Homélie pour l’ordination diaconale de Jean-Marie JEANSON

Deux disciples marchent de Jérusalem à Emmaüs. Deux disciples marchent du lieu de leur espérance avortée au lieu de leur quotidien résigné. « Et nous qui espérions qu’ils seraient le libérateur d’Israël ! » Mais non. Le rabbi de Nazareth n’a pas été le libérateur attendu, il n’a pas accompli comme nous l’attendions les promesses de Dieu. Histoire d’espoirs déçus. Histoire qui a 2000 ans. Histoire toujours actuelle.

Pourtant, par la figure de l’étrange – de l’étranger plus précisément – et de l’inattendu, cette logique va être bousculée. Ils vont reprendre la route de Jérusalem. La résignation ne serait donc pas une fatalité. Une espérance – différente de nos projections ou vagues espoirs humains – serait donc possible, de celle qui relance une vie, de celle qui ré-ouvre l’avenir.

Arrêtons-nous sur ce qui s’est passé. Il se pourrait, cher Jean-Marie, et chers frères diacres ici présents, que quelque chose se dise de ce que nous allons célébrer, de l’être diaconal et de la mission qui vous sera confiée.

Ce que nous pouvons noter, c’est que les événements incriminés n’ont pas changé. Il n’y a pas eu de retour vers le passé, l’histoire n’a pas été réécrite. Pourtant, une autre histoire  s’ouvre que celle qui prétendait devoir s’imposer.

Je voudrais m’arrêter sur quatre étapes qui me semblent pouvoir décrire la logique diaconale et éclaire le ministère qui va devenir le vôtre.

Première étape : « Jésus s’approcha d’eux et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. »

Le diacre, signe du Christ serviteur, est celui qui, au nom de Jésus, s’approche de ses contemporains, tout particulièrement de ceux auprès desquels il est envoyé, et marche avec eux. Il prend l’initiative de s’approcher, et prends le temps de la marche. Il n’attend pas d’être reconnu comme diacre, il ne plaque pas une identité extérieure, il s’approche et il marche.

Deuxième étape ; « De quoi parliez-vous donc en chemin ? »

La Parole éternelle du Père, quand elle prend chair de notre chair, commence par nous donner la parole. Le diacre, ordonné aussi pour le ministère de la prédication, commence par donner la parole. Non seulement il rejoint ceux avec lesquels il marche dans leurs préoccupations, mais il leur permet de prendre la parole sur ce qu’ils vivent et sur leurs préoccupations. On n’imagine pas combien notre société enjoint aux plus démunis de se taire. Il y a peut-être trop de gens qui veulent prendre la parole aux noms des pauvres en oubliant de la leur donner. Le diacre non seulement donne la parole, mais donne aux sans voix de pouvoir la prendre, d’oser la prendre. Permettre cela, c’est un travail d’humanité extraordinaire qui relève et rend la dignité.

Troisième étape : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »

Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait » Si le Christ leur donne la parole, il ne les abandonne pas à leurs paroles. Il prend également la parole. Il leurs révèle ce dont les événements sont porteurs. Dieu ne réécrit pas l’histoire mais plonge dans notre histoire. Le « il fallait (bien que le Christ souffrît pour entrer dans la gloire) » n’est pas une nécessité extérieure à Dieu, une fatalité à laquelle il n’aurait pas pu échapper. Ce « il fallait » est comme une nécessité intérieure de la miséricorde qui en Christ ne veut être étranger à aucun des moments de notre vie, fut-ce la souffrance et la mort. Il y partage notre vie jusque dans notre mort pour que nous partagions sa vie jusque dans sa résurrection. Incroyable liberté de l’amour, incroyable détermination de la miséricorde qui ainsi vient changer le signe de ce qui nous paraissait n’être qu’un échec. La vie comme puissance d’avenir est à jamais vainqueur de la mort et de tout ce qui, dans nos vies, a le gout de mort. Et chacun, comme les disciples d’Emmaüs, est invité à recevoir cette puissance de vie dans la communion au Christ. Le diacre révèle par son être et ses attitudes mais aussi par sa parole, la profondeur de ce que ceux avec lesquels il marche vivent, et la manière dont Dieu lui-même prend la parole dans leur vie, marche avec eux et travaille leur histoire. Le diacre ne conduit pas à lui mais au Christ. Il porte pour ceux desquels il s’est approché et avec lesquels il marche le désir qu’ils puissent eux-mêmes être relevés et régénérés par l’accueil du Christ dans l’offrande de sa propre vie.

Quatrième étape : les disciples d’Emmaüs repartent vers Jérusalem, pour retrouver les apôtres et témoigner de ceux qu’ils viennent de vivre. Pour redonner l’espérance, le diacre désire que ceux avec lesquels il marche puissent faire l’expérience de la communion en Jésus. Pour cela, ils sont des passeurs pour que tous se sentent reçus comme des frères et sœurs dans L’Église. Pour cela, ils sont des veilleurs, et parfois ils n’ont pas peur de bousculer la communauté chrétienne, afin qu’elle soit communion du Christ Serviteur et que chacun soit vraiment reçu comme un frère ou une sœur.

Jean-Marie, dans quelques instants vous serez ordonné diacre. Que cette aventure d’Emmaüs vous brule au cœur. Vous en devenez le signe sacramentel pour L’Église et le monde.

Gilles Rebêche, diacre du diocèse de Toulon et animateur de la diaconie du Var, nous disait avant-hier soir dans la première conférence vers la Pentecôte, que dans les études de théologie il avait trouvé la clé du Royaume. Mais qu’il en avait trouvé la serrure que bien plus tard. Et il n’y en a pas d’autres que l’engagement envers les pauvres. Il me semble que c’est à ce point précis que se situe le diaconat.

Je compte sur vous Jean-Marie. Que le Seigneur vous bénisse. Qu’il bénisse Brigitte, votre épouse, et vos enfants. Je demande au Saigneur que son appel au diaconat soit entendu pour que le signe sacramentel du Christ Serviteur ne manque pas à l’Église et qu’elle soit ce qu’elle doit être : l’Église de Dieu avec, pour et auprès des pauvres.

Vous comprenez – et c’est peut-être important de le rappeler dans cette période élective pour notre pays – que cette ordination a évidemment une dimension politique.

Que le Seigneur soit béni !

+ Olivier Leborgne

 

Mgr Olivier Leborgne

 Pour redonner l’espérance, le diacre désire que ceux avec lesquels il marche puissent faire l’expérience de la communion en Jésus. Pour cela, ils sont des passeurs pour que tous se sentent reçus comme des frères et sœurs dans L’Église. Pour cela, ils sont des veilleurs,