« Laissez jaillir l’Esprit » Lettre pastorale

Monseigneur Olivier LEBORGNE, évêque d’Amiens, a remis sa première lettre pastorale lors de la fête diocésaine de la Saint-Firmin 2015

« Laissez jaillir l’Esprit » (RM 12,11)

Comment ne pas rendre grâce ?

Cela fait maintenant 18 mois que je suis devenu votre évêque. Comme j’ai eu l’occasion de le dire souvent, l’anneau épiscopal est un signe qui me marque profondément. Signe d’alliance, il signifie que nous sommes donnés les uns aux autres pour devenir l’Église que le Seigneur veut dans la Somme. Donnés les uns aux autres : l’évêque à son diocèse, bien-sûr, mais aussi et tout autant, les baptisés entre eux et les ministres ordonnés pour eux, afin de devenir ensemble ce que nous sommes, le Corps livré 1 de Jésus-Christ là où nous vivons. Cela n’est ni le fruit du hasard, ni d’abord lié à nos affinités éventuelles, avec ce qui nous rapproche ou parfois nous éloigne, mais c’est un fait immédiatement lié au baptême reçu : nous sommes donnés 2 les uns aux autres 3 par le Seigneur, pour vivre et annoncer au monde la bonne nouvelle du salut.

Découvertes

Depuis 18 mois, je suis émerveillé par vos visages, par ce que le Seigneur me donne de découvrir, par les dons qu’il nous fait à travers les uns et les autres, de tous âges, de toutes origines sociales ou ethniques, de tous types d’itinéraire, de toutes « sensibilités », etc. Je pense aux religieux et religieuses (permettez-moi de les citer en premier en cette fin d’année de la Vie consacrée), aux familles, aux prêtres, aux diacres, aux anciens et aux jeunes, à ceux qui vont bien et à ceux qui n’en finissent pas d’être dans l’épreuve, à ceux qui s’engagent dans un avenir plein de promesses et à ceux qui ne savent pas toujours de quoi demain sera fait … Comme j’aimerais que l’Église soit toujours à vos côtés, quoi qu’il arrive !

Je rends grâce pour chacun : vous êtes la richesse de notre diocèse, dons de Dieu pour l’Église et le monde.

Je découvre donc le diocèse dans ses réalités historiques : quelles richesses ! La cathédrale en est un signe éminent mais il n’est pas le seul… Notre richesse, ce sont fondamentalement les personnes : depuis saint Firmin jusque saint Martin, saint Vincent de Paul ou saint Antoine Daveluy, sans oublier tous ces « anonymes » que le Seigneur connaît, dont « le nom est inscrit au livre de vie » 4 et sans lesquels nous ne serions pas là. Dans un monde en profonde mutation, je découvre aussi les réalités géographiques, sociales, économiques et ecclésiales de notre département. Je perçois d’importants défis à relever en de nombreux domaines. J’entends souvent des questions, des peurs et des inquiétudes aussi bien pour la vie civile qu’ecclésiale. Pourtant, c’est bien l’action de grâce qui domine.

Soyons des hommes et des femmes d’action de grâce

Je désire vous entraîner avec moi dans cette action de grâce. « Le Père est à l’œuvre, et moi aussi je suis à l’œuvre » 5, dit Jésus. Dieu travaille notre monde, il travaille notre diocèse. Et il ne cesse pas de nous faire des dons. Savons-nous les reconnaître ? L’enjeu est capital : nous ne construirons pas l’avenir sur nos manques, nos peurs et nos inquiétudes, mais sur les dons que le Seigneur nous fait.

L’enjeu est capital : nous ne construirons pas l’avenir sur nos manques, nos peurs et nos inquiétudes, mais sur les dons que le Seigneur nous fait.

Devenons des hommes et des femmes d’action de grâce. Cela nous engage dans trois directions.

  • Devenons, pour commencer, des hommes et des femmes de gratitude pour tout ce qui nous a été transmis et sans lequel nous ne serions pas là. Cette gratitude ne nous invite pas à « répéter » le passé. Mais, comme nos prédécesseurs l’ont fait en leur temps pour relever les défis qui se présentaient à eux 6, elle nous invite à mobiliser notre énergie pour ouvrir de nouveaux chemins face aux nouveaux enjeux qui se présentent. La mémoire du passé, dans la tradition biblique, atteste de la fidélité de Dieu pour ouvrir l’avenir avec confiance.
  • Ensuite, apprenons à « voir » 7 l’action de la grâce, l’action de Dieu dans notre histoire et dans celle de nos contemporains. Exerçons-nous à faire personnellement et communautairement des « examens de visitation » 8. Saint Paul, avec sa description du « fruit de l’Esprit » dans la lettre aux Galates 5,22 9 sera pour nous un guide sûr. Plus généralement, notre pratique assidue de l’Écriture Sainte clarifiera progressivement notre regard 10. Si nous avons tant de mal à repérer l’action de Dieu, ce n’est pas parce qu’il n’agit pas. Mais, centrés sur nos imperfections, nos habitudes ou nos manières de faire, nos fragilités ou nos manques, nous ne savons plus regarder… Renaître à un « regard contemplatif » 11, réapprendre à voir nous aidera à être fidèles à notre vocation d’« enfants de lumière » 12.

L’action de grâce à laquelle je vous invite est pour moi source d’une grande confiance en l’avenir. Elle me rend aussi profondément solidaire de nos fragilités et pauvretés.

  • Enfin, dans la gratitude du don de Dieu, ayant repéré les lieux de son action, engageons-y nos forces pour agir dans et par sa grâce. L’expérience des éoliennes, si présentes en terre picarde, peut en être une belle parabole : avant d’installer des éoliennes, on étudie les vents ; on ne place pas d’éoliennes là où il n’y a pas de souffle, cela ne servirait à rien et serait pur gaspillage. Ainsi en est-il de l’action pastorale : elle n’a de sens et n’est féconde que dans le souffle de l’Esprit. Il nous faut donc toujours commencer par repérer les lieux où il souffle pour y déployer notre action. Et ainsi les éoliennes de l’Esprit diffuseront l’énergie et l’espérance évangéliques !

Communautés chrétiennes au souffle de l’Esprit

Entrer dans cette attitude d’action de grâce – je l’ai déjà dit mais j’y insiste – c’est nous recevoir les uns les autres comme donnés les uns aux autres pour la mission. Dans cette perspective que le Seigneur nous donne d’approfondir ce qu’est une communauté chrétienne. Comment nos paroisses sont-elles des communautés rassemblées, enseignées, vivifiées et envoyées par le Christ plus que des instances de prestations religieuses 13 ? Comment sont-elles des lieux authentiques d’expérience fraternelle ? En quoi le baptême et la confirmation sont-ils la source vive de notre participation eucharistique, de notre engagement ecclésial et surtout de notre engagement au cœur du monde ? Comment les plus démunis, les plus pauvres d’entre nous, sont-ils au cœur de nos communautés afin qu’elles soient cette Église avec et pour les pauvres que le pape appelle de ses vœux 14 ? Au cœur de la communauté chrétienne, de quels charismes spécifiques témoigne la vie consacrée, qu’elle soit apostolique ou contemplative ? En quoi le ministère sacerdotal comme signe sacramentel du Christ Pasteur est-il un don pour chaque communauté ? Bref, en quoi le Saint-Esprit est-il l’âme de nos vies, de nos engagements, de nos communautés et de notre pastorale ?

MGR Olivier Leborgne

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Vous pouvez également vous procurer cette lettre pastorale à l’accueil de la Maison diocésaine ; 384, rue St-Fuscien à Amiens

Annotations

1 « Or vous êtes le corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps. » 1 Co 12,27. L’eucharistie, mémorial de la mort et de la résurrection du Christ-Seigneur, a pour finalité de constituer son Corps, l’Église. Selon la belle formule de saint Augustin, notre « Amen » de la communion tout en reconnaissant le Christ livré réellement présent dans le pain consacré est ordonné à ce qui advient alors : nous devenons ce que nous recevons, corps livré de Jésus-Christ pour le monde. La double épiclèse de la prière eucharistique l’indique clairement.


2 Fils et filles d’un même Père dans le Fils unique, nous devenons frères et sœurs. C’est notre filiation au Père par le Fils dans l’Esprit qui fonde notre fraternité. Cf. homélie pour la fête de la Saint Firmin 2014 –


3 « A ceci nous connaissons l’Amour : lui Jésus a donné sa vie pour nous. Nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères. » 1 Jean 3,16


4 Ap 3,5.


5 Jean 5,17


6 C’est pour moi l’occasion de rendre grâce pour ce que le Seigneur a fait par mes prédécesseurs, tout récemment Mgr Noyer et Mgr Bouilleret.


7 « Venez et voyez », dit Jésus en Jean 1,51. Très souvent, Jésus invite à « voir »…


8 Les différentes traditions spirituelles ainsi que les mouvements et communautés présents dans le diocèse ont une expérience irremplaçable pour nous aider à regarder et à discerner Dieu à l’œuvre.


9 « Voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bienveillance, fidélité, douceur et maitrise de soi. » Galates 5,22


10 Il s’agit, pour le fidèle du Christ, de « manger » la Parole – Cf. Ez 3,1-3 ; Ap 10,10. Alors la Parole « illumine » (Ps 139,130), car « c’est par ta lumière, que nous voyons la lumière » (Ps 36,9), que nous avons accès au réel dans sa profondeur, sa vérité, ses fragilités et ses promesses.


11 Pape François, La joie de l’Évangile, n° 71. Cf. également sur le discernement évangélique et les signes des temps, les n° 50 – 51.


12 Ep 5,8 ; cf. Mt 5,14. Nous pouvons penser à l’appel du Pape François : « ne nous laissons pas voler l’espérance ! » La Joie de l’Évangile, n° 86


13 Comment évangéliser les demandes qui ont l’apparence d’une « demande de prestation religieuse » et en faire le lieu de l’annonce de l’Évangile du salut ? Cette question est plus que jamais d’actualité.


14 Cf. La Joie de l’Évangile, n°197-202.


Un itinéraire pour les trois prochaines années

Pour nous disposer toujours davantage au don de Dieu, et aux dons qu’il nous accorde aujourd’hui, pour rafraîchir notre dynamisme pastoral et missionnaire, je désire engager le diocèse dans un itinéraire qui se déploiera sur trois ans, d’aujourd’hui à septembre 2018.

2015-2016 : le jubilé de la miséricorde

En 2015-2016, le Pape François nous invite à vivre un jubilé extraordinaire de la miséricorde. C’est un cadeau qu’il fait à l’Église. Dieu fait miséricorde aux hommes : il ouvre son cœur à toutes nos misères, y plonge en Jésus, et dans l’Esprit vient les traverser avec nous pour nous en relever.

L’action de grâce à laquelle je vous invite est pour moi source d’une grande confiance en l’avenir. Elle me rend aussi profondément solidaire de nos fragilités et pauvretés. De ce point de vue, je suis frappé de ce que les relations entre nous sont parfois abîmées.

Des a priori d’autant plus tenaces qu’ils sont inconscients, des jalousies ou des manques de reconnaissance, des malentendus ou des désaccords non assumés, polluent la vie. Je souhaite donc que nous vivions à plein cette année de la miséricorde. Nous ne ferons pas que parler de la miséricorde, nous la contemplerons en Jésus. Nous ne ferons pas que la contempler en Jésus, nous l’accueillerons, notamment dans les sacrements de l’eucharistie et de la pénitence-réconciliation. Nous ne ferons pas que l’accueillir, nous la vivrons concrètement entre nous et vis-à-vis de ceux que nous rencontrons, dans la grâce de l’Esprit 15.   Si nous n’allons pas jusque-là, cette année sera stérile et sans intérêt.

Si nous osons la miséricorde en Celui qui est miséricordieux 16, il est évident que des souffles nouveaux apparaîtront, que des régénérations inattendues surgiront et que nous serons renouvelés pour l’annonce de l’Évangile. Cette année n’est pas une année de plus. Elle est l’année où Dieu nous convoque pour oser à frais nouveaux l’Évangile. Il y va de notre capacité à témoigner de l’Espérance.

Alors que des propositions concrètes seront bientôt faites pour nous aider à vivre ce jubilé de la miséricorde, je voudrais évoquer quatre pistes d’actions :

  • Redécouvrons et employons le langage de la bénédiction 17. C’est le langage biblique par excellence. Il n’y a, dans ce langage, aucune mièvrerie. Le langage de la bénédiction n’a pas peur de la vérité et sait s’y engager. Il appelle la justice. Mais s’appuyant sur cette réalité que tout baptisé est un frère donné par le Christ et tout homme un compagnon donné par le Seigneur, ce langage apprend à reconnaître le don de Dieu et à implorer sa bénédiction sur toute personne. Cela n’est pas d’abord une disposition affective même si celle-ci peut faciliter ce langage. C’est un acte de foi au Dieu Créateur et Sauveur 18. Si l’échange et une critique constructive sont indispensables pour la vie ecclésiale et sociale, un langage de malédiction, souvent non conscient mais bien réel, nous vient trop rapidement aux lèvres. La conversion est urgente.
  • Réapprenons ou peut-être apprenons la correction fraternelle 19. Elle est une exigence de la miséricorde qui s’appuie sur la justice et la recherche de la vérité. Nulle, personne ou communauté, ne peut grandir sans correction fraternelle 20. Apprenons, avec discernement mais avec clarté et liberté, c’est-à-dire dans l’Esprit Saint, à dire ce qu’il y a à dire pour aider la communauté et ses membres à grandir (apprenons donc aussi à nous taire) ; apprenons à recevoir sans nous sentir agressés et, quand bien-même la personne serait maladroite, demandons au Seigneur ce qu’il veut nous dire par elle. Osons ne pas être toujours dans la justification, mais cherchons ensemble les chemins du Royaume.
  • Osons de réelles démarches de pardon et de réconciliation. C’est l’acte de la plus grande force que d’oser demander pardon. C’est l’acte du plus grand amour que d’oser le pardon. Saurons nous prendre l’initiative de rencontrer telle ou telle personne que nous ne comprenons pas, qui nous a blessés ou que nous savons (sans toujours vouloir le reconnaître) avoir blessée, pour essayer un chemin d’avenir dans la
    miséricorde ? Nous le savons, le pardon n’est ni l’oubli ni la relativisation du mal. Il est « la grâce de l’avenir
    ré ouvert » au cœur du mal qui n’aura pas le dernier mot 21. Nous ne serons donnés les uns aux autres,
    ensemble pour la mission – ce qui est l’identité de l’Église –, que si nous nous recevons dans le pardon du Seigneur.
  • Enfin, personnellement, en communauté, mouvement et diocèse, renforçons notre engagement dans les « œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles » 22. La miséricorde à la suite du Christ miséricordieux est engagement concret au service des plus démunis. « Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage dans le cœur de l’Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine. » C’est aussi sur notre capacité à devenir toujours davantage une Église avec les pauvres que se jouera la nouvelle évangélisation.

2016-2017 : une année de l’Esprit Saint 23

Après l’année de la miséricorde, viendra en 2016-2017 l’année de l’Esprit Saint. Elle aura un double objectif : nous replonger dans la source vive, et nous préparer à l’année suivante.

  • Nous replonger dans la source vive. « Si tu savais le don de Dieu, dit Jésus à la Samaritaine, si tu connaissais celui qui te dit : ‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive […] source jaillissante en vie éternelle. » 24 L’Esprit Saint, amour du Père et du Fils, consolateur 25 et Esprit de vérité 26, don gratuit de la vie divine, sanctificateur et divinisateur, est non seulement le souffle qui redonne souffle quand on perd souffle, mais il est la source vive de toute humanité 27, c’est par lui que nous recevons « la vie, la croissance et l’être 28. » Comme le vent dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va 29, Il est le maître de la mission 30.

L’année de l’Esprit Saint voudrait être comme un grand rafraîchissement en plongeant ensemble à la source jaillissante de notre baptême. Elle voudrait nous redonner la joie de l’Évangile, au-delà ou au cœur de nos différences, opinions et éventuels désaccords.

Mes premiers pas dans le diocèse m’ont fait toucher du doigt ce travail de l’Esprit tant à travers des personnes que dans l’histoire des communautés et des mouvements. Que de baptisés généreux et donnés dans notre diocèse. En même temps, certains m’ont paru las, fatigués, comme dispersés sur tous les fronts de la mission, et du coup épuisés et inquiets, voire résignés. La capacité d’accueillir les initiatives nouvelles de l’Esprit est atteinte. Ce qui existe est difficile à tenir, comment oser la nouveauté ? On ne voit pas comment faire – on n’a plus d’énergie – ou on se dit qu’ « on-a-déjà-essayé-et-ça-ne-marchera-jamais » ou encore que « cela-ne-correspond-pas-à-l’Eglise-que-nous-voulons. »

L’année de l’Esprit Saint voudrait être comme un grand rafraîchissement. Nous plongerons ensemble à la source jaillissante de notre baptême. Elle voudrait nous redonner la joie de l’Évangile, au-delà ou au cœur de nos différences, opinions et éventuels désaccords. L’essentiel n’est pas l’Église que nous voulons mais celle que Dieu veut nous donner. Et nous serons infiniment plus dynamisés et vivants – et donc vivifiants – si nous apprenons à nous laisser faire par l’Esprit du Dieu trois fois Saint. Cet apprentissage n’est jamais terminé.

J’ai eu l’occasion d’ouvrir la neuvaine de la Pentecôte 2015 au centre spirituel Saint François de Sales en commentant l’Évangile de Marthe et Marie 31. La situation de Marthe me paraît très significative et éclairante. Elle a invité Jésus chez elle. Loué soit-elle ! Cependant, elle n’est pas présente à Celui qu’elle a invité. Quand Jésus dit qu’elle s’ « inquiète pour peu de choses » et que « Marie a choisi la meilleure part [qui] ne lui sera pas enlevée », il ne dénigre pas le service. Comment pourrait-il le faire, lui qui n’est « pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » 32 ? L’alternative n’est donc pas action ou contemplation. En fait, Marthe fait des choses pour Jésus mais n’est pas présente à Jésus le Serviteur. Comme si Marthe servait Jésus mais ne savait pas accueillir le service de Jésus, le don de sa vie pour notre vie. Comme si ce qu’elle fait pour Jésus faisait obstacle à ce que Dieu, par Jésus, veut faire pour elle. L’alternative de cette page d’Évangile peut se résumer ainsi : agir pour le Christ ou se laisser agir par le Christ. 

Il me semble que cette alternative se présente à notre diocèse : faire des choses pour le Christ, jusqu’à l’épuisement, ou le laisser prendre l’initiative, l’accueillir dans sa miséricorde, le laisser nous souffler son Esprit. Bref, lui laisser prendre les rênes et le laisser « nous agir ». Renaître dans l’Esprit Saint à Celui qui est Le Serviteur ne nous fera pas faire moins de choses, bien au contraire. Mais cela nous donnera de les faire autrement. Et au bout du compte, de manière vivifiante et non épuisante, libre et non contraignante, féconde et non dispersante. Bref, joyeuse ! Tous les saints, à commencer par ceux de notre diocèse, en sont le témoignage éloquent. L’Esprit du Seigneur est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes. Il veut déployer en nous la puissance du Ressuscité 33. Ré-apprenons l’Esprit Saint !

L’Esprit est notre souffle, toujours fidèle. Acceptons dès maintenant que les dons qu’il nous fait et qu’il nous fera ne correspondent pas totalement à nos manques. Le Seigneur, sans qui nous ne pouvons rien faire, émonde le sarment. Demandons-lui la grâce de cette liberté intérieure qui rend disponible à Celui qui fait toutes choses nouvelles

En temps opportun, des propositions nous seront faites pour nous aider à oser cette aventure de l’Esprit.

2017-2018 : un synode diocésain

Cette année de l’Esprit Saint aura aussi pour but de nous disposer à nous mettre tous ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint pour discerner ce que Dieu veut pour notre diocèse. En 2017-2018, je convoquerai un synode diocésain. Assemblée liturgique et confessante 34, ce synode aura pour but d’envisager l’avenir. Nous le savons, l’organisation actuelle du diocèse ne tiendra pas encore longtemps. Même si nous avons la joie d’avoir 4 séminaristes, le nombre de prêtres ne va pas s’accroître dans les années à venir 35. Il en est de même pour les laïcs qui, aujourd’hui, dans un certain nombre de missions, sont difficiles à renouveler. Nous remarquons aussi que nos communautés sont vieillissantes, que les actes sacramentels et le nombre d’enfants catéchisés sont en forte baisse, que l’impact des chrétiens sur la vie sociale se fragilise. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de très belles choses qui se passent (pour n’en citer qu’une, je pense à la dynamique catéchuménale qui se développe dans beaucoup de projets et de lieux). Mais la réalité est là. Alors, soit nous nous résignons et nous gérons la réduction programmée de l’existant dans une psychologie de la régression 36, soit nous osons l’Esprit Saint, nous apprenons à nous laisser agir par lui et nous nous mettons à son écoute pour discerner quels chemins prendre. Il est évident que l’Évangile a de l’avenir en Somme !

L’Esprit est notre souffle, toujours fidèle. Acceptons dès maintenant que les dons qu’il nous fait et qu’il nous fera ne correspondent pas totalement à nos manques. Le Seigneur, sans qui nous ne pouvons rien faire, émonde le sarment 37. Demandons-lui la grâce de cette liberté intérieure qui rend disponible à Celui qui fait toutes choses nouvelles 38. Ne nous trompons pas : cela sera à certains moments difficile. Il nous faudra lâcher des choses auxquelles nous tenons parce que nous avons tant reçu par elles, nous ne verrons pas toujours clair et nous avancerons souvent à tâtons. Mais ce sera passionnant. Et si nous sommes au rendez-vous de l’Esprit, c’est la vie même de Dieu qui nous traversera et continuera de jaillir dans notre beau diocèse.

J’ai consulté le conseil presbytéral 39 qui m’a encouragé dans cette démarche. Les modalités, la question précise, l’esprit dans lequel nous vivrons le synode seront précisés le moment venu. Je confie dès maintenant toute cette aventure à votre prière.

Un diocèse en marche

Cet itinéraire pour les 3 prochaines années est proposé à un diocèse en marche. À travers les nominations qui sont parues dans Le Dimanche, notre journal diocésain, vous avez peut-être remarqué des initiatives en pastorale des jeunes, dans le domaine de la solidarité et de la pastorale familiale, auprès des laïcs en mission ecclésiale ou à travers un envoi missionnaire sur Amiens nord.

Je profite de cette lettre pour remercier tous ceux qui s’engagent, connus et inconnus, au service de l’évangélisation de leurs frères et sœurs. Je rends grâce à Dieu pour le travail des mouvements, des communautés et paroisses. Je remercie le Seigneur pour l’engagement des services diocésains dans la mission.

J’aurai la joie de vous retrouver lors des visites pastorales qui vont se poursuivre dans les deux années à venir (Je remercie vivement tous ceux qui les préparent et les permettent : c’est toujours un moment riche et important.)

Par Marie, pour qui le centre de la vie est le don de Dieu, je demande au Seigneur que tous et chacun soyons stimulés dans la joie de notre baptême et de la mission que nous avons en partage.

L’aventure que le Seigneur nous prépare est belle, n’en doutons pas. Osons-la ensemble.

« N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5,19), « laissez [le] jaillir ! » (Rm 12,11)
signature eveque olivier leborgne
LE 25 SEPTEMBRE 2015
EN LA FÊTE DE SAINT FIRMIN
+ OLIVIER LEBORGNE EVÊQUE D’AMIENS

Annotations

15 Par qui « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs », Rm 5,5.


16 « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux », Lc 6,36.


17 « Sois une bénédiction pour tes frères ! » Ainsi se termine la bénédiction de Dieu à Abraham, le
« père des croyants », en Gn 12,3. Ce sont toutes les Écritures Saintes qu’il faudrait reprendre : de la Création au retour du Christ dans la Gloire, tout s’y donne sous le signe de la bénédiction de Dieu. On gagnerait à prier encore et encore avec les hymnes pauliniennes (notamment Ep 1,1-15) ou ses exhortations morales (Ep 4,29-30 ; Ph 2,1-4 ; Col 3,5-17 ; etc.).


18 Un très beau texte de Dietrich Bonhoeffer, intitulé « la prière d’intercession », est ici très suggestif.
Lire le texte


19 Mt 18,15-20.


20 Personnellement, je rends grâce au Seigneur pour ceux qui ont su m’interpeler et m’aider à grandir comme homme, prêtre et maintenant évêque.


21 Cf. Jn 8,1-11. La rencontre de Jésus avec la femme adultère révèle combien et comment le pardon est grâce de l’avenir ré ouvert, réellement une grâce de résurrection.


22 Pape François, Le Visage de la Miséricorde, Bulle d’indiction pour le jubilé extraordinaire, n° 15.


23 En 1998, dans le cadre de la préparation au jubilé de l’an 2000, le diocèse avait déjà été engagé dans une année de l’Esprit Saint. Notre diocèse est marqué par cette soif de l’Esprit !


24 Jn 4,10.14.


25 Jn 14,16.26 ; 15,26 ; 16,7.


26 Jn 16,13.


27 Gn 2,7.


28 6ème préface eucharistique pour les dimanches


29 Jn 3,8.


30 Cf. Jn 20,21-23.


31 Luc 10,38-42 – Pour entendre le commentaire en entier, rendez-vous ici


32 Mt 20,28.


33 2 Co 4,7-8


34 Convoqué et présidé par l’évêque, un synode diocésain est une convocation de tous les baptisés d’un diocèse pour se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint. C’est une célébration. Ainsi, le peuple de Dieu, dans sa prière, échange, réfléchit et présente au discernement de son pasteur des propositions pour l’action. Cf. Code de droit canonique, n°460-468


35 Rappeler cela n’est pas se résigner. Il nous faut prier de manière déterminée pour les vocations, travailler à l’approfondissement de nos capacités d’audition de l’appel de Dieu et lui demander d’en restaurer les relais que nous sommes.


36 Le pape François, au n° 33 de La Joie de l’Évangile, parle « la psychologie de la tombe ». C’est l’ensemble des n° 76-101, « les tentations des agents pastoraux », qu’il serait stimulant de relire.


37 Jn 15,1-8.


38 Ap 21,5.


39 Le conseil presbytéral est un conseil de l’évêque, composé de prêtres (12 pour notre diocèse) majoritairement élus par leurs pairs (10).


LA PRIÈRE D’INTERCESSION

Une communauté chrétienne vit de l’intercession de ses membres, sinon elle meurt.
Quand je prie pour un frère, je ne peux plus en dépit de toutes les misères qu’il peut me faire, le condamner ou le haïr. Si odieux et si insupportable que me soit son visage, il prend au cours de l’intercession l’aspect de frère pour lequel le Christ est mort, l’aspect du pécheur gracié. Quelle découverte apaisante pour le chrétien que l’intercession : il n’existe plus d’antipathie, de tension ou de désaccord personnel dont, pour autant qu’il dépend de nous, nous ne puissions triompher. L’intercession est bain de purification où, chaque jour, le fidèle et la communauté doivent se plonger. Elle peut signifier parfois une lutte très dure avec tel d’entre nos frères, mais une promesse de victoire repose sur elle.

Comment est-ce possible ? C’est que l’intercession n’est rien d’autre que l’acte par lequel nous présentons à Dieu notre frère en cherchant à le voir sous la croix du Christ, comme un homme pauvre et pécheur qui a besoin de sa grâce. Dans cette perspective, tout ce qui me le rend odieux disparaît, je le vois dans toute son indigence, dans toute sa détresse, et sa misère et son péché me pèsent comme s’ils étaient miens, de sorte que je ne puis plus rien faire d’autre que prier : Seigneur agis toi-même sur lui, selon Ta sévérité et Ta bonté. Intercéder signifie mettre notre frère au bénéfice du même droit que nous avons reçu nous-mêmes ; le droit de nous présenter devant le Christ pour avoir part à sa miséricorde.

Par là nous voyons que notre intercession est un service que nous devons chaque jour à Dieu et à nos frères. Refuser à notre prochain notre intercession c’est lui refuser le service chrétien par excellence. Nous voyons aussi que l’intercession est, non pas une chose générale, vague, mais un acte absolument concret. Il s’agit de prier pour telles personnes, telles difficultés et plus l’intercession est précise, et plus aussi elle est féconde.

Dietrich BONHOEFFER (1906 – 1945)
« De la vie communautaire », Ed : Delachaux et Niestlé, 1947, 141 p, p85 – 87.