Parole de notre évêque: Qu’as-tu fait de ton frère ?

Dans le cadre de la visite pastorale que j’effectue auprès des mouvements, je rencontrais le dimanche 31 janvier dernier les mouvements de pastorale familiale.

Foi et Lumière, mouvement créé par Marie Hélène Matthieu et Jean Vanier qui regroupe des personnes handicapées, des membres de leurs familles et des amis, était représenté. L’un de ses membres nous faisait remarquer que si on n’avait jamais autant organisé la compassion autour des personnes handicapées, on n’avait dans le même temps jamais autant cherché à les cacher, voire à les faire disparaître avant qu’elles naissent. Et de fait, certaines levées de fonds fortement médiatisées promeuvent – et c’est positif – le soutien de personnes malades ou handicapées, encouragent la recherche facilitent le repérage génétique qui permet la recherche thérapeutique, mais aussi favorisent – de manière parfois appuyée – la sélection et donc l’élimination dès avant sa naissance d’enfant porteur de handicap. Est-ce bien logique ? Cette réflexion m’a d’autant plus marqué qu’un couple d’amis est confronté à une pression très forte de la part du corps médical, entre autres, parce qu’ils ont décidé de ne pas faire d’amniocentèse malgré une suspicion de trisomie 21. Ils m’ont dit : « Pourquoi faire cet examen alors que nous savons que quoiqu’il arrive, quoiqu’il en soit d’un éventuel handicap, nous accueillerons cet enfant ? »

Le lendemain, j’entendais à la radio qu’une mère d’enfant autiste avait été insultée pour avoir osé demander que son enfant soit scolarisé dans l’école du quartier (comme la loi l’exige pourtant). On est allé jusqu’à lui reprocher de l’avoir laissé naître, lui indiquant que si elle avait été une bonne mère, elle l’aurait éliminé avant.

En cette année de la miséricorde, à la lumière de ce « nom de Dieu1 » qui allie amour inconditionnel, vérité et recherche de la justice, nous sommes provoqués à revisiter nos attitudes. Des associations s’y engagent et de belles réalisations se développent. De magnifiques témoins nous y aident. Des femmes, des couples, des familles qui ont pu accueillir la vie d’enfants « différents » et choisir de l’accompagner et de la servir, ne cachent pas l’épreuve que cela peut être, mais disent aussi la puissance d’amour, l’élargissement du regard, la création de nouvelles solidarités et l’accroissement de vie que génèrent de telles expériences2.

Qu’on ne se trompe pas. Il ne s’agit nullement de condamner les couples qui ont pu se sentir obligés à un tel choix. Mon expérience m’a fait constater qu’ils subissaient souvent des pressions extrêmement fortes et que parfois les femmes étaient très seules. Il me paraît aussi aujourd’hui très clair qu’avant d’être une question posée à ces femmes, la question nous est posée à la société : quelle société construisons-nous, quelle société voulons-nous construire ?

Car c’est bien du type de société que nous voulons construire dont il s’agit ici. En effet, quand on vous explique de manière directe ou indirecte que pour être digne de vivre, il faut correspondre à des normes, vous comprenez que vous n’avez plus le droit d’être différent, sinon selon les critères en vogue. Vous comprenez que votre dignité n’est pas inaliénable et que vos droits sont relatifs, qu’ils dépendent de ces « normes de la normalité » qui sont le plus souvent définies par un consensus émotionnel, c’est à dire toujours manipulé, et donc par les plus forts économiquement et idéologiquement au détriment des plus faibles.

Ce sont ainsi les droits de l’homme qui sont en danger. « Tout est lié », comme aime à le répéter le Pape François depuis son encyclique Laudato Si. Un tel discours sur le refus de la vie différente à sa naissance amène à juger toutes les différences à l’aune de nos peurs ou de nos égoïsmes. Et c’est le migrant, par définition culturellement différent, auquel on ne reconnaît plus les droits élémentaires ; et c’est le chômeur ou le SDF qui n’étant jugé qu’à son utilité se sent écrasé et perd l’énergie pour se battre. Tout n’est pas simple et toute situation peut être interrogée, mais jouer à un moment de la vie ou à un autre sur la dignité de la personne humaine, c’est la nier et y renoncer. La dignité humaine n’est pas le fruit d’un projet ou d’un consensus.

Les catholiques doivent être les premiers au service de l’homme. Saisissons cette grâce du carême qui vient de commencer pour demander au Seigneur d’être libérés de nos timidités et incohérences, et de nous renouveler dans les «œuvres de miséricorde !»

+ OLIVIER LEBORGNE, ÉVÊQUE D’AMIENS

MGR Olivier Leborgne

explications

1. Cf. Pape François, Le Nom de Dieu est Miséricorde, aux éditions Robert Laffont et Presses de la Renaissance.
2. Un livre récent mérite le détour : Nous sommes nés et ne Mourrons jamais plus, de Christiana Paccini et Simone Troisi, aux éditions Artège.