurrection, quand Dieu sera tout en tous et que tout aura été récapitulé dans la folie de l’amour et la puissance de la résurrection.

Pour être prêtre de Jésus Christ selon le cœur de Dieu, et tu vas le devenir dans quelques instants, nous demandons pour toi à l’Esprit Saint la grâce d’être l’homme de l’eucharistie dans la suite de Melchisédech et à la manière de Jésus, jusque dans sa dimension eschatologique.

Donnez-leur vous-même à manger. Les disciples ont dû être plus que surpris par ces propos de Jésus apparemment irréalistes : comment nourrir 5000 personnes avec 5 pains et 2 poissons ? Nous n’avons rien, ou quasiment rien pour relever les défis de l’annonce du Royaume à tous. N’aie pas peur, Sylvain. Offre-toi au Seigneur, il donne tout. Avec Jésus, dans la grâce de l’Esprit, dans quelques instants tu offriras au Père le pain et le vin. Et tu annonceras le Royaume.

Que le Seigneur soit béni !

+ O. Leborgne
Évêque d’Amiens

N’aie pas peur, Sylvain. Offre-toi au Seigneur, il donne tout.

Avec Jésus, dans la grâce de l’Esprit, dans quelques instants tu offriras au Père le pain et le vin. Et tu annonceras le Royaume.