Parole de notre évêque : 9000

Écoutez ceci, vous qui écrasez le malheureux pour anéantir les pauvres du pays, car vous dites : « […] nous pourrons acheter le faible pour un peu d’argent, le malheureux pour une paire de sandales. » […] Le Seigneur le jure par la fierté de Jacob : non, jamais je n’oublierai aucun de leurs méfaits. (AM 8,4…7)

Ces mots du prophète Amos que nous entendions le 25ème dimanche du temps ordinaire sont extrêmement clairs. Et malheureusement très actuels.

Aujourd’hui, le nombre de personnes qui « habitent » ce qu’on appelle la « jungle de Calais » est estimé à 9000. La Somme est directement concernée : en effet, les forces de l’ordre étant très présentes à Calais, les passeurs n’osent plus s’aventurer trop près. Ils abandonnent généralement ceux dont ils exploitent la misère sur les aires d’autoroute de la Somme.

La situation est extrêmement complexe. L’État se doit d’assumer ses fonctions régaliennes de gestion des flux migratoires, de sécurité des concitoyens et aussi de soutien aux plus pauvres. Les questions que l’immigration pose débordent le cadre de la politique intérieure. Elles sont d’abord des questions de politiques internationales et d’économie mondiale. Tant que la justice ne présidera pas à ces domaines, les flux migratoires ne feront qu’augmenter. Et la politique des murs (on en voit se construire un peu partout… quelle triste régression de l’histoire) ne pourra à terme générer autre chose que le phénomène de cocote minute.

La pression sera contenue un temps, mais le jour où elle ne le sera plus, l’explosion sera très violente. Il nous faut ici aussi être très clair : aucune solidarité internationale s’appuyant sur la justice ne pourra se déployer sans que les pays dits riches n’en soient impactés. Ainsi, une société qui n’a pour objectif que la croissance égoïste de la consommation affirme clairement qu’elle ne veut pas la paix.

Au-delà des divergences sur les analyses de la situation et les solutions politiques qu’il faudrait promouvoir, il y a un fait que nous devons regarder en face : 9000 personnes, parmi les plus pauvres des pauvres, vivent dans la jungle de Calais. Nous ne savons pas quoi faire. Il y a déjà un nombre important d’associations qui y donnent le meilleur d’elles-mêmes. Que pourrions-nous y ajouter ?

Trois choses, me semble-t-il :

• Maintenir vive dans notre prière et notre information la situation de ces personnes…. Car ce sont des personnes créées par Dieu, aimées de Dieu et sauvées par Dieu ! Il est impossible de ce fait de les effacer de notre mémoire parce qu’elles nous gêneraient ou nous renverrait à notre impuissance ou à nos peurs ;

• Le ministre de l’intérieur a déclaré son intention de mettre fin à la jungle de Calais. Mais cela n’est pas d’abord une question de bulldozer. Ces 9000 personnes ne pourront quitter la jungle de Calais que s’il y a 9000 places d’accueil pour que, dans des conditions humaines dignes, la situation de chacun puisse être étudiée et des décisions de justice prises (de la reconnaissance du statut de réfugié au retour dans le pays d’origine). Des associations compétentes et professionnelles sont prêtes pour faire ce travail d’accompagnement. L’État annonce des mesures pour que l’ensemble soit bien encadré et qu’il n’y ait pas de débordements. Il manque juste des lieux d’accueil.

Je désire donc que le diocèse s’engage dans l’accueil et l’accompagnement de ces personnes. J’ai demandé que l’on recense les lieux où cela serait possible et qu’on se mette en lien avec les services compétents de l’État.

Je demande aussi à ce que les communautés locales discernent avec prudence et audace (ces deux vertus ne s’opposent pas, elles s’appellent l’une l’autre) ce qui serait possible. N’hésitez pas à prendre contact avec Martine Durand, déléguée épiscopale à la Solidarité : elle est prête à se déplacer et sera de bon conseil.

• Nous interroger sur ce qui fait notre sécurité. Le Christ, oui ou non, est-il notre sécurité ? Ou mettons-nous notre sécurité ailleurs qu’en lui ? Il n’y a dans cette question aucun illuminisme. Simplement la question de la foi. Si lui seul est notre sécurité, nous ne ferons pas n’importe quoi, mais en lui, avec lui et par lui, nous trouverons de nouveaux espaces pour oser l’Évangile.

Alors que nous venons d’entrer dans l’année de l’Esprit Saint, invoquons-le avec détermination.

+ Olivier LEBORGNE
Évêque d’Amiens

MGR Olivier Leborgne