Homélie de Mgr Le Stang : Messe en présence des reliques de Louis et Zélie Martin à Amiens.

Homélie de Mgr Le Stang
Messe en présence des reliques de Louis et Zélie Martin à Amiens.

 

 Frères et sœurs,

Jésus, selon Jean l’Évangéliste, réalise, le premier de ses grands miracles (de ses signes, dit saint Jean), à Cana, lors de la participation à un mariage, auquel sa mère était présente. Les nouveaux mariés sont très discrets. C’est le dialogue entre Jésus et sa mère qui est central et décisif. Il conduit à ce fameux miracle de l’eau changée en vin. Et nous en retenons d’abord ceci : là où Jésus se rend présent, le Vin Nouveau de la Joie est offert à tous. Lui, Jésus, est source d’une vie nouvelle, d’une bénédiction surabondante et d’une charité intense. C’est Lui le véritable Époux, c’est lui le Bien-Aimé.

Vous l’avez remarqué, lorsque le maître du repas ressent le besoin de féliciter quelqu’un, Il se tourne vers le nouveau marié, qui n’est pourtant pour rien dans le miracle. Mais c’est le jour de son mariage, et Jésus, avec une infinie délicatesse, s’est déjà effacé. Il a remis les époux du jour au centre de la fête. La noce peut battre son plein. Le Peuple est dans la joie. Ainsi en va-t-il de toute vie familiale quand elle veut vécue sous le regard de Dieu : Le Christ y est présent, son Esprit Saint, mais il ne prend la place de personne. Au contraire, il permet à chacun de trouver sa véritable place dans la famille.

En méditant sur la vie de Louis et Zélie Martin, nous pourrions faire erreur et considérer que l’appel à la sainteté vécue en famille est une forme d’héroïsme inaccessible, ou de confinement dans une piété étouffante. La famille Martin, au contraire, illumine le chemin des familles en étant une expérience de vie commune dans laquelle l’Esprit Saint est à son aise. Il y agit à travers les gestes et les paroles du quotidien, les discernements et les décisions, les échanges parfois vifs, et les épreuves qui font le lot de toute vie familiale.

Peu à peu, l’Esprit Saint et l’esprit de famille se mélangent et s’unifient. L’Esprit Saint instille l’estime réciproque dans le cœur de chacun, il donne chair à la charité conjugale. Il remet chaque jour sur le métier l’attention envers tous y compris à travers les signaux faibles de plainte ou mal-être. Il inspire des comportements francs, justes et droits. Il fait du pardon un merveilleux pain quotidien. Il rend fécond la longue patience éducative. Il donne la force du soutien mutuel dans l’épreuve. Il garde ouvertes les portes de la maison, en particulier à ceux qui sont pauvres d’amour.  Là où l’Esprit Saint se mêle ainsi à l’esprit de famille, Jésus est présent, discrètement. Il se donne à tous comme le Vin Nouveau de la Joie des noces. Il permet de comprendre que le mariage n’est pas seulement le jour magnifique où on se tient devant l’autel, mais que le mariage est un appel pour la vie… qui prépare aux noces éternelles du ciel.

Beaucoup d’entre vous sont bien d’accord avec cette vision du mariage et de la famille, et sont heureux de cet horizon chrétien. Et pourtant, nous savons bien aussi que la vie familiale et conjugale est un lieu où les choses ne se passent toujours comme on les avait prévues ou rêvées.

Il y a par exemple, et je veux les inclure dans notre attention aux familles, toutes les personnes qui n’ont pas eu, pour diverses raisons, ce bonheur ou cette possibilité de fonder une famille, ou d’accueillir des enfants dans leur couples. Quel long chemin d’acceptation a-t-il fallu accomplir pour accueillir ce célibat comme un chemin de sens et de grâce ! Quel chemin décapant que d’avoir à découvrir que la fécondité de son couple ne passera pas par l’accueil d’enfants ! Beaucoup sur ce chemin de solitude et de dépouillement, apprécient le compagnonnage et l’amitié d’hommes et de femmes qui ont répondu joyeusement, mais non sans combat, à l’appel à imiter le célibat de Jésus, dans la chasteté, au long d’une vie dont la fécondité est réelle mais mystérieuse.

Et puis, il y a tous ceux qui ont une vie conjugale et familiale chaotique, pour des motifs nombreux et difficiles à démêler. Le Saint-Père nous rappelle dans Amoris laetitia (296) combien « il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition ». Le titre du fameux chapitre VIII de l’exhortation contient trois verbes indissociables : accompagner, discerner, intégrer. Ces trois verbes disent la mission de toute l’Église face à la complexité des situations familiales. « Toute l’Église » : c’est chacun d’entre nous, chacune des familles aussi, car l’Église est une « famille de familles ».

Accompagner, discerner, intégrer. Le contraire de ces trois verbes pourrait être : abandonner, condamner, exclure. La complexité des situations familiales est si forte aujourd’hui et lieu de beaucoup de souffrances. Elle donne à beaucoup une sensibilité à fleur de peau, et fait rapidement jaillir des sentiments de culpabilité, de rejet, d’abandon. Notre démarche chrétienne nous conduit à faire de l’annonce de la Bonne Nouvelle de la famille et du mariage, une démarche de fraternité qui accompagne avec bienveillance, qui discerne les pas qui peuvent être réalisés, et qui cherche toujours à intégrer les personnes dans la grande famille des fils et filles de Dieu. C’est un enjeu très important. On dit beaucoup ces jours-ci qu’il faut réformer l’Église, en particulier pour qu’elle soit un lieu de bientraitance des petits et des plus fragiles. S’il est vrai que cela doit se vivre, notre première démarche n’est pas de vouloir faire je ne sais quel putsch ou de remplacer un cléricalisme par un autre, mais de mesurer notre responsabilité missionnaire commune. Le Concile Vatican II nous enseigne depuis plus de 50 ans la profonde et égale unité de tous les baptisés, exercée dans le concert des vocations. Cette égalité fonde notre légitimité et notre responsabilité pour agir en vue du bien de tous, dans l’unité du corps, mais sans soumission ou infantilisme. Qui mieux que les familles peuvent prendre soin des familles et se rendre disponible pour accompagner, discerner et intégrer les plus en difficultés dans le grand corps fraternel et familial de notre Église ?

La Mère de Jésus vient vers son Fils, désolée et confiante à la fois. Elle ne dit pas, vous l’avez entendue « Ils n’ont plus de vin », mais Ils n’ont pas de vin. Leur cœur est triste et sec parce que leur vie « n’est pas à la noce » et ne l’a jamais été. Ils n’ont jamais connu la vraie joie de Dieu. La noce pour eux n’a pas commencé. Le vin n’a pas été versé. Notre mission de chrétiens est de témoigner de Jésus Sauveur. Il y a pour cela 1000 chemins possibles. Une des voies privilégiées est d’annoncer la Bonne Nouvelle de la Famille et du Mariage, non pour imposer une espèce de style bourgeois catho caricatural, mais pour permettre à tous d’être touchés par l’amour de Dieu, au sein même de leur expérience familiale.

Le mariage et la famille sont des voies privilégiées pour entendre l’appel de Dieu à la sainteté. Les époux Martin en sont un exemple marquant. Mais entre nous, je voudrais vous dire ceci : toute mère de famille et tout père de famille qui font bien leur « job » d’époux et de parents pourraient être canonisés de la même manière !! Alors écrivez-bien dans vos testaments ce que vous voulez qu’on fasse de vos reliques, si vos enfants demandent un jour, par gratitude, à l’évêque, d’ouvrir le procès de votre béatification !!!

Saint Louis et Zélie Martin, priez pour nous ! Amen.

+ Gérard Le Stang
Evêque d’Amiens
En la Cathédrale Notre-Dame d’Amiens le16 Octobre 2021