Homélie de Mgr Le Stang pour la Vigile Pascale

Chers frères et sœurs,

Au-dessus de l’amour de Dieu, il n’y a rien. Nous l’avons vu durant ces jeudi et vendredi saint, un peu étonnés que la foi chrétienne passe tant de temps à contempler un crucifié, ce que rejettent autant les juifs que les musulmans, et bien d’autres personnes qui ont une tout autre conception de Dieu. Mais n’est-il pas vrai – dès que l’on a vécu un peu- , qu’il faut concéder que dans la vie, on n’échappe pas à la croix, quel que soit le nom que porte l’épreuve qui fait douter et parfois désespérer de la vie, qui fait penser en un mot que tout est foutu. Quel sens aurait notre méditation du matin de Pâques si elle court-circuitait les erreurs tragiques, les tragédies et les puissances de mort à l’œuvre dans le monde ? Nous ne saurions comprendre les paroles de saint Paul proclamant que Dieu a dépouillé les Puissances de l’univers ; il les a publiquement données en spectacle et les a traînées dans le cortège triomphal du Christ (Col 2, 15)

Reconnaissons toutefois qu’après ces moments de sacrifice, de déréliction et de mort, il se passe ici, à la pointe de l’aurore tout autre chose, quelque chose de plus mystérieux et insaisissable, d’étonnant et de déconcertant. Quelque chose qui préfigure déjà une joie intense et fait battre les cœurs d’un amour nouveau. Le tombeau est vide. Saint Luc ne commence pas par le récit d’une apparition de Jésus Ressuscité, qu’il appelle le Vivant. Il montre le tombeau vide, puis la fidélité des femmes à transmettre les propos reçus, propos jugés comme délirants par les apôtres, qui décidément, ne s’améliorent pas. Et puis, devant ce tombeau vide où il ne reste que quelques linges, il invite à se souvenir : Pourquoi cherchez le Vivant parmi les morts ? Rappelez-vous… Il vous l’avait dit. Il invite à faire retour sur tout le chemin vécu avec lui, pour se disposer le moment venu, à la rencontre avec lui. Il fera de même pour les disciples d’Emmaüs. Il les fait dépasser le choc de la séparation, de la mort et du deuil, et leur air bizarre devant ce tombeau béant, à deux pas du Golgotha ; et il leur dit : mais enfin, tout cela n’est-il pas cohérent ? Toute l’Écriture Sainte, la Loi et les prophètes, ne tendent-elles pas vers ce matin où vous arrivez ici, les aromates à la main ? ne fallait-il pas qu’il ressuscite ? Et votre vie même, n’est-elle pas habitée depuis longtemps par un désir de se délester de ce qui vous pèse ou vous tue à petit feu, un désir de traverser l’épreuve et de renaître, pour donner la vie, vous relever, et en un mot un désir de ressusciter avec lui.

Car c’est de cela qu’il s’agit : s’il est ressuscité, c’est pour que nous aussi nous devenions des vivants. Souvenez-vous, écoutez le fond de votre cœur : n’est-il pas là, le désir de ressusciter avec Jésus ? N’est-il pas évident qu’il fallait que le tombeau soit vide ; car Dieu n’a pas fait la mort, Dieu ne nous a pas fait pour la mort. Il ne peut laisser son Fils croupir au séjour des morts. Il ne peut nous-mêmes nous laisser mourir et traverser l’existence et ce monde sans espérance.

S’il est ressuscité, c’est pour que nous aussi nous devenions des vivants

Chers catéchumènes, vous avez vécu, voici quelques semaines, un scrutin, une étape vers le baptême – on l’appelle exorcisme – . Elle a consisté à chasser le mal de votre cœur et à demander à Dieu de vous en protéger. Le mal a déjà été extirpé hors de vous, et vous êtes déjà des hommes et femmes libres, habités par la foi. Dans un instant à la question : renoncez-vous au mal ? vous pourrez répondre en toute liberté et à pleins poumons : oui, je renonce au mal, et dire avant nous et avec nous, votre foi au Dieu Père, Fils et Esprit. Et alors, en étant baptisés, dans votre cœur, pourra se déverser le flot de l’amour de Dieu, qui lave toute les peines et les errances anciennes, et qui vous fait plonger dans la Pâque de Jésus. Ce flot de l’amour de Dieu, vous recevez la mission de le propager autour de vous, tout au long de votre vie. Et nous qui sommes, baptisés, nous découvrons en ce même instant que nous avons, nous aussi, à renoncer au mal s’il a réussi à s’instiller en nous malgré notre baptême. Nous avons, nous aussi, à nous laisser inonder aussi par ce flot de l’amour divin qui prend corps en nous et ne demande qu’à se propager dans le monde.

Si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. Voilà le mystère joyeux et glorieux que nous fêtons. Voilà le mystère dont vit l’Église, qui ne cesse de renaître de ses cendres au long des temps, grâce au don de l’Esprit du Vivant. Comme nous devons remercier Dieu d’avoir accès à un tel mystère. Il fait de nous, si différents, ici et maintenant, des frères et des sœurs, et il nous rend responsables de nos frères et sœurs en ce monde, eux aussi appelés, tous, à la vie de Dieu. Amen, Alleluia.

Cathédrale Notre-Dame d’Amiens