15 AOÛT 1914 L’évêque et l’union sacrée

15 AOÛT 1914 L’évêque et l’union sacrée

Le 4 août 1914, le président de la République, Raymond Poincaré, dans un message adressé à la Chambre des députés, appelait les Français à « l’Union sacrée », c’est-à-dire à dépasser leurs divisions et à faire front face à l’adversaire.

Cette expression trouve, au cours de la guerre, un vaste écho dans tout le pays, y compris chez les catholiques qui, une décennie auparavant, s’étaient opposés aux lois contre les congrégations et à la séparation des Églises et de l’État. Ainsi, à la cathédrale, le 15 août, lors de la fête de l’Assomption qu’il avait voulue patriotique et religieuse, Mgr Léon Dizien, évêque d’Amiens depuis 1896, politiquement modéré, soutient cet appel présidentiel à l’Union sacrée, dont il adapte la formule finale, « Haut les coeurs », devenue « En haut les coeurs et vers Dieu ». Il montre qu’« il avait suffi de montrer l’image de la patrie attaquée pour imposer silence à toutes les vaines querelles, à nos stériles discussions, à la voix troublante des égoïstes intérêts ». L’évêque implore également la protection de la Vierge sur son diocèse, rappelant que, le 15 août 1637 à Abbeville, Louis XIII faisait le voeu solennel de consacrer la France à la Mère de Dieu. La foule est au rendez-vous pour cette cérémonie car la pratique religieuse augmente avec le début de la guerre. Ce retour s’explique par les bouleversements que le conflit annonce, par la crainte de l’avenir et par l’émotion due au départ des mobilisés, partis avec détermination et gravité, loin de l’enthousiasme parfois décrit. Parmi ces soldats se trouvent 170 prêtres et séminaristes picards, également rappelés. Mgr Dizien annonce aussi à l’issue de la cérémonie qu’il célèbrera à la cathédrale chaque samedi une messe « en l’honneur de la Sainte Vierge, pour la France, ses armées, ses soldats ». Le 2 août précédent, au lendemain de l’ordre de mobilisation générale et à la veille de la déclaration de guerre, il avait déjà publié une « lettre circulaire » sur « le devoir des catholiques pendant la guerre », les appelant à prier, à faire leur devoir et à venir en aide à ceux qui souffrent, dans un « large esprit d’union et de concorde civique ».

L’évêque d’Amiens prie pour le pape Pie X

Pape depuis 1903, Pie X décède le 20 août 1914, après une courte maladie, certainement provoquée par l’émotion de voir la guerre s’étendre à presque toute Europe. Or des catholiques se trouvent dans les deux camps en présence : quelques mois plus tard, ils sont environ 124 millions dans l’Entente, principalement en France, en Belgique et en Italie, et 64 millions dans les Empires centraux. Les sympathies initiales de Pie X le portaient plutôt vers l’Empire d’Autriche-Hongrie, rempart du catholicisme en Europe face au protestantisme et à l’orthodoxie. Toutefois, dès le 2 août, il condamne le déclenchement du conflit par l’exhortation Dum Europa fere omnis, qui appelle les fidèles à se tourner vers « le Christ prince de la Paix ».

Le 22 août, l’évêque d’Amiens consacre au pape défunt une lettre pastorale, ordonnant des prières et annonçant un service solennel à son intention à la cathédrale le 1er septembre suivant. Pour Mgr Dizien, « les circonstances tragiques au milieu desquelles cette mort se présente aujourd’hui la rendent plus émouvante encore ». Rappelant ce que Pie X a tenté « pour arrêter le flux qui ensanglante l’Europe », l’évêque regrette que sa voix se soit « perdue dans […] le bruitdes coups de canon ». Il présente même le pape comme « l’une des premières victimes de la barbarie qui vient de se déchaîner sur le monde » : on est loin encore du moment (1917) où les catholiques français refuseront d’entendre les appels du Saint-Siège en faveur d’une paix blanche, sans vainqueur, ni vaincu. Enfin, Mgr Dizien évoque la dévotion de Pie X pour « la bienheureuse Jeanne d’Arc », béatifiée sous son pontificat (en 1909), et dont le nom a été donné à la dernière église construite à Amiens, en 1911. Or la pucelle d’Orléans permet de rapprocher l’Église et la République, qui la célèbrent chacune à leur manière, à l’heure de la guerre. À Rome, finalement, après un court conclave, le cardinal Giacomo Della Chiesa, archevêque de Bologne, est élu pape le 3 septembre, et il prend le nom de Benoît XV. Depuis quatre jours, les troupes allemandes occupent Amiens.

PAR XAVIER BONIFACE