Parole de notre évêque : Migrants

En période de forte instabilité sociale, économique et politique, nationale et internationale, le phénomène de l’émigration est à nouveau mis en lumière. Et souvent, il fait peur.

D’un côté, comment ne pas être profondément touché par ce que vivent les chrétiens persécutés au Moyen – Orient, en Afrique ou ailleurs ; et avec eux, toutes les minorités religieuses persécutées de par le monde ? Comment ne pas être attentif, alors que le Pape vient de livrer son encyclique Laudato Si sur l’écologie intégrale, aux migrations climatiques qui apparaissent depuis peu, comme aux migrations économiques ou politiques ? Comment ne pas s’interroger sur une certaine logique libérale et utilitariste absolue qui considère l’ensemble de la création, jusqu’à la personne humaine, comme un bien marchand, déséquilibre ainsi les rapports Nord – Sud et ne fait que favoriser ces phénomènes de migrations humaines ?

D’un autre côté, la situation en France, et en particulier dans la Somme, se tend: le chômage progresse, l’insécurité paraît – du moins si l’on écoute certains médias – s’accroître. Lors des deux visites pastorales que j’ai déjà faites, les maires m’ont fait part de leurs préoccupations : la pauvreté progresse d’autant plus que les relations sociales se délitent, notamment avec la fragilisation de la famille…

Alors pouvons-nous encore accueillir des « étrangers » ? Ne risquons-nous pas d’attiser une certaine forme de violence par la déstabilisation d’équilibres déjà si fragiles ?

Beaucoup de chrétiens, au sujet des migrants, ne savent plus comment se situer. Les déclarations du Magistère, si peu reprises par les médias, semblent faire « flop ». Et les chrétiens pourraient facilement se diviser. Je voudrais ici désigner 4 points d’attention qui me paraissent fondamentaux.

  1. Chacun est appelé à faire un vrai travail d’analyse et de compréhension. S’il faut éviter la mièvrerie romantique ou le militantisme fanatique – de quelque bord qu’il soit –, il faut réaffirmer que nos réactions sont souvent, dans un premier temps au moins, marquées par l’irrationnel. Il nous fait faire l’effort – car cela demande un effort – de nous dégager de l’émotionnel, de l’opinion ou du slogan pour essayer d’entrer ensemble dans une meilleure compréhension des enjeux. Saurons-nous nous dégager de la passion pour nous écouter vraiment et nourrir ainsi notre intelligence adulte des événements ?
  2. Si le principe de réalité doit être rappelé, cela ne peut jamais se faire contre l’affirmation d’une réalité fondamentale, confirmée et scellée à jamais par la révélation chrétienne : la dignité inaliénable de la personne humaine, quelle que soit sa situation. Il est évident qu’on ne peut pas faire n’importe quoi sur les questions d’immigration, il l’est encore plus que la valeur de la personne humaine ne varie pas au gré des événements et de nos peurs. Ne soyons pas schizophrènes. Quel est notre premier regard sur la personne étrangère en général et sur celui qui est forcé d’émigrer en particulier ? Est-il d’abord une personne créée par Dieu, aimée de lui et appelée au salut, ou est-il d’abord un risque et un danger ? Poser cette question n’est pas nier la complexité des problèmes, mais rappeler clairement les fondements non négociables de la réflexion.
  3. Il faut alors réaffirmer la force de l’action politique locale et internationale. C’est dans l’engagement citoyen de tous et de chacun au service du bien commun que des chemins, sans doute toujours partiels et à renouveler, peut-être de compromis et pourtant ne se résignant jamais à l’inhumain, seront trouvés. Nous ne pouvons pas seulement déléguer la question aux hommes et aux femmes politiques que nous élisons. Nous sommes tous concernés, ne serait-ce que par le refus de ne pas voir ces personnes. Nous ne pouvons pas oublier que l’Eglise est ce peuple de Dieu qui se souvient d’avoir été étranger en Égypte, et que le mot de paroissien signifie « étranger domicilié ».
  4. Enfin, nous ne pouvons pas célébrer le Prince de la Paix et partager à chaque eucharistie le baiser de paix en pensant que cela ne nous engage à rien. Et ne nous coûtera pas. La suite du Christ est exigeante. Vivifiante mais exigeante. Comment penser qu’un meilleur équilibre Nord – Sud pourrait advenir sans un effort du Nord ? Toute relation appelle à la conversion. A quelles conversions sommes-nous prêts ? Aimer en vérité, en Jésus Christ, n’est pas vouloir faire plaisir à tout le monde ou servir des intérêts particuliers de manière démagogique. Il s’agit de chercher la vérité, de réfléchir aux nouveaux équilibres nécessaires sans jamais transiger sur la dignité inaliénable de la personne humaine. Ce n’est pas facile. C’est même inconfortable.

Mais parce que Christ est ressuscité, nous savons que cela n’est pas vain.

+ Olivier Leborgne Eveque d’Amiens

MGR Olivier Leborgne

Mais parce que Christ est ressuscité, nous savons que cela n’est pas vain.