Homélie de Fête de la Saint-Firmin à la Cathédrale d’Amiens

Homélie de Mgr Le Stang
Fête de la Saint-Firmin – Dimanche 25 septembre 2022 – Cathédrale Notre-Dame d’Amiens

Un historien a diagnostiqué récemment qu’une des raisons de l’affaiblissement du catholicisme a été la fin de la prédication sur la vie après la mort, et notamment du jugement dernier, auquel la parabole de Jésus en ce jour nous renvoie. Ceux qui s’en souviennent se rappellent qu’il fallait en finir d’urgence avec une religion de la peur et s’ouvrir davantage à la miséricorde de Dieu, comme en a témoigné avec tant de grâce la petite Thérèse de Lisieux. Il est vrai, convenons-en, qu’il n’est pas chrétien de convertir qui que ce soit par la peur, en déformant au passage le visage aimant de Dieu. Il n’en demeure pas moins, convenons-en aussi, – grâce à cette parabole lanceuse d’alerte -, qu’il est bon de se souvenir souvent que nos décisions humaines, notre manière de vivre dans l’histoire et d’habiter le monde… Bref notre vie humaine, est, comme disait l’abbé Pierre dans son testament, « un peu de temps laissé à nos libertés pour apprendre à aimer et se préparer à l’éternelle rencontre avec l’éternel amour ». « Pas d’éternité pour nous que le temps ne prépare » écrivait le Cardinal Henri de Lubac qui ajoutait : le monde est pour ainsi dire « l’étoffe du monde à venir, la matière de notre éternité. »

L’enjeu n’est donc pas de craindre le jugement dernier mais de le désirer. Désirer la rencontre ultime avec le Seigneur qui fera la lumière sur notre pèlerinage terrestre. Le riche au cœur fermé, dans la parabole incisive de ce jour, connaissait la parole et le commandement de Dieu. Mais Il n’a pas pris le temps d’incarner cette parole dans sa vie. Au-delà de la mort, il est trop tard pour lui de réécrire son histoire, et de prendre conscience que c’est dans l’aujourd’hui de nos vies humaines que le Seigneur nous invite à la suivre. Pour te suivre, ô Seigneur, je n’ai rien qu’aujourd’hui, nous avertit Sainte Thérèse.

Voilà qui a de quoi nous faire méditer avec sérieux sur nos choix de vie. Est-ce que dans notre vie personnelle et communautaire, nous discernons cette présence proche et aimante de Dieu, qui nous invite à la contemplation et à l’action ? Ce discernement conduit au choix de Dieu, chaque jour de notre vie et jusqu’à notre dernier souffle, et à la foi en sa miséricorde infinie, car il ne faut « jamais désespérer de la miséricorde de Dieu » comme l’ordonnait Saint Benoît à ses moines (RB 4,74) dans son enseignement sur l’humilité. Notre fidélité à l’Évangile, aimantée par l’attente de la rencontre ultime avec le Seigneur, de chute en relèvement, n’est-elle pas un moteur puissant pour l’action et l’engagement en faveur de nos frères et sœurs ?

Actualité oblige, n’avons-nous pas été tous frappés par l’engagement de la Reine Élisabeth, au début de son règne, demandant à son peuple de prier pour qu’elle puisse fidèlement servir Dieu et son peuple, tous les jours de sa vie, jusqu’à sa mort ? Toute jeune elle se projetait, sous le regard de Dieu, dans un service qui l’animerait jusqu’à son dernier souffle.
L’engagement de foi nous conduit ainsi à regarder le présent à partir de la fin, avec ce regard d’aigle que donne la foi. Ceux d’entre vous qui sont mariés se souviennent sans doute de la question du prêtre au jour de leur mariage :
– En vous engageant dans la voie du mariage, Vous vous promettez amour mutuel et respect. Est-ce pour toute votre vie ?
R/ Oui, pour toute notre vie.
Cette même fidélité est demandée à l’évêque au jour de son ordination :
– Frère bien aimé, acceptez-vous la charge que nous ont confié les Apôtres… ? R/ Oui, j’accepte cette charge au service du peuple de Dieu et je m’engage à la remplir jusqu’à la mort, avec la grâce de l’Esprit Saint.

« … Jusqu’à la mort ». Choisir Dieu pour l’aimer tout au long de notre vie, et se donner pour Lui, avec l’Église, n’est-ce pas ce qui nous est demandé à tous ? L’électrochoc des lectures bibliques de ce jour nous stimule pour relancer notre marche.

« La bande des vautrés n’existera plus » dit le prophète Amos. Voilà une parole biblique que nous devrions être capable de dire de temps en temps, comme croyants, sans laisser le monopole de l’indignation à quelques révolutionnaires de pacotille ! Vous souvenez-vous, chers jeunes, des paroles du Pape François aux JMJ de Cracovie ? « Jésus est le Seigneur du risque ! (…) Le temps qu’aujourd’hui nous vivons n’a pas besoin de jeunes-divan, mais de jeunes avec des chaussures, mieux encore, chaussant des crampons. Il n’accepte que des joueurs titulaires sur le terrain, il n’y a pas de place pour des réservistes. » Pour le Pape François, l’enjeu est de taille : « Si tu n’y mets pas le meilleur de toi-même, le monde ne sera pas différent » (…) « l’histoire nous demande de défendre notre dignité et de ne pas permettre que ce soient d’autres qui décident notre avenir. » lançait-il encore.

Nous le savons au fond de nous-même, le Père ne nous reprochera pas d’avoir mal aimé si nous avons essayé, risqué, tenté… Il prendra dans ses bras notre pauvre vie pleine d’échecs, de défauts et d’errements …tant que notre cœur ne se sera pas endurci, tant que nous aurons pleuré nos péchés, et que notre liberté ne sera pas emmurée dans un NON à l’amour, laissant crever de misère les Lazare de notre temps, privés de pain et privés de Dieu.

Saint Paul en remet une couche : Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! C’est à elle que tu as été appelé, c’est pour elle que tu as prononcé ta belle profession de foi devant de nombreux témoins. (…) Voici ce que je t’ordonne : garde le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache, irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ.

Chers frères et sœurs, quand nous nous réunissons nombreux, pour la saint Firmin ou moins nombreux chaque dimanche dans nos paroisses, ce n’est pas pour une démonstration de force mais de pauvreté (chrétiens, nous sommes rarement des héros) : nous avons besoin de Dieu, nous avons faim et soif de lui, et nous voulons être ensemble pour l’accueillir, le choisir, lui rester fidèle et aller à sa rencontre en ce monde, lui exposer notre vie pour qu’il la façonne à l’image de Jésus et l’anime de son Esprit Saint. Nous sommes une Église qui compte sur Dieu et qui n’a aucune honte à le dire. Non seulement Dieu a pitié de nos misères, mais il se fait l’un des nôtres pour les partager. L’avertissement de la parabole du riche indifférent et du pauvre Lazare fait frémir mais comment ne pas reconnaître son réalisme : avec le Pape François, nous voyons chaque jour combien la « mondialisation de l’indifférence » entraîne les hommes vers l’enfer ? Nous avons besoin de ta grâce, Seigneur, pour ouvrir notre cœur !

La perspective de la joie du ciel éclaire ainsi notre manière de vivre et de nous faire proche des autres. Est-il, par exemple possible, pour faire allusion à nouveau à l’actualité, que le progrès soit de permettre de dire à quelqu’un : « Je vais t’aider à mettre fin à tes jours » ? De quelle compassion, de quelle dignité parlerait-on alors ? Notre mission n’est-elle pas de dire à tous, et en particulier aux plus souffrants : nous avons besoin de toi, ta vie a du sens, tu n’es pas seule, ta vie a du prix. Je vais t’aider à vivre, et aimer ta dignité, y compris dans ta grande fragilité, dans ta souffrance ou ta grande dépendance.

Mais peut-être, faut-il commencer par savoir dire aussi nous-mêmes, humblement, à d’autres : s’il te plaît, aide-moi à vivre. En situation de faiblesse, de handicap, de solitude, de maladie, d’échec affectif, de deuil, dire à un autre : J’ai besoin de toi, aide-moi, viens à mon secours, prie pour moi. Permets aux autres de puiser l’amour qui est en eux, demande-leur de venir à ton secours ! Être comme le Christ en croix qui dit : « j’ai soif », soif d’eau vive, soif d’amour. Aime-moi et, ce faisant, sois sauvé, devient ce pour quoi tu es fait et accomplis ta vocation profonde, car notre vocation, c’est l’amour et le service.

Au début de cette année pastorale, je vous invite, frères et sœurs, à refaire le ainsi le choix d’aimer, de servir et d’honorer Dieu et vos frères et sœurs jusqu’à votre mort, de façon la plus concrète possible, chacun selon ses forces, ses talents et ses dons, dans la sainteté du quotidien. Je vous appelle en particulier à vivre cela en vous engageant dans ce bel espace à évangéliser qu’est notre diocèse ! Quelle belle aventure missionnaire que de se dire : pour le saint peuple de Dieu en ce lieu, je veux bien donner ma vie, d’une manière ou d’une autre, avec en main la boussole de l’Évangile qui donne un cap pour tous les hommes de ce temps.
Et à la fin de ma vie, je me présenterai à toi, Seigneur, en te disant : juge-moi, éclaire ma vie. Si j’ai été fidèle, bénis-moi. Si j’ai tout foiré, pardonne-moi. Car je suis fait pour la rencontre éternelle avec l’éternel amour. Amen.

 

+ Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens