Homélie de la messe Chrismale à la Cathédrale

Chers frères et sœurs,

Dans un sermon sur la Passion du Seigneur, Saint Augustin s’écrie : ce que Dieu nous promet pour l’avenir est grand ; mais est bien plus grand ce que nous commémorons comme réalisé dans le passé (à savoir : le Fils unique de Dieu en naissant des hommes est allé jusqu’à mourir de la main des hommes qu’il a créés). (…) Pourquoi (donc) la faiblesse humaine hésiterait-t-elle à croire ce qui arrivera un jour : que les hommes puissent vivre avec Dieu ?

Tout au long de la Semaine Sainte, nous mesurons l’engagement personnel de Dieu pour ses créatures. Nous participons à son grand dessein, à son rêve que toute créature libre puisse enfin repousser les ténèbres du péché, la noirceur du désespoir, la peur de la mort, et s’ouvre, librement, à l’infini de sa miséricorde et de son amour. Ce grand projet divin, Saint Augustin le formulait ainsi : Tu nous as faits pour toi Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi.

Les catéchumènes que nous accompagnons découvrent, parfois dans les larmes, parfois après des vies marquées par l’épreuve, l’angoisse ou l’errance, cette « très noble vocation de l’homme », en qui « un germe divin a été déposé », selon le mot du Concile Vatican II (Gaudium et spes 3,2). Ils découvrent avec une intensité plus vive encore, combien cette vocation ne s’éclaire vraiment qu’en contemplant la personne de Jésus, dont le Concile Vatican II dit aussi : en réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe Incarné. (…) Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation (GS 22).

Comme il beau ce mystère de notre foi, que la Semaine Sainte actualise et rend actif en nous ! Entrant avec Jésus dans Jérusalem, nous glissant parmi ses apôtres quand il leur lave les pieds et institue l’eucharistie, gardant les yeux ouverts sur sa souffrance, de Gethsémani au Golgotha, sur sa mort en croix et la remise de son corps entre les bras de sa mère, accueillant encore le silence du samedi saint, avant l’exultation de la veillée pascale et du dimanche de la Résurrection… nous vivons un cheminement intérieur et communautaire intense : ces événements uniques, vécus autrefois, rendus présents dans la liturgie et dans notre prière, nous en recevons la grâce pour aujourd’hui et la promesse pour demain. Jésus, celui que nous avons transpercé, vient à nous. En Lui, nous vivons notre propre pâque, et nous reprenons avec cœur notre pèlerinage terrestre.

Le psaume 88 que nous avons chanté à l’instant prie ainsi : autrefois, tu as parlé à tes amis. Tu leur as dit : j’ai trouvé David mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte, ma main sera toujours avec lui. Jésus est le Fils de David. Il reçoit l’onction de l’Esprit Saint au baptême dans le Jourdain, onction prophétique, sacerdotale et royale. Imprégné de la force de l’Esprit, il est envoyé, pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il se livre tout entier à la gloire de son Père, par compassion de ce monde, et pour son salut. Tout prend sens à partir de Lui.

L’onction reçue par Jésus, nous la recevons aussi, au baptême. Elle nous imprègne de la force et de la bonté de Dieu. Elle nous imprègne de l’odeur de sainteté et de l’énergie divine. Elle nous protège dans les tempêtes de la vie. Elle nous donne de l’ardeur pour aimer Dieu et en témoigner. Onction des catéchumènes, onction du baptême, onction de la confirmation, onction des ordinations, onction des malades. Toutes nous unissent, d’une manière ou d’une autre, à Jésus lui-même, homme parmi les hommes et Christ pascal.

Avec Lui, oints de son Esprit Saint, nous devenons ses porte-paroles, nous sanctifions notre vie. Nous la menons avec la liberté royale des enfants de Dieu. Avec Lui, nous sommes prêtres, prophètes et rois. Avec Lui, nous recevons la consolation et la force contre la maladie, la guérison même, s’il plaît à Dieu, et, si notre heure est arrivée, l’acceptation du grand passage vers la vie éternelle. Avec lui, prêtres et évêques reçoivent la grâce d’être pasteurs et de participer à son sacerdoce, pour enseigner, nourrir et guider le saint Peuple de Dieu.

C’est à eux, évêques et prêtres que le Seigneur a confié la charge de porter l’évangile en tous lieux, la présidence des sacrements et la mission de veiller sur le Corps du Christ qui est l’Église. Dans un instant, je demanderai aux prêtres : voulez-vous vivre plus unis au Seigneur Jésus, en renonçant à vous-mêmes et en étant fidèle à votre ministère, par amour du Christ et pour le service de son Église ? Cette question ramène chacun d’eux aux origines de sa vocation et au OUI de son ordination, ces expériences inoubliables qui nous ont procuré tant de joie.

Chers frères prêtres, merci d’avoir dit OUI à cet appel à suivre le Christ et à devenir ses missionnaires. Merci de redire ce OUI aujourd’hui, devant l’Église locale, réunie en ce lieu. Comme en toute vraie aventure, vous ne saviez pas où vous conduirait ce OUI, et où il vous conduira à l’avenir. Ce OUI, nous le redisons souvent dans la joie et la paix du cœur, parfois après des épreuves, des chutes ou des doutes.

Mais en nous, résonne à nouveau, comme au cœur de Saint Pierre, au petit matin, au bord du lac, après une pêche de nuit sans résultat : m’aimes-tu, m’aimes-tu, m’aimes-tu vraiment ? Oui ? Alors, suis-moi, reprends souffle. Souviens-toi de l’onction reçue, sur ton front et dans tes mains, prends ta croix, et viens, suis-moi, avec humilité et détermination. La joie du Seigneur est notre rempart, dit le prophète Néhémie (8,10). Elle sera aussi ta joie et si tu la communiques dans la fidélité, la joie de toute l’Église.

En presbyterium, nous avons à faire grandir davantage encore la fraternité, à nous soutenir davantage en partageant la Parole et la prière, et à chercher davantage ensemble comment annoncer l’Évangile au monde de ce temps. Tout cela en restant toujours plus unis au Christ et à tant de baptisés, qui eux aussi, ont reçu l’onction de l’Esprit, le sens de la foi et la capacité à rendre l’Église plus belle et plus sainte que jamais.

Cette célébration est source de grande espérance pour notre Église. Elle est certes meurtrie par bien des blessures, inhérentes à son histoire, et parfois bien pauvre. Elle sait en être pénitente et humble. Mais elle se sait surtout heureuse d’être unie à la Pâque du Christ, de laquelle sans cesse elle renaît et reçoit des forces nouvelles. En ce jour de grâce, que le Seigneur renouvelle en nous son onction. Qu’Il bénisse la diversité de nos nobles vocations, et qu’Il rende fécondes ces semences d’Évangile dont Il ensemence le monde. Amen.

 

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens