Il était une foi : FRANCIS MORTELECQUE

«Qu’as-tu fait de ton frère»

Ai-je un jour ressenti de manière particulière la miséricorde à la prison ?

Dès mes premières visites en prison j’ai éprouvé un sentiment auquel je ne m’attendais pas. J’ai souvent l’impression que c’est moi qui emprisonne les personnes que je rencontre. Lors d’une célébration j’ai demandé pardon aux participants de les avoir mis là. Tout simplement ils m’ont accordé leur pardon. Voilà une de mes plus fortes expériences de la miséricorde.

L’absence de miséricorde ?

Ponctuellement dans l’emploi les mots de toxico, pointeur, prédateur… qui ôtent toute humanité à la personne. Prédateur la réduisant même à l’animal. De manière diffuse mais lancinante par le monde carcéral qui détruit plus qu’il ne reconstruit, désocialise plus qu’il ne réinsère, punit sans réconcilier.

Le regard, la présence de l’aumônerie et de l’aumônier ?

Ils sont au nom de, et pour l’Église. Ce n’est pas la rencontre de pécheurs mais celle de personnes ne pouvant se déplacer. Pas secours mais partage. C’est la fondation et la vie d’une communauté. Les aumôniers sont simplement des membres de cette communauté. Depuis les premiers chapitres de la Bible, en passant par les évangiles, la tradition de l’Église et la liturgie, une évidence : nous sommes tous pécheurs et nul ne peut connaître le poids de nos (ses) fautes. (La paille et la poutre, la première pierre, Juda et Pierre, Paul, «j’ai vraiment péché en pensée, en parole par action et par omission»…, nous oublions souvent la pensée, parlons peu de nos paroles et omettons l’omission). Il n’y a pas de murs séparant coupables et innocents, mais une communauté, une vie partagée.

Le pardon pour les personnes détenues ?

La personne détenue se sent victime dès les premiers instants et toute la durée de sa détention. Même reconnaissant son délit ou crime il y a toujours le sentiment de ne pas être totalement compris. La détention elle-même est une pratique violente. rappelons que la séquestration commise en dehors de l’autorité légale est un crime). Le contexte ne favorise donc pas une remise en question et une demande de pardon. Le temps peut avoir un effet favorable. Il permet de repenser, de revivre son passé. Mais il y a souvent dans ce cadre la mise à jour d’une enfance malheureuse, de mauvais traitements, accentuant le sentiment d’incompréhension et la victimisation. Il faudrait aussi parler de la réelle conscience de l’infraction. La voie du pardon est donc très étroite.

Des pistes ? Pour la société et la justice :

Trop timidement quelques recherches et expérimentations sont faites dans le cadre de la justice restaurative. Celle-ci est aussi une avancée pour les victimes. Il s’agit avant tout de reconstruire, sans écarter la peine qui peut être une part de la reconstruction et donc prendre un sens.

Pour l’aumônerie :

Tout en continuant sa vie ordinaire de communauté chrétienne, l’aumônerie des prisons peut agir à l’extérieur. En partageant son regard et en participant à la réflexion, aux recherches. Mais c’est aussi une voie étroite et délicate. Si l’aumônerie puise son énergie vitale dans l’évangile, le cadre de la laïcité demande une parole qui doit pouvoir être comprise et acceptée. Les mots de charité, de pardon, salut, réconciliation peuvent faire bourdonner quelques oreilles. Pourquoi ne pas employer aussi les mots de la
république dont : liberté, égalité, fraternité ? Et faire remarquer que le dernier est souvent oublié, voire méconnu ? Peut-on déposer une plainte pour manque de fraternité ? Peut-on être accusé et condamné pour manque de fraternité ? Peut être pour non assistance à personne en danger. Faut-il être en danger pour vivre la fraternité ? 77 000 personnes écrouées, dangereuses ? en danger ?

«Qu’as-tu fait de ton frère» cette interrogation du début de la Bible peut donc être adressée à chaque citoyen.

Toxico, voleur, prédateur, étranger ou frère ? A chacun de répondre. L’aumônerie répond et propose une pratique : que nos pensées, paroles et actions ne s’inspirent pas de : «comment punir ?» mais de : «comment aider ?» …

Il n’y a pas de murs séparant coupables et innocents, mais une communauté, une vie partagée.

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