Messe en l’honneur de Saint Anschaire à l’occasion des 1200 ans de la fondation de l’abbaye de Corvey par l’abbaye de Corbie.

Messe en l’honneur de Saint Anschaire
Dimanche 6 février 2022
à l’occasion des 1200 ans de la fondation de l’abbaye de Corvey par l’abbaye de Corbie.

Frères et sœurs,

L’Écriture Sainte, l’histoire de l’Église, et bien des hommes et des femmes de notre temps, nous livrent des récits de leur rencontre brûlante avec Dieu, expérience qui les a touchés en plein cœur et a transformé leur vie. La liturgie de ce jour nous remet en présence trois personnages bibliques immenses : le prophète Isaïe qui, bien des siècles avant la venue de Jésus, reçoit au Temple sa vocation. Qui enverrai-je ? s’entend-il dire. Me voici, envoie-moi, répond le prophète Isaïe, purifié par le feu de Dieu et libéré de sa peur et de son sentiment d’être indigne. Puis Paul : il annonce le Christ vivant, lui « l’avorton » qui persécutait l’Église avant de rencontrer Jésus sur le chemin de Damas. Et enfin Pierre, transformé en pêcheur d’hommes, après le miracle de la pêche miraculeuse qui le bouleverse et l’effraie. À leur suite, tant d’autres ont pris le relai, tel Saint Anschaire né, ici, à Fouilloy en 801. En ce site monastique de Corbie, des hommes, suivant dès le VIII° siècle la Règle de saint Benoît, ont tout donné pour un seul désir : chercher et servir Dieu. Des hommes de la trempe d’Isaïe qui  voulaient simplement être purifiés par l’amour de Dieu et le chercher tout au long de leur vie. Mais ces hommes-là, en entrant en contact avec Dieu, ont entendu son incroyable compassion pour le monde. L’abbaye était un lieu d’hospitalité et d’aumône. Jésus regarde les foules et constate qu’elles sont comme des brebis sans berger. Isaïe entend la voir de l’ange qui dit : qui enverrai-je ? et il dit : envoie-moi. Saint Anschaire connaissait par cœur ces textes, comme tous les moines de l’époque. Pas d’ordinateur ou d’outils numériques pour remplacer la mémoire en ce temps-là. Les moines étaient copistes. Ils recopiaient la Bible et les grands textes de l’Église, les textes des papes et des conciles. Dans ses écrits, Anschaire rajoutait des versets bibliques pour l’inciter à être plus fervent, à demander pardon, à être plus saint. Entre ces moines du IX° siècle et les apôtres de la pêche miraculeuse sur le lac, il n’y a pas beaucoup de distance. Ils croient en ces événements narrés par la Bible, ils rencontrent Dieu qui fait des miracles, ils se laissent envoyer par lui comme pécheurs d’hommes.

Pouvons-nous simplement imaginer ce que vivaient les moines de Corbie qui vont en 822 fonder à Curvey une abbaye nouvelle, non loin de terres du Nord de l’Europe, très hostiles au christianisme ? Nous avons été, sur nos terres de la Somme, très marqués par les horribles guerres mondiales : elles ont fait de nous des victimes, des gens brisés, chassés, détruits. Mais il ne faut pas oublier que ces terres où nous vivons, recouvertes de forêts au Moyen-âge, ont hébergés aussi des abbayes extrêmement puissantes rassemblant des hommes nombreux, courageux, cultivés, qui ont eu un rayonnement extraordinaire. Ces hommes ont posé, avec bien d’autres communautés monastiques, les bases de l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ces moines n’avaient qu’une idée en tête : vivre l’Évangile à 100%. Anschaire était de ceux-là. Habité lui aussi par ses rencontres intimes avec le Seigneur, et envoyé à Corvey, dès 823, il fut l’un des leaders de la nouvelle abbaye… et très vite ( à partir de 826) un acteur majeur de l’évangélisation de cette région. Les moines n’étaient pas seulement moines au sens actuel, homme de prière reclus dans un monastère comme à Saint Wandrille ou au Bec Hellouin. Ils étaient enseignants et missionnaires. Ils vivaient certes en communauté, priaient les psaumes chaque jour durant leurs offices. Mais ils instruisaient aussi le Peuple, aidés des écrits qu’ils recopiaient. Et ils prenaient la route : la vie de saint Anschaire est une épopée extraordinaire, entre la Picardie, l’Allemagne actuelle, les pays scandinaves dans leur immensité, sans oublier les rencontres avec le Pape à Rome, qui le nomma évêque et légat pontifical en cette Europe du Nord. Cette vie, racontée par un de ses contemporains et frère, Saint Rambert, en un ouvrage de grande qualité historique et littéraire, narre une aventure incroyable. Le simple mot de viking évoque pour nous de valeureux et cruels guerriers scandinaves. Imagine-t-on qu’ils vénéraient des Dieux qui leur ressemblaient, des dieux guerriers, par lesquels ils se sentaient galvanisés pour devenir des hommes de violence et des combattants sans pitié ? Était-il concevable de convertir à la véhémence de l’amour de Jésus, à l’adoration d’un Sauveur crucifié, ces hommes éduqués pour se battre et dominer les autres ? C’est pourtant ce que firent ces moines médiévaux, Saint Anschaire, courageux, tenace, ascète, parfois seul, bon politique et toujours prêt à mourir en martyr pour le Christ. Lui, avec ses compagnons, à bien des reprises, donna tout pour planter l’Église en Suède et autres lieux.

Sommes-nous dans une époque complétement différente ? Oui et non. Il y a apparemment moins de violence et d’hostilité au message chrétien. En apparence cependant : la violence n’est jamais loin dans nos sociétés et beaucoup sont prêts à écraser les autres pour parvenir à leurs fins. Et pourtant, nous le savons aussi, des siècles de christianisme ont marqué notre culture et la foi au Christ a pris corps ici et a donné de belles aventures de sainteté, d’amour de Dieu et de service des hommes. Il reste des braises de cette intense présence chrétienne chez nous. Il nous faut souffler dessus pour que le feu reprenne. Ici à Corbie et Fouilloy, tout prêt des saintes reliques de ce moine (son bras notamment), devenu très rapidement le saint patron de la Scandinavie, sans oublier les saints qui vécurent aussi en ces lieux, sainte Colette et tant d’autres, je rêve que se lèvent des hommes et des femmes qui cherchent Dieu avec toute l’énergie de leur être. Des hommes et des femmes qui par leur culture, leur désir d’aller en eaux profondes, deviennent sur ordre du Christ, des pécheurs d’hommes, des sauveteurs en mer qui, comme saint Paul, annoncent le Christ Ressuscité à tous ceux qui coulent en pleine mer, sans boussole pour les guider.

Lors d’un discours à Paris, le Pape Benoît XVI, en 2008, avait dit : « Dans l’effondrement de l’ordre ancien et des antiques certitudes, l’attitude de fond des moines était de se mettre à la recherche de Dieu (..). Celui qui devenait moine, s’engageait sur un chemin élevé et long, il était néanmoins déjà en possession de la direction : la Parole de la Bible dans laquelle il écoutait Dieu parler… les chrétiens de l’Église naissante ne considéraient pas leur annonce missionnaire comme une propagande qui devait servir à augmenter l’importance de leur groupe, mais comme une nécessité qui dérivait de la nature de leur foi (…) Pour eux, la foi ne dépendait pas des habitudes culturelles, qui sont diverses selon les peuples, mais relevait du domaine de la vérité qui concerne, de manière égale, tous les hommes. » (Discours aux bernardins, 12.09.2008).

Nous aussi, en ce début de XXI° siècle, nous vivons la fin d’un monde ancien et d’antiques certitudes. La mondialisation, les modifications graves de l’environnement, les migrations multiples, les grandes transformations des mœurs… inquiètent : où allons-nous ? Que vont devenir nos sociétés ? Et au fond, qui sommes-nous en ce vaste monde ? C’est le moment pour des hommes et des femmes de méditation, de prière, de confiance et d’espérance, d’oser dire : ce monde vient de Dieu et il va à Dieu. Il doit être transformé en suivant un cap : celui du Bien Commun, qui n’est pas celui des nationalismes fermés, des intégrismes religieux ou laïcs. Ce monde a été voulu par Dieu pour la liberté de l’amour et pour l’espérance, dans le respect de la dignité de tous, de la conception à la mort. Il a été fait pour que chacun y trouve sa mission et sa vocation, source de joie profonde.

Je m’adresse à vous, les jeunes : ici, dans la Somme, au IX° siècle, un jeune élevé par les moines, Anschar (ou Anschaire), est devenu une des plus grandes figures de sainteté de l’Europe : moine, missionnaire, légat du pape, prêtre, évêque. Il donnait tout pour annoncer la foi, pour libérer les esclaves, pour désarmer les guerriers… Il a vécu 10 vies en une seule. Et vous ? Que ferez-vous ? N’entendez-vous pas l’appel de l’ange qui vient vous bruler les lèvres et la voix qui dit : Qui enverrai-je ? N’entends-tu pas Jésus t’appeler comme il appela Pierre, Paul et les autres : viens et suis moi… je ferai de toi un pêcheur d’hommes. Laissant tout, ils le suivirent. Et nous, le suivrons-nous ? Amen.

 

+ Gérard le Stang
Evêque d’Amiens.

Entre ces moines du IX° siècle et les apôtres de la pêche miraculeuse sur le lac, il n’y a pas beaucoup de distance. Ils croient en ces événements narrés par la Bible, ils rencontrent Dieu qui fait des miracles, ils se laissent envoyer par lui comme pécheurs d’hommes.