Homélie de la Vigile Pascale

Dieu aime les égyptiens. Ne vous trompez pas, le récit de l’Exode que nous avons entendu qui met en scène les égyptiens comme figure de l’oppresseur dont Dieu libère ne signifie aucunement que Dieu n’aime pas les égyptiens. Les hébreux vivent un événement fondateur à travers cet acte de libération qui les constitue comme peuple. Ils étaient esclaves en Égypte, la grande puissance de l’époque. L’histoire montre que toutes les dites « grandes puissances » n’ont jamais su se construire sans s’inféoder voire écraser les peuples alentours plus faibles. Ils étaient donc esclaves et vivent un événement de libération tout à fait inattendu. Et tout à fait hors de leur portée et de leur propre capacité. C’est à travers cet événement qu’ils découvrent Dieu comme libérateur et se reçoivent eux-mêmes comme peuple. Les égyptiens – plus précisément l’armée de pharaon – sont la figure de ce qui, de toutes les époques, nous oppresse. Les oppressions extérieures à nous-mêmes – il faut relire l’encyclique du Pape François Laudato si : il y dénonce l’esclavage de notre monde vis-à-vis de  de l’argent et de l’ultra libéralisme financier et éthique. Ce qui nous oppresse de l’intérieur de nous-mêmes également, ces blessures dont nous ne savons comment nous défaire, nos difficultés d’aimer qui sont autant de complicités avec ce qui abime, défigure et dévitalise, bref, avec la mort déjà à l’œuvre que la Bible désigne sous le nom de péché.

Dans cet événement libérateur, le peuple de Dieu est confronté à des impossibles, à des apparentes impasses. Comment traverser la mer rouge ? Pour un peuple qui n’a absolument pas le pied marin, la mer est symbole du mal et de la mort. Et quand rien ne parait possible, voilà que le Seigneur ouvre les chemins du possible. La mer s’ouvre, l’espérance est toujours possible. L’esclavage et la mort n’auront jamais le dernier mot. La situation que nous vivons n’est jamais une fatalité. La liberté et la vie, quelles que soient les vicissitudes du chemin, sont notre avenir.

Pour les égyptiens du récit, cela semble compromis, puisqu’ils sont engouffrés par la mer. Comme si le mal que nous faisons nous faisait toujours plus mal que ce que nous pensons, nous submergeait en profondeur, nous engouffrait. Mais le salut est aussi pour les égyptiens. La Bible le montre très clairement : l’élection par Dieu du peuple hébreux, tout en distinguant ce peuple des autres nations, n’est pas contre les nations, mais bien pour elles. Dans la Bible, Il n’y a d’élection que pour les autres. Le passage du livre d’Ezéchiel que nous avons entendu nous aide à comprendre : « Ainsi parle le Seigneur Dieu : ce n’est pas pour vous que je vais agir, maison d’Israël, mais c’est pour mon saint nom que vous avez profané parmi les nations, mon nom que vous avez profané au milieu d’elles [malgré l’exode, cet événement où je vous ai libéré et choisi comme peuple, vous vous êtes abîmés en rompant l’alliance. Vous n’êtes vraiment pas meilleur que tous les autres peuples.]. » Et l’oracle se poursuit : « Je sanctifierai mon grand nom profané parmi les nations, mon nom que vous avez profané parmi les nations [il insiste !]. Alors les nations sauront que je suis le Seigneur – oracle du Seigneur – quand par vous je manifesterai ma sainteté à leurs yeux. » L’affirmation est énorme : vous qui n’êtes pas meilleurs que les autres, mais vraiment pas, je vous choisis. Je ne vous choisis pas pour vos mérites – vous n’en avez pas – mais pour vous sanctifier, vous donner ma sainteté, c’est-à-dire ma vie libre de toute violence et de toute mort, ma vie en plénitude, et ainsi que par vous ma vie soit manifestée et offerte à tous.

Frères et sœurs, Narcisse, Malika, Romane et Léa, voilà l’inouï de Pâques. Si ce texte de l’exode est obligatoire à la Vigile pascale c’est qu’il annonce ce que Jésus réalise au plus intime de nous même et entre nous. Il est le libérateur qui vient nous libérer de tout ce qui nous enchaine. Il est Dieu lui-même qui vous choisit pour vous agréger à son corps et devenir le peuple de Dieu, l’Église pour le monde. Vous êtes – nous sommes – choisis par le Christ, non pas sur nos mérites – personnellement je n’en ai absolument aucun – mais par pure grâce. Ce choix est jubilatoire, libérateur, énergisant, sanctifiant c’est-à-dire divinement vivifiant – nous n’aurons jamais fini de découvrir. Il est aussi exigeant. Saint Paul précisait il y a quelques instants que pour être unis à la résurrection de Jésus, il faut être unis à sa mort. Et d’expliquer que c’est précisément ce que réalise le baptême : « Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ, qui par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. » Pour vivre d’une vie plus forte que la mort, il faut accueillir Celui qui vient crucifier en nous ce qui nous fait mourir, nos complicités avec la violence et toute forme de mal. C’est là, ne vous trompez pas, que la vie chrétienne est un combat. Savoir les nommer. Laisser Jésus s’y glisser dedans. Choisir chaque jour Jésus comme votre sauveur. Et comme sauveur du monde. Un combat quotidien pour la vie. La vôtre. Celle du monde.

Vous êtes – nous sommes choisis pour être vivifiés et devenir ensemble l’Église, ce signe par lequel Dieu veut manifester sa sainteté, sa plénitude de vie, son amour fou pour tous et chacun de nos contemporains. Le plus intime (choisis personnellement par Dieu) devient aussi le plus « politique » au sens étymologique du terme (pour le monde).

Choisis par Dieu. Goutez-le. Choisis ensemble. Le pape François nous invite dans ce si beau texte de la Joie de l’Évangile à redécouvrir « le plaisir spirituel d’être un peuple » (n° 268-274).

Par le baptême, dans l’union avec le Christ, accueillir la puissance de sa résurrection. Avec vous aussi, Dorothée, Olivier, Michel et Genny qui allez communier pour la première fois, accueillir le sacrement de notre unité et devenir ce que le baptême et l’eucharistie font de nous : un peuple signe de l’amour fou de Dieu manifesté en Jésus ressuscité dans le souffle de l’Esprit, par la mission et l’évangélisation, par la charité, et avec Jésus même quand cela n’est pas reçu – n’ayons pas peur d’être une minorité – en offrant notre vie pour le monde.

Que le Seigneur soit béni. Christ est ressuscité, alléluia ! Il est vraiment ressuscité, alléluia !

 + Olivier. LEBORGNE
Évêque d’Amiens
Vigile pascale 2018
Cathédrale Notre-Dame d’Amiens
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 « Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ, qui par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. »