Homélie de Mgr Leborgne Ordination diaconale de Gauthier et Patrick

Homélie de Monseigneur Olivier Leborgne Ordination diaconale de Gauthier et Patrick 28 juin 2105 – Abbatiale de Corbie

« Je désire une Église pauvre pour les pauvres. » La formule du pape François, dans son exhortation « la joie de l’Évangile », claque. Souvent reprise, d’autant que nous l’avons reçue dans la foulée de Diaconia 2013, ce désir du Pape François n’en mérite pas moins d’être questionné.

En effet, qui a connu la vraie pauvreté, celle qui confine à la misère, celle qui n’est pas choisie mais attaque la moelle de l’existence et de la dignité humaine, celui-là, une fois qu’il en est sorti ne désire pas y revenir. L’option préférentielle pour les pauvres, que le Pape a rappelée, n’a aucune complaisance avec les causes qui enferment les pauvres dans la pauvreté. Le salut en Christ, dont les plus démunis sont les premiers bénéficiaires, ne peut être annoncé sans l’engagement résolu des chrétiens pour le développement, « cet autre nom de la paix », comme disait le pape Paul VI, et la justice. L’encyclique « Laudato Si » que le pape vient de nous donner dénonce justement avec insistance le « nouveau paradigme technico-économique » (n°54) qui veut imposer sa loi et dont les premiers à en payer le coût exorbitant sont les plus pauvres toujours plus appauvris.

Ainsi donc, comment recevoir ce désir du Pape François pour notre Église : « je désire une Église pauvre pour les pauvres » ? Le passage de la deuxième lettre aux Corinthiens que nous venons d’entendre nous indique ici, me semble-t-il, un chemin. L’apôtre des nations veut organiser la solidarité en faveur de l’Église de Jérusalem, particulièrement éprouvée et démunie. Et son appel déterminé à la générosité trouve sa source dans la contemplation du Christ Jésus : « Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus-Christ : lui, qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riche par sa pauvreté. » La formule, elle aussi, résonne. Mais elle est pour une part, énigmatique : comment peut-on enrichir quelqu’un par sa pauvreté ?

« Lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous. » Dieu ne nous écrase pas de son être. Pournous rejoindre, en Jésus « il se vide de lui-même » (Ph 2,7), il se fait pauvre pour venir rencontrer,rejoindre et sauver les pauvres que nous sommes. Tous ceux qui ont pris la décision de marcher durablement avec les plus démunis savent bien qu’on ne les remontre pas à partir de nos richesses, mais à partir de nos pauvretés. Les richesses ne sont pas à rejeter comme telles. Mais reconnaître ses manques, sa vulnérabilité, sa pauvreté, non plus comme un défaut à expulser pour retrouver une image satisfaisante de soi mais, au contraire, comme un chemin pour la rencontre qui me sauve de l’enfermement, c’est faire de toute rencontre un lieu sacramentel où le salut peut être accueilli en Celui qui s’est fait pauvre à cause de nous.

La question posée n’est cependant pas encore résolue : en quoi, une fois pauvre, le Christ peut-il nous enrichir de sa pauvreté ?

C’est que le Christ est le pauvre par excellence : il ne s’auto suffit pas, il n’est qu’ouverture. Il n’existe qu’en se recevant du Père et ce qu’il reçoit – à savoir ce qu’il est – il ne le garde pas, il ne se l’accapare pas. Il ne sait que le retourner au Père en le partageant aux hommes. Alors nous comprenons comment sa pauvreté est absolument notre richesse : il vient inscrire dans notre chair souvent blessée et close sur elle-même, il vient inscrire dans notre chair qui se croit autosuffisante ou ne se croit jamais à la hauteur, son ouverture radicale au Père. Et ce faisant, il vient ouvrir dans notre chair les chemins de la plus haute vie. Le Christ nous enrichit de sa pauvreté, c’est à dire de sa relation essentielle au Père, c’est à dire rien de moins que de la vie divine elle-même.

Dans quelques instants, Patrick et Gauthier, j’aurai la grande joie de vous ordonner diacres. Par l’imposition des mains, vous allez devenir signes du Christ Serviteur, lui qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. Dans l’engagement définitif au célibat, à l’obéissance et à la prière des heures, vous acceptez que le Seigneur fasse de vous des signes de sa pauvreté qui, contre toutes les conceptions mondaines qui parfois traversent également notre Eglise, est notre seule richesse et peut seule enrichir l’homme en répondant à ses attentes profondes.

Dans un monde en attente de salut – une violence qui n’en finit pas (je pense, entre autre, aux récents attentats) réveille cette attente même si elle ne sait pas encore se dire – , le diacre se laisse travailler par cette pauvreté du Christ pour devenir ainsi, dans toutes ses relations et engagements, notamment au service des plus pauvres, un passeur de vie divine. Étienne Grieu, sj., écrit : « Devenir serviteur, selon la tradition chrétienne, ce pourrait être cela, tout simplement. Non pas d’abord s’agiter pour répondre à mille et un devoirs, mais laisser passer en nous la vie divine ; ce qui suppose de se risquer aux autres, et même, de compter sur eux pour révéler en chacun le don de Dieu. »

Dans quelques instants donc, j’aurai la joie de vous ordonner diacres. Vous deviendrez ce signe dans l’Eglise – le service du Serviteur ne vous est pas délégué, vous en devenez le signe pour nous stimuler à le devenir au titre de notre baptême – pour le monde.
C’est une grâce et une mission. C’est une aventure spirituelle. C’est à dire une aventure humaine qui se laisse prendre et agir par le Christ Serviteur et son Esprit. Prenez – en les moyens. Travaillez et vivez cette spiritualité du Christ Serviteur. Persévérez pour cela dans la sobriété nécessaire.

Je vous ordonne diacres « en vue du sacerdoce ». Cela ne fait pas du don du diaconat une parenthèse avant de vivre, si Dieu veut, le ministère presbytéral. Bien au contraire. Aucun prêtre ne peut devenir vraiment prêtre sans être pleinement diacre. Ne l’oubliez jamais.

Comme diacres, avec les autres diacres, vous êtes appelés à aider l’Eglise à devenir ce que le pape appelle de ses vœux : une Eglise pauvre pour les pauvres. Une Eglise dépendante de son Seigneur,
une Eglise en manque rejoignant chacun dans ses manques comme son Seigneur l’a fait, et qui, ce faisant, débordant de la pauvreté de Celui qui de riche qu’il était s’est fait pauvre afin de nous enrichir de sa pauvreté, deviendra toujours davantage « passeuse » de vie divine au cœur du monde.

Que le Seigneur soit béni !

+ Olivier Leborgne Eveque d’Amiens

Mgr Olivier Leborgne

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