Parole de notre évêque : Peine de mort ?

En 1981, la peine de mort était abolie en France. Sur le moment, cela ne s’est pas fait sans débat. En 1992 le Pape Jean Paul II promulguait le Catéchisme de l’Église catholique. Au numéro 2267, après avoir rappelé la nécessité pour l’État de garantir la protection efficace des personnes faces aux agresseurs, le catéchisme indique l’obligation de choisir pour cela des moyens non sanglants s’ils « suffisent » en précisant :

Aujourd’hui, en effet, étant donné les possibilités dont l’État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable sont désormais assez rares, sinon pratiquement inexistants1 .

Cette prise de position repose sur deux principes qui peuvent paraitre contradictoires mais qui ne peuvent s’exclure l’un l’autre : le devoir de l’Etat de veiller au bien commun et d’assurer la sécurité des biens et des personnes, et le principe espérance qui sait la dignité aliénable de la personne humaine et croit, à cause du salut en Christ, à sa possible conversion. L’opposition de l’Eglise catholique à la peine de mort repose sur le fait que si le mal doit être nommé, jugé et circonscrit, on ne peut jamais déclarer à priori que la personne est définitivement enfermée dans son mal et qu’aucun avenir autre que la répétition du passé ne lui est ouvert.

Cela n’est pas sans interroger le fonctionnement pénitentiaire et carcéral de notre société. S’il y a dans la peine édictée par le juge et son application une dimension de sanction et de protection, celles-ci doivent être pensées pour qu’à travers cette sanction et le temps de son application, les conditions d’un avenir et d’une reconstruction personnelle et sociale du délinquant soit possible. Si nous ne gardons pas cette visée là – en consentant à n’être toujours qu’en chemin mais sans nous résigner – non seulement nous condamnerons les criminels pour le mal qu’ils ont fait, mais nous les condamnerons à ce mal. Ceci est inconcevable d’un point de vue évangélique : la vérité rend libre et le travail de justice doit ouvrir l’avenir. Ceci est également dangereux pour la société car alors elle ne soigne pas ses maux mais ne fait que les repousser dans le temps.

Le refus de la peine de mort indique donc une vision de l’homme profondément en consonance avec l’Evangile.

Ce développement peut paraître bien théorique et anachronique. Il n’en est rien. Si la justice dans notre pays ne prononce plus de condamnation à la peine de mort, un autre magistère – celui de ce qu’on appelle parfois « la pensée unique » médiatiquement relayée – livré à lui-même et sans règles reconnues garantissant la justice de son traitement, peut prononcer des peines de mort. Certes symboliques,
mais tout aussi efficaces.

Aujourd’hui, quand une personne a été condamnée, et qu’elle a purgé sa peine, une « rédemption », un avenir est-il encore possible ? La question peut se poser quand, plusieurs années après des affaires jugées, dont les protagonistes ont purgé leur peine selon les règles de la justice, on rejette dans l’arène médiatique leur nom et leur situation.

La société doit se protéger, et l’Etat doit pour ce faire prendre toutes les mesures pour qu’un délinquant ne récidive pas. Il est des situations ou le retour à l’état antérieur n’est absolument pas possible. Pourtant, nous devons pouvoir espérer pour les personnes concernées un avenir qui ne se réduise pas au mal qu’elles ont commis, qui en tienne compte pour éviter toute récidive, mais qui ne les enferme pas définitivement dedans.

Je ne pose pas ici la question du pardon qui est une démarche interpersonnelle d’un autre ordre. Il s’agit d’une question de justice.

Il ne faudrait pas réintroduire symboliquement ou médiatiquement ce que nous avons voulu exclure juridiquement. Il y a urgence à y réfléchir. Ce qui est en jeu : la justice de notre justice afin qu’elle ne condamne pas sans le vouloir à une double peine, la possibilité d’annoncer aujourd’hui la rédemption et le salut, le coeur même de l’Evangile.

+ OLIVIER LEBORGNE, ÉVÊQUE D’AMIENS

MGR Olivier Leborgne

Explications

1. Vous pouvez la retrouver sur le site internet du diocèse : www.catho80.com