« Un capitalisme qui ne laisse pas de place à l’homme est inacceptable »

Entretien de Monseigneur LEBORGNE paru dans l’édition du journal La Croix du mercredi 3 mai 2017
Propos recueillis par Antoine d’Abbundo

 

La Croix : Avec la visite d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen à Amiens, le 26 avril, la situation à l’usine Whirlpool a été placée au cœur de la campagne de l’entre-deux-tours. Quelle réflexion vous inspire ce conflit ?

Mgr Olivier Leborgne : D’ordinaire, je prends peu la parole sur ces questions car je n’ai pas de compétence particulière en économie et je n’ai pas à trancher des conflits sociaux. Mais ce qui se passe à Whirlpool est le résultat manifeste d’une mondialisation, d’un capitalisme financier qui ne laisse plus de place à l’homme, et cela n’est pas acceptable.

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Je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer les salariés de Whirlpool, mais je les assure qu’ils font partie de mon attention et de ma prière. Je suis très sensible à la vulnérabilité des gens de la Somme, et toute la réflexion que je mène pour le diocèse vise à mettre en œuvre les numéros 198 à 201 de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, « La joie de l’Évangile », qui invite notre Église à être une Église avec et pour les pauvres.

La solidarité n’est pas un à-côté de la foi mais doit être au cœur de notre foi et se traduire en gestes concrets.

Le pape François a déclaré que fermer des usines et supprimer des emplois pour des motifs économiques troubles était un « péché très grave ». Partagez-vous ce jugement ?

Mgr O. L. : Absolument ! Quand on prend des décisions uniquement pour satisfaire des actionnaires sans prendre en compte les réalités humaines, alors, oui, on commet un péché. Ce capitalisme sauvage, financier, qui ne cherche que son propre profit est irrecevable et doit être fermement condamné.

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Je dis aux chrétiens que chaque fois qu’ils se résignent à accepter l’inacceptable sur les sujets économique ou politique, ils abjurent leur foi. Nous devons oser chercher les paroles et les gestes qui font bouger les choses.

La mondialisation est une chance ou un risque ?

Mgr O. L. : Sans doute les deux à la fois. Mais le repli communautariste, la fermeture à l’autre, l’exclusion sont des impasses absolues. On ne peut construire l’avenir de la France sans que celle-ci trouve sa place en Europe et dans le monde. Ceux qui promettent le contraire mentent aux Français. En même temps, on ne peut pas construire l’Europe sans remettre l’homme au centre. C’est ce que peuvent apporter les chrétiens au débat public.

Certains reprochent à l’Église de tenir un message peu clair pour le second tour de scrutin. Pourriez-vous préciser cette position ?

Mgr O. L. : Je m’étonne qu’on reproche à l’Église d’appeler à la responsabilité et la conscience personnelle. Pour autant, je pense que le message est clair. Pas plus qu’au premier tour, aucun des deux candidats qui restent en lice ne peut prétendre porter la totalité de la doctrine sociale de l’Église ou capter positivement le vote des chrétiens.

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Tout en étant évêque de tous, je dois ajouter qu’en tant que chrétiens, et au nom des chrétiens persécutés dans le monde et qui souffrent du rejet et du fanatisme, nous ne pouvons pas soutenir un projet fondé sur la peur, le repli sur soi et l’exclusion. Maintenant, que chacun se prononce en conscience.