Parole de notre évêque

Les sujets de réflexion sociale, avec leur urgence, leurs questions, leurs peurs et leur nécessité propre de réagir vite ne manquent pas aujourd’hui. L’émotion domine parfois, sans être toujours la meilleure conseillère, même si elle a le mérite de nous réveiller et de nous mettre en route.

La réflexion sur ces questions est parfois difficile.

Comment tenir dans des convictions humaines et évangéliques claires, prophétiques (non résignées, qui se refusent toujours à l’inhumain et qui espèrent en acte) et responsables (qui évitent les purs bons sentiments et aboutissent à des actions concrètes) ? Comment, à l’invitation de l’apôtre Paul, accepter alors d’être toujours en mouvement, de renouveler notre jugement en cherchant la volonté de Dieu ?

Car, ici, soyons clairs : l’évangile n’est pas un programme poli-tique mais n’est pas sans dimension politique. Il ne dit pas pour qui voter, mais nous interdit de nous désintéresser de la cité et du bien public. Réclamer des clercs (et éventuellement des baptisés) qu’ils restent dans leur sacristie, c’est tout simplement nier l’essence même de la Révélation chrétienne et de l’incarnation. C’est toute la réalité humaine, que par la médiation de nos analyses et engagements, l’Évangile veut informer. C’est toute la vie, dans ses dimensions sociales comme dans ses dimensions les plus intimes, que le Seigneur par sa grâce veut sauver.

Pour nous inscrire dans le dynamisme d’une telle réflexion, je vois trois « indispensables » :

  • Indispensable réflexion personnelle. Chercher, chacun avec ses moyens, a comprendre, en refusant de ne prendre des in-formations qu’auprès de ceux qui pensent comme nous, ou de céder au prêt à penser médiatique quel qu’il soit. La tradition de l’Église peut être d’un grand secours. Je suis parfois surpris de ce que des chrétiens puissent négliger cette réflexion, pour la raison qu’elle n’irait pas dans le sens de ce qu’ils pensent spontanément. La foi chrétienne est-elle une émotion spirituelle auto-centrée ou une vie de disciple appelé à la vie, et donc à la conversion radicale. L’Église, ni aucune autre instance (parti politique, syndicat, courant de pensée, etc.,) ne peut penser à notre place. C’est notre dignité à tous, sans exception, de pouvoir réfléchir en conscience1. Mais nul ne peut le faire en se repliant sur soi-même.
  • Indispensable échange avec d’autres. Nul ne peut dire « je » sans s’être confronté à d’autres2. Ou alors
    on ne fera que dire « on » avec une foule bêlante, ce dont malheureusement l’histoire nous a donné
    trop souvent le spectacle. Quelle est la capacité de discuter avec d’autres, d’écouter en profondeur des arguments qui ne sont pas les nôtres sans les discréditer dès les premiers mots, de réfléchir de manière raisonnable et rationnelle et pas seulement émotionnelle ? Comment se laisser rencontrer par d’autres perspectives, d’essayer de les comprendre quitte à bouger dans son propre positionnement, sans pour autant se dissoudre et s’aplatir devant celui qui parle le plus fort ? Je rêverais que nos communautés chrétiennes soient des lieux propices à de tels échanges. Il se pour-rait que nous n’en ayons pas encore la maturité, mais cela ne doit pas nous empêcher de prendre des initiatives en ce sens.
  • Indispensable enracinement en Dieu. La prière, ne serait- ce que l’invocation régulière de l’Esprit Saint et la lecture des Écritures Saintes, nourrit notre humanité et relève notre regard. Elle n’a évidemment rien de magique. Mais la rencontre du Christ, qui est l’essence de la prière, ouvre l’intelligence à des horizons plus grands et l’aide à se convertir.Car nul d’entre nous n’échappe au péché originel dont l’une des manifestations est le repli de l’intelligence sur l’intérêt individuel et particulier, au détriment du bien commun. Oui, notre intelligence est elle-même blessée. Saurons-nous demander à Dieu de la visiter, de la guérir et de la sauver ? Et d’élargir notre cœur. Le cœur, dans la tradition biblique est bien plus que l’affectivité : c’est aussi le lieu de la liberté et de la volonté.

Pour vivre ce dynamisme de la réflexion, nous avons une opportunité exceptionnelle : la parution de l’encyclique du pape François, Laudato Si. C’est l’homme au cœur de la création, en alliance avec elle, qui nous est présenté. C’est donc toutes nos relations qui sont revisitées dans une perspective
globale. Dans cette « écologie intégrale », « tout est lié », comme le dit à plusieurs reprises le pape. En ce qui concerne les questions sociales et sociétales, pour stimuler notre réflexion et notre action sur ces questions qui sont aujourd’hui au cœur de l’actualité, nous gagnerons à travailler ce texte.

+ OLIVIER LEBORGNE, ÉVÊQUE D’AMIENS
1 « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas don-née lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal, au moment opportun résonne dans l’intimité de son cœur : « Fais ceci, évite cela ». Car c’est une loi inscrite par Dieu au cœur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » Concile Vatican II, Constitution sur « l’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes) », n°16.
2 Et le texte du Concile continue, au même numéro : « C’est d’une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui s’accomplit dans l’amour de Dieu et du prochain. Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. » (C’est nous qui soulignons)

Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement vous trans-forme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait.

LETTRE DE SAINT PAUL AUX ROMAINS 12,2