Homélie de Mgr Le Stang pour la Fête de la Toussaint

Homélie de Mgr Le Stang
Fête de la Toussaint
Dimanche 1er Novembre 2021
Cathédrale Notre-Dame d’ Amiens

Frères et sœurs,

Le livre de l’Apocalypse vient de nous livrer la grande vision d’une multitude rassemblée, « revenue de la grande épreuve », proclamant la gloire de l’Agneau de Dieu. Il exprime, de façon grandiose, la grande Espérance de voir réunis en Christ une multitude d’hommes et de femmes, sauvés par son sacrifice, lavés par le sang de l’Agneau. Cette vision d’espérance nous parle encore, même si nous avons moins de représentations imagées de la vie éternelle que les générations antérieures. Pourtant, nous désirons cette vie éternelle, sans bien savoir en quoi elle consiste, et nous avançons vers elle, avec la petite Thérèse chantant : Non je ne meurs pas, j’entre dans la vie !

Au fond de lui-même, notre monde reste inquiet. Chacun porte en lui un grand désir de bonheur, de bien-être, de vie en plénitude. Mais comment l’atteindre ? Il y a au fond deux chemins : l’un cherche cette plénitude en se centrant sur soi, en cherchant à faire le vide à grand prix ou le plein à petit prix. L’autre attitude pressent que toute vie est don et appel à se donner. A travers la pauvreté de cœur, les larmes consolées, la douceur, l’esprit de paix, le cœur miséricordieux, beaucoup touchent du doigt cette beauté, cette sainteté, cette plénitude d’une vie plus puissante que la mort, qui les fait communier mystérieusement à la Bonté de Dieu. L’inquiétude moderne ne trouve son repos que dans l’accueil et le respect de la vie, dans le refus obstiné de toute misère et dans la miséricorde inlassable envers tous.

Lorsque pointe ainsi l’esprit des Béatitudes chez des personnes parfois bien éloignées de la foi, nous pressentons ce dont l’Église parle en enseignant « l’appel universel à la sainteté ». Cet appel nous concerne en premier chef comme baptisés : le baptême nous plonge dans la sainteté de Dieu, et nous invite à la dilater dans nos vies, et à être ensemble la sainte et humble Église de Dieu. Et c’est ce qui se produit depuis les origines. Oh bien sûr, l’actualité récente nous pousserait à douter de cette sainteté. Mais s’il faut savoir confesser et réparer son péché et celui des frères et sœurs du Corps que nous formons, il faut aussi oser rappeler, bien au-delà de 70 ans, tant de sacrifices discrets, de combats pour la justice et la dignité, de prières prolongées et suppliantes, tant de de belles œuvres d’évangélisation et de promotion humaine, tant de pardons donnés et mille fois redonnés, qui font aussi de notre Église le saint écrin de la gloire de Dieu. Souvenez-vous de François, qui en Ombrie, dans la petite église de San Damiano, entendit cette voix : « François, va réparer ma maison qui, comme tu le vois, tombe en ruine ». On sait ce qu’il en advint : François demeure un des plus belles figures humaines, un des plus beaux saints qui nous fait louer Dieu pour et avec toute la Création. Mais on peut être aussi, intiment convaincu, qu’en ce moment où je vous parle, en notre monde, il y a un saint François et une sainte claire d’Assise, et bien d’autres, qui reçoivent le même ordre de mission. « Va réparer ma maison qui, comme tu le vois, tombe en ruine ». Va, ne fuis pas l’Église, ô non, au contraire, habite-là plus que jamais, et avec ma grâce, répare-là, édifie-là, rend-la belle et sainte, illumine-là, installe en bonne place la lampe du sanctuaire qui dit ma présence fidèle en ce lieu, et mon désir de brûler au cœur de chacun. Fais de mon Église un Peuple qui loue, supplie et adore, un Corps de serviteurs, qui réagit vite contre tout ce qui abîme le cœur, le corps et l’âme, un Temple de la miséricorde et de la bonté, où chacun se sente chez lui.

En ces temps de douleur et de grâce, il peut être bon de relire l’hymne à l’Église que le petit frère de l’Évangile Carlo Carretto, disciple de Charles de Foucauld, écrivit en son temps :

« Combien je dois te critiquer, ô mon Église, et pourtant comme je t’aime ! Tu m’en as fait voir comme personne et pourtant, je te dois plus qu’à personne. Je voudrais te voir détruite, et pourtant j’ai besoin de ta présence. Tu m’as mis sous les yeux tant de scandales, et pourtant toi seule m’a fait comprendre la sainteté. Jamais ce monde ne m’a rien montré de plus louche, de plus falsifié, et pourtant je n’ai jamais rien approché de plus pur, de plus généreux, de plus beau. Je ne compte pas les fois où j’ai eu envie de te claquer au nez la porte de mon âme, et pourtant chaque nuit, j’ai prié afin de mourir dans tes bras protecteurs ! Non, je ne peux me libérer de toi car je ne fais qu’un avec toi, même si je ne suis pas complètement toi. Et puis, où irais-je ? Construire une autre Église ? Mais je me montrerai incapable d’en construire une qui soit exempte des défauts que tu as, pour la bonne raison que ce sont ceux que je porte en moi. Et encore une fois, si je construisais une autre Église, ce serait mon église, pas celle du Christ. J’ai mieux à faire. Non, je ne quitterai pas cette Église, établie sur un roc aussi fragile, pour aller en fonder une autre, qui tienne sur un roc plus fragile encore : moi. Et puis, quelle importance les rocs ? Ce qui compte, c’est la promesse du Christ, ce qui compte, c’est le ciment qui lie les pierres entre elles pour n’en faire plus qu’une : l’Esprit saint. Le Saint Esprit Seul peut construire l’Église à l’aide de pierres aussi mal équarries que nous »1.

Frères et sœurs, les saints et les saintes de Dieu ne sont jamais loin de nous. Ils intercèdent, ils sont un exemple et un appui pour notre fidélité au Christ. Mais Ils ne font pas à notre place. Que la Parole, l’Esprit et le Corps du Christ – reçus en cette eucharistie -, nous régénèrent et nous fortifient intérieurement, pour revenir à la joie des Béatitudes et être contagieux de cette joie, de ce bonheur d’être fils et filles de Dieu, appelés à la voir face à face, avec la multitude des élus.

Amen.

+ Mgr Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens

________________________________________________________________

1 Carlo Carretto, in J’ai cherché et j’ai trouvé. Cité (et adapté) par Timothy Radcliffe in Choisis la vie.

« l’appel universel à la sainteté » nous concerne en premier chef comme baptisés : le baptême nous plonge dans la sainteté de Dieu, nous invite à la dilater dans nos vies et à être ensemble la sainte et humble Église de Dieu.