Homélie week-end Kérygma 21- 22 janvier 2023 à Amiens

Chers Frères et sœurs,

Huit siècles avant Jésus, Isaïe proclamait : « Pays de Zabulon… le Peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. »

Jésus, envoyé du Père, irradie de cette lumière qui nous éblouit et nous libère de nos angoisses profondes. Il en est le premier missionnaire. Son kérygme tient en deux phrases : Convertissez-vous, car le Royaume de Dieu est tout proche. C’est le contenu de sa première annonce, qui à vrai dire n’en est pas une. Tout palestinien de ce temps-là savait de quoi il parlait : tout juif, pieux ou pas, le savait proche, ce Royaume, espace-temps où Dieu règne. Ce qui est nouveau, ce qui fait de ce kérygme peut-être pas une première annonce mais une annonce première, une annonce primordiale, c’est l’accomplissement en Lui, de la prophétie.

Cette Lumière, qui chasse par sa venue l’ombre qui planait sur le Peuple de la première alliance et qui anéantit aussi les ténèbres qui assombrissent toute l’histoire de l’humanité et les nations, depuis Adam jusqu’à ces temps qui sont les derniers, c’est en Jésus qu’elle se lève. La prophétie s’accomplit en la personne de Jésus. Et notre première annonce, à nous qui croyons que Jésus est la Lumière du monde, unit l’ancien et le nouveau. Énoncer le kérygme pascal et dire, dans la foi : Cet homme que vous aviez crucifié, pour nous, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins ! C’est faire entrer nos existences entières dans le Royaume de Dieu, cet espace spirituel de nos vies où Dieu règne déjà, en attendant que toute la Création consente à ce Règne. Chaque jour, nous continuons de prier le Père, sans nous lasser, en disant : Père, que ton règne vienne.

Le kérygme, certes, porte sur la personne de Jésus depuis les origines. Mais beaucoup l’entendent comme un refrain déjà connu. La première annonce ne fait pas vraiment événement dans un pays de vieille chrétienté tant qu’elle ne devient pas une annonce première, une annonce primordiale, existentielle dans la vie de quelqu’un. En un mot, tant que la personne ne s’est pas convertie. Et la conversion est le mystère de la rencontre intime entre chaque personne et l’Esprit de Jésus. Le Royaume en Jésus, vous le savez bien depuis Sainte Bernadette, il nous revient de l’annoncer, et pas d’y faire croire. Pour que l’on y croit cependant, la grâce de Dieu aidant, il nous revient à chacun d’entre nous, qui répétons si souvent ce kérygme, de nous y convertir jour après jour. Le suivre, vraiment, Lui, Jésus et faire entrer nos cœurs en cet espace où il règne.

Paul tançait les Corinthiens : que dis-tu ? Tu appartiens à Paul, à Pierre, à Apollos ? Mais de quoi parles-tu ? Ne rendez pas vaine la croix du Christ. La croix du Christ ! Ne confondez le moyen et le but, le témoin et son Seigneur, le serviteur et son maître. Allez vraiment à la personne de Jésus, visage du Père. Et pour cela détectez vite ce qui rend opaque votre relation à Jésus, vos postures, vos idéologies, vos chapelles sectaires… tout ce qui vous berne vous-mêmes, car le fond, votre âme, toute âme, a soif de Lui, de son eau vive, et de rien d’autre. Regardez l’humilité de Dieu en Jésus, et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Convertissons-nous, et d’autres se convertirons.

Jésus, nous le voyons, le premier missionnaire, le premier catéchète, le premier mystagogue, le premier témoin, le premier initiateur du Royaume de son Père. Le premier, mais pas le seul : il ne voulut pas être seul. Pierre et André, Jacques et Jean, deux, puis deux. En attendant les huit autres, et tant de disciples, hommes et femmes qui formeront la cohorte de ses témoins. Jésus appelle à Lui qui Il veut. Venez à ma suite, et (plus tard), je vous ferai pécheurs d’hommes. Une parole fondatrice qui ouvre un avenir. Jésus veut une mise en route immédiate, mais pour une fécondité ultérieure et une récompense dans les cieux. Il ouvre une course au long cours qui demande de l’effort, de l’ascèse, des choix de vie cohérents. Cette course est en même temps plaisante et douce car elle ne cherche aucun résultat palpable sinon la joie de courir pour Dieu, le joie de vivre pour Dieu, la joie d’être au Christ et de le laisser régner sur nos vies. La suite du Christ, la sequela Christi, dit-on en latin, est une marche reprise chaque jour, un pèlerinage qui tout ensemble nous dépouille et nous enrichit. C’est notre vie chrétienne, d’un bout à l’autre, vécue à l’école du Christ. Car la suite du Christ est une école : y être admis ne suppose pas de dispositions ni de vertus particulières (l’histoire l’a bien montré). Jésus n’appelle pas des gens formés et vertueux pour en faire des exécutants ou des mercenaires. Il appelle qui Il veut, qui Il voit de loin, des frères et des sœurs, si différents et si uniques en leur genre, libres, pour les guérir, les former à l’école de son amitié et de son esprit de service. Il les veut avec Lui, dans l’intimité, d’une relation personnelle et communautaire à la fois, afin que s’étant laissé imprégner par sa prière, sa parole, son pardon, sa guérison, son art de convertir et de relever, sa tendresse, sa douceur et sa pureté de cœur, sa paix intérieure et ses colères, son sens de la justice et sa miséricorde, ils s’exercent à devenir eux-mêmes missionnaires, témoins, catéchètes, mystagogues, initiateurs, hommes et femmes d’écoute, de dialogue et de transmission, maladroitement sans doute, mais enracinés dans cette parole instauratrice, parole vocationnelle dont ils gardent mémoire : venez à ma suite.

Frères et sœurs, que faire de notre week-end Kerygma? Chaque diocèse verra. Mais déjà, on peut le voir comme une étape de notre pèlerinage personnel et commun, auquel nous désirons appeler tant de nos frères et sœurs. Une étape qui rendra notre vie chrétienne un peu plus catéchétique, plus parlante. Une étape, ni plus ni moins. Nous savons bien que nous ne transformerons pas nos communautés paroissiales ou autre en un claquement de doigt et que l’évangélisation nouvelle prendra de longues générations après nous. Mais peut-être avons-nous fait un pas de plus dans notre appartenance à Jésus en son Église. Car annoncer le Christ est une expérience d’Église, sinon rien. « M’est avis que le Christ et l’Église, c’est tout un » disait Jeanne d’Arc. Distinguons sans séparer. Ekklesia, id est con-vocatio. L’Eglise est une con-vocation, une assemblée de personnes qui ont une vocation qui les rassemble, une assemblée voulue par le Christ, et formant ensemble son Corps. Corpus verum, le vrai corps du Christ, corps eucharistique et corps ecclésial tenus ensemble, comme l’enseignait les théologiens antiques. Annoncer le kérygme, c’est aussi aimer l’Église et vouloir qu’elle soit comme un avant-goût du Royaume des cieux. Il y a du chemin à faire, mais ne sous-estimons pas le miracle permanent qu’est notre Église.

Oui chers amis, le kérygme c’est le cri du cœur de Dieu, qui jaillit du cœur de Jésus, et que nous poussons en Église, chœur symphonique qui donne son âme au monde et le fait entrer dans son éternité. Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens