Homélie et photos de la Messe chrismale

Homélie de Mgr Olivier Leborgne
Messe Chrismale
Mardi 16 Avril 2019 – Eglise de Long

La nuit dernière, un incendie a ravagé la cathédrale Notre Dame de Paris. L’émotion de nos concitoyens est grande. Non seulement quelque chose de notre histoire commune et de notre identité est atteint, mais ce signe de « prière et d’espérance » comme le rappelait le grand rabbin de Paris est fragilisé. Il y a sans doute bien plus qu’une émotion mémorielle. Peut-être une inquiétude spirituelle aussi.

Parmi les nombreux messages que j’ai reçus, certains n’ont pu manquer de noter que, d’une part, cet incendie s’est déclaré au début de la semaine sainte, et que, d’autre part, cela survient alors que notre Eglise connait une grave crise. Une église est en feu – et pas n’importe laquelle, Notre-Dame de Paris, celle qui en France fait le plus signe – alors que notre Eglise est en feu. Il y a de quoi être perdu.

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres… ». Ces paroles que Jésus accomplit, aujourd’hui encore, nous indiquent le chemin.

La période que nous traversons est rude. La crise que nous traversons ne met pas seulement en lumière des actes profondément condamnables – et comment ne pas penser ici d’abord aux victimes dont la vie a été si abîmée – mais aussi le système qui a permis cela. La crédibilité de l’Eglise, déjà bien entamée par la sécularisation, n’en est que plus atteinte.

Tous sont troublés, beaucoup sont abattus. Et comment ne le serait-on pas ? Comment réagir ? Il nous faut bien-sûr poursuivre le travail de conversion radicale, de justice et de vérité ; il nous faut renouveler non seulement notre manière de gouverner dans l’Eglise mais aussi notre manière de la vivre ensemble.

Mais ne nous y engageons pas de manière résignée. « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. » Par l’onction du baptême – je vais bénir le saint chrême dans quelques instants – Jésus nous associe à son onction dans l’Esprit Saint. La conversion fondamentale est là : renaître à l’onction baptismale. Y engager tout notre être, de la tête aux pieds. Le carême nous y a aidé. Nous avons commencé par la tête, avec les cendres, et nous finirons par le lavement des pieds, dans deux jours, le jeudi saint.

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. » Entre le désespoir et l’espérance, nous n’avons pas beaucoup de choix. Nous pouvons choisir avec Judas la désespérance. Nous pouvons choisir avec Pierre, les larmes de la repentance et de la conversion, le chemin de l’amour renouvelé et de l’onction réveillé.

En ce temps de purification n’oublions pas notre identité profonde née de la foi en Jésus. Il me semble que nous sommes guettés par deux dangers que l’onction vient nous donner la force d’éviter :

  • Première tentation : l’acédie. Pour la tradition monastique, c’est une maladie spirituelle très grave. Elle se manifeste par la perte du goût des choses de Dieu. Nous fonctionnons, mais la passion pour le Royaume s’amenuise. Il y a comme un air de fatalisme et de résignation. On essaie encore de bien présenter, mais on n’y croit plus guère. Ne succombons pas à la tentation de l’acédie communautaire, pastorale et missionnaire. Réveillons l’onction. Il y a là un vrai combat spirituel à mener – la vie chrétienne n’a jamais été un long fleuve tranquille, le combat spirituel est son quotidien. Réveillons l’onction. C’est elle qui nous associe au Christ dans l’Esprit Saint et nous donne d’oser avancer, même si c’est de nuit, sûr que l’avenir de l’Eglise et du monde appartient au Ressuscité. C’est elle qui nous donne de croire que le synode est un travail de l’Esprit Saint qui nous mènera là où nous ne pensions pas pouvoir aller mais là où pourtant le Seigneur nous attend, et pas une énième tentative sans doute vouée à l’échec ….
  • Et pour cela, il nous faut éviter une deuxième tentation : celle du déséquilibre entre l’onction et la fonction. Nous avons trop souvent vu dans l’histoire de notre Eglise, et nous n’en sommes sans doute pas indemnes aujourd’hui, un déséquilibre dans lequel la fonction l’emporte sur l’onction. Le faire étouffe l’être. La gestion matérielle nous éloigne de la joie. Il se produit comme un divorce dans lequel le poids des structures et du quotidien (« on a toujours fait comme ça ») sollicite presque toute l’énergie. Plus de place pour la créativité missionnaire. Dans beaucoup de cas, l’urgent l’emporte sur l’important. Dans ces situations, l’onction qui précède la fonction, se retrouve en état de souffrance. Soigner l’onction signifie repuiser à la source de la vocation baptismale pour tous, et presbytérale pour vous chers frères prêtres. Soigner l’onction signifie soigner la vie intérieure. Soigner l’onction signifie nous disposer à l’Esprit pour nous laisser souffler à nouveau selon ce que Dieu veut pour notre temps. Face aux tentations centrifuges qui nous épuisent et nous disloquent, l’Esprit nous conduit vers le centre. L’onction nous rappelle que notre première vocation c’est l’amour.

Parce que là, ne l’oublions jamais, nous avons un trésor toujours neuf que nous ne pouvons pas garder pour nous. « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, rapporte le prophète Isaïe qui continue : « il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers la libération… consoler tous ceux qui sont en deuil, mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre, l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu. »

Porter la bonne nouvelle, guérir, proclamer la libération, consoler, mettre l’huile de joie… Voilà notre mission. Voilà ce à quoi nous députe l’onction. La crise que nous avons à traverser est grave. Il nous faut réfléchir ensemble aux mesures nécessaires, bien plus à la conversion à laquelle en Eglise nous sommes appelés. Mais là encore nous passerons à côté si nous nous en tenons à cela. Cela ne sera juste que si nous laissons le Seigneur réveiller l’onction, si nous redevenons tous ensemble missionnaire de cette libération en Jésus et de cette huile de joie de l’Esprit.

Je voudrais vous redire à tous ma profonde confiance. A vous, chers frères prêtres. Tant de fidèles me disent ce qu’ils vous doivent… A vous chers frères diacres qui devez nous aider à réveiller l’onction dans tout notre être, de la tête aux pieds, à vous frères et sœurs baptisés et confirmés, choisis par Dieu pour être témoin de l’Evangile du salut et de la joie au cœur de ce monde, à vous chers catéchumènes dont plusieurs m’ont dit qu’ils voulaient aider l’Eglise à réveiller en elle l’onction qui la constitue.

« Je suis venu apporter un feu sur la terre, déclare Jésus, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé. » (Lc 12,49) Je demande au Seigneur qui vous enflamme de son feu.

« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres… »  Et Jésus de préciser : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage que vous venez d’entendre. » Aujourd’hui. Qu’il soit béni !

 

+ Mgr O.Leborgne
Évêque d’Amiens

« Je suis venu apporter un feu sur la terre, déclare Jésus, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé. »
Je demande au Seigneur qui vous enflamme de son feu.