Homélie du Père Jean-Marie Poitout pour la Fête de l’Eglise aux mille visages

Aujourd’hui, nous accueillons la pastorale des migrants, cette belle mission de l’Eglise de n’oublier personne d’où qu’il vienne, de faire ensemble Peuple de Dieu.

Je suis humain, donc je suis migrant. Depuis la plus haute Antiquité, je suis en mouvement. Au début, je ne sais pas faire grand-chose, à peine tailler des cailloux ; pas encore allumer du feu ni moudre le blé… Mais je sais marcher ! Le voyage est ma condition originelle ; je dois aller chercher ma nourriture, je dois quitter ma région dévastée par l’eau ou le feu, je dois fuir la violence parfois…
Beaucoup plus tard, la volonté de découvrir le monde, de faire du commerce, d’agrandir le territoire de ma tribu… ne me laissera jamais en place. Ainsi les civilisations humaines se brassent, se mélangent, se rencontrent.

Je suis humain, donc je suis migrant. Que ce soit pour chercher fortune, divertissement ou rencontre, je voyage. Que je lance mon vélo, mon cheval ou une fusée, je veux aller voir comment ça se passe ailleurs…Parfois je me pose quelque part, où je cultive la terre et bâtis une maison, mais si je prétends être propriétaire exclusif, je m’enferme ou je fais la guerre. Pascal disait : « Quand je dis ‘là est ma place au soleil’, là commence l’usurpation de toute la Terre… »

Je continue alors à voyager dans ma tête. J’imagine la vie ailleurs. Les idées ne sont pas faites pour être fixes. Et puis je voyage dans le temps, de ma naissance à ma mort. Je vois le rythme des saisons, la fuite des jours, l’évolution de la nature. Au fil des sabliers et des calendriers, ma vie est un voyage…

Je suis croyant, donc je suis migrant. Depuis Abraham : « mon père était un araméen errant » (Dt 26). C’est ma condition originelle. Le Peuple de Dieu est en route depuis toujours. Il essaye toujours de s’établir quelque part, mais Dieu envisage son rôle de peuple élu comme itinérant. Et même comme dispersé. Le peuple juif a pris le mot grec : « diaspora » : étranger, voyageur… Lui qui chérit son Temple, sa terre et ses champs, on lui rappelle sans cesse Exode, exil et immigration. Muni d’un bref permis de séjour sur Terre, le croyant ne doit jamais s’installer, il se sentirait propriétaire de la Création… Je cite St Augustin : « Tous nous sommes des pèlerins. Celui-là est chrétien qui, jusque dans sa maison et dans sa patrie, se reconnaît n’être qu’un pèlerin ».

Je suis croyant, donc je suis migrant. Je peux faire le voyage de la connaissance, de la science ou de l’art… Je peux faire le voyage de la charité, qui me fait sortir de moi pour rencontrer l’autre, l’aimer. Je peux faire le voyage de la transcendance, quand je prie, que je cherche Dieu. Si comme le dit encore St Augustin, je le trouve d’abord en moi après l’avoir cherché ailleurs, « intimior intimo meo », c’est quand même toujours un sacré déplacement de chercher Dieu !

Je suis chrétien, donc je suis migrant. Pourquoi ? Parce que c’est Dieu qui a commencé ! En créant le monde, il est sorti de lui-même. En partant de rien… Et par amour, pour ne pas rester tout seul ! Il place au cœur de chaque homme cette étincelle de lui-même. Dieu se cache au plus secret du cœur humain. Et puis, ce que nous allons fêter dans un mois, Noël, l’Incarnation… La plus grande migration de Dieu : il vient lui-même, en personne, en chair et en os : enfant d’immigrés par faute de caprice comptable de l’empereur ; puis enfant fugitif avec ses parents par faute de cruauté du prince… Jésus ne s’arrêtera plus : voyageur sur les routes d’Israël, ne rechignant pas à franchir les frontières du peuple élu pour bien souligner que de l’autre côté, les autres sont comme nous ! Il est pour toujours l’homme qui marche, le passant considérable, notre Roi itinérant que nous célébrons aujourd’hui, le Fils de Dieu qui « n’a pas une pierre où reposer la tête » (Mt 8)

Je suis chrétien, donc tout migrant est mon semblable. Je me reconnais en lui. Il a dû partir, par nécessité de fuir la guerre ou de trouver de quoi vivre. Ou par aventure ou pour retrouver des cousins. Bien sûr le voyage l’ a insécurisé et fragilisé, et il me rappelle ainsi mon devoir d’hospitalité, de fraternité.
Rappelons-nous la feuille de route que le pape François donne à l’Eglise au sujet des migrants, ces 4 verbes à décliner :

« Accueillir, protéger, promouvoir, intégrer ! » Nous pourrons toujours bâtir des murs, des frontières et des barbelés… Illusion que tout cela ! Nous partageons la planète ! Nous devons continuer le voyage ensemble. Nous sommes définitivement compagnons de voyage sur la Terre ! Demain, je serai peut-être ailleurs. Après-demain, nos descendants se croiseront comme nous nous croisons aujourd’hui. Notre point commun est de vivre ici et maintenant. Comment nous organisons-nous pour vivre ensemble ? Comment faisons-nous Eglise ensemble ? Quel bonheur par exemple de vous voir réunis si divers ! Quel bonheur pour le prêtre que je suis d’avoir maintenant beaucoup de confrères missionnaires ici !

Reconnaître un seul Roi commun, le Christ, nous amène à nous reconnaître frères et sœurs les uns des autres. Nous sommes tous des migrants. Nous portons en nous l’Infini, la présence merveilleuse de Dieu, devenu l’un de nous pour que nous devenions comme Lui. Continuons ensemble le voyage de l’humanité, de la foi, de la vie !

Père Jean-Marie Poitout